Episode 1 - Partie 4 : D'Ombres et de morts

5 minutes de lecture

 J’avais le crâne en feu. Mes paupières s’ouvrirent brusquement, une impression aussi irritante que la déchirure d’une toile désagréable au toucher. Elle était au dessus de moi, l’ombre, la main tendue vers mon cou. Je reculai, prêt à crier, à frapper, à jouer le tout pour le tout, qu’importe à présent que je me retrouvasse seul et que je n’y gagnasse rien en fin de compte… Un espoir de fou déjà que de croire avoir la moindre chance face à elle.

 — Calme-toi ou je te taloche ! Tu cauchemardais. Enfin, plutôt tu t’es laissé berner par les chants de la nuit.

 J’étais essoufflé, le cœur réagit comme il l’avait fait sous l’impulsion des Impies.

 — Voici là l’un des autres dangers de la nuit, le silence n’en est pas un. Des voix seulement audibles par de très rares susurrent des histoires jusqu’à plonger le non initié qui ne les aura pas remarquées dans un état de sommeil empli de visions semblant surgir du passé.

 — Vous voulez dire que ce rêve appartenait au passé, en vérité ?

 — Une version déformée du passé d’un des esprits qui hantent la nuit. Bon, je crois que je vais devoir un peu taper la causette pour t’empêcher de céder aux avances de la nuit, sinon tu vas gueuler comme une donzelle. Et les choses n’auront plus qu’à rappliquer pour nous la jouer al dente.

 — Alors peut-être commencerez-vous par me dire qui vous êtes et…

 — Doucement le p’tiot, j’ai pas dit qu’on se roulerait des galoches en s’enfilant des brochettes de guimauves cuites au feu. J’t’ai juste dit qu’on bavasserait un peu histoire de passer le temps. Mais, sait-on jamais, au hasard de cette discussion tu trouveras peut-être de quoi gaver la panse de ta curiosité. Pour l’instant, raconte-moi ce que t’as vu.

 J’obtempérai, plus pour exorciser que pour sympathiser. Si les images de ce prétendu songe ne détenaient en soi rien de bien effrayant, l’impression étrange d’enfermement dans la clepsydre combinée à celle d’une réalité presque palpable m’avait déboussolé. Assise en tailleur de l’autre côté du bûcher, l’ombre semblait prêter une oreille attentive - bien qu’encore invisible - à mon récit parfois un peu confus en raison des sensations qui m’avaient subjugué.

 — T’as voyagé un peu à Tubullar Bay, à la belle époque.

 Ses mots parurent sourire. Puis la voix redevint dure, comme une éclaircie perdue au milieu d’un orage constant et opiniâtre.

 — C’était y a longtemps… Comme tout…

 Un éclair de nostalgie perfora cette fois-ci la carapace :

 — Tu sais, j’ai autrefois donné dans le plus feutré, mais ça ne sert plus à rien la révérence, le guindé, le respect dans ce monde. J’étais un modèle. Maintenant, je suis seul, seul avec la faim. Je suis la faim. Tout le temps la dalle… tout le temps… Et rien ne saura jamais m’assouvir.

 Une lueur rougeoyante, mêlée de convoitise et de désespoir s’était échappée de l’obscurité du capuchon, son imaginaire gastronomique avait dû s’éveiller à ces mots.

 — Le passé donc, soupirai-je.

 J’étais dans mes pensées, un sourire pendu aux lèvres. J’avais enfin trouvé ce que je cherchais. Du moins je croyais l’avoir trouvé, quand une nouvelle fois mon hôte me rappela à l’ordre.

 — Une vision bien subjective je t’ai dit. Oui, il y a des éléments réels, mais il y a aussi et surtout de nombreux fantasmes, les délires de fantômes qui errent là depuis des temps perdus. Alors si ton but, mon p’tit gars, c’est de quémander la vérité auprès de spectres déments t’as de quoi te remplir les bourses de biftons bien gras.

 J’étais déçu. Bien que je ne lui fisse pas confiance, je sentais qu’il me décrivait la stricte réalité de la situation, et cela me rappelait à la quête – que l’on pouvait qualifier de désespérée - dans laquelle nous nous étions lancés.


 Comment juger une Apocalypse qui avait abandonné l’humanité sur le bas côté de l’Histoire ? Nos manuels auraient bien souhaité en décrire une, même décevante – ici n’étant bien sûr pas considéré son irréfutable efficacité. Au-delà du fracas attendu, du grandiose explosif, des kilomètres en direct de films catastrophe, des concerts de hurlements et des flots de larmes arrachés à chacun, ou d’exploits à même de transcender le quidam, il y avait de quoi faire pour élaborer une superbe conclusion au règne glorieux de l’Homme. Tout plutôt que ce vide. Apparemment, rien de tel ne s’était produit, rien qui ne mît réellement l’Homme en avant. Son grand « H », deux tours élevées d’apparence si solide autrefois, s’était finalement écroulé en un claquement de doigt d’une divinité qu’on aurait dérangé dans son sommeil. Un éclair, puis la fin. Un instant avait à peine suffi à l’éradication d’une race ô combien orgueilleuse.

 Au début était le rien, il avait succédé au néant. Certaines ombres de l'histoire avaient survécu au ménage du temps, mais aucun indice suffisant ne permettait de savoir les véritables raisons de notre quasi disparition. Depuis, les Impies avaient pris la relève. En bons nouveaux locataires, ils parcouraient les terres désolées et nettoyaient les ultimes vestiges d’humanité.

 Nous n’étions plus qu’un fumet gourmand pour les millions, voire les milliards, d’infectés morts de faim qui arpentaient la planète. Bien sûr, on aurait pu prétendre les Impies en voie d’extinction en raison de notre propre déchéance. Mais les chairs, tenaces – en admettant que le mot « chair » convînt à ce salmigondis infecte et putride –, se mêlaient, devenaient des amalgames carnassières encore plus immondes, au lieu de se perdre en poussières dans les nuages de cendres d’un monde le plus souvent gris et froid. Une goutte de sang les animait, les rappelait à leur appétit éternel ; ils marchaient alors, rampaient, sautaient, galopaient, errant sur des kilomètres et des kilomètres, avec obstination, dès l’obscurité venue, dans l’espoir de déguster jusqu’à assèchement une nouvelle proie.

 Si les scientifiques du city-bunker ignoraient toujours comment et quand l’infection avait pris un essor incontrôlé, ils avaient toutefois pu déterrer une archive au détour d’une de ces missions de recherches.

 Un grand titre d’un quotidien, quelques mots presqu’illisibles, mais l’essentiel :

       « … Patient zéro… Pandémie mondiale… Tubullar Bay… »

 Quelque part dans le passé de cette ville se trouvait la solution, la vérité de ce présent infâme que nous devions subir.

Je n’oublie pourtant pas, Ô très Saint Père, que j’ai la chance de vivre grâce à vous…

 Depuis, nous cherchions des indices et pour la peine nous étions mués en historiens, en archéologues. Nous devions remonter le fil d’une intrigue dont nous possédions deux certitudes : TUBULLAR BAY et sa localisation approximative, grâce à de rares données cartographiques. Et il fallut par chance ou ironie du sort - difficile parfois de distinguer l’une de l’autre – que la cité tant recherchée se trouvât dans la même région que notre city-bunker.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Francis Jr Brenet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0