3.5 Ian - Se souvenir

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Mars 2014

Je me souviens. Oh, sang.... Je me souviens ! Rien n'est encore clair, mais je me souviens... Le doute ne peut plus me cacher.

J'ai perdu l'esprit. Des dizaines de fois. N'est resté au contrôle de mes gestes que mon corps et ses instincts. J'ai tué. Combien ? Les souvenirs sont vagues. Je me vois partager des moments heureux, avec des gens de tous âges et de tous genres. Et puis, la confusion me prend, c'est comme si un réseau de racines dans le sol m'injectaient des informations par rasades. J'ai les veines en feu et l'esprit qui bourdonne. Les images se mélangent, mais leur peur, leur douleur, leurs cris, leur sang ne font aucun doute.

L'Ours est là. Il me protège. Je ne le vois pas mais je le sens. Je sens tout. Je sens l'odeur des scarabées, le fourmillement des rongeurs dans le sol. Je sens. Je ne fais plus que ça, sentir. Je cogne sur du bois pour que le son m'assourdisse. Rien n'y fait. C'est dans ma peau, mes oreilles n'y peuvent rien.

Une grande douleur éteint tout, et on m'emmène. Il y a d'épaisses boucles rouges et des yeux vairons. La marque sur mon poignet droit a perdu son mystère : J'ai été enchaîné à un mur. J'ai reçu des coups, beaucoup de coups. J'ai hurlé comme une bête, tenté d'arracher mes chaînes sans le moindre succès. J'ai voulu que les coups me tuent. Qu'ils me libèrent de ma captivité. De ma culpabilité.

Une voix de femme - tantôt douce, tantôt ferme, tantôt cruelle - me répète que je suis Ian et que je ne ressens rien. Que je suis Ian et que je n'agis pas. Que je suis Ian et que je n'existe pas.

Ma tête est assaillie de toutes ces images et de la terreur, de la colère, de la douleur, du dégoût de moi même qu'elles impliquent.

Je suis Ian. Je suis Ian. Je suis Ian.

Est-ce que c'est ça, être vivant ? Est-ce que c'est devoir faire face à tout ça ? C'est ce que prétend Max, mais il n'a pas idée... Il n'a pas idée du monstre que suis.

Depuis que je l'ai présenté à ma famille, je me sens mal à l'aise. Je sens que je cherche à échapper à sa compagnie. Même lorsque je traine dans les couloirs du conservatoire, pour assister aux entrainements, je me surprends à observer les autres et pas lui. Surtout pas lui. Un sentiment me bloque, comme une interdiction. Est-ce à cause du regard d'Elena ? Pas sur moi, bien sûr, jamais sur moi. Mais sur lui. Elle l'a fixé presque sans discontinuer. J'ai cru lire l'horreur sur ses traits... Et l'horreur est passée en moi. Chaque jour qui passe me persuade un peu plus que je finirais par le tuer, comme j'ai tué les autres. Ou pire peut-être. Une sorte de nausée me prend quand je pose les yeux sur lui.

Alors c'est ça, être vivant ? C'est douloureux, c'est piquant et mauvais ? Oui, peut-être. Peut-être aussi que je n'en sais encore rien. J'ai voulu croire, comme le disaient les livres, comme le disent la plupart, que vivre est une poésie. Qu'on ne se sent vivant que dans l'ivresse... Mais c'est faux. N'est-ce pas ? On ne peut pas être à la fois perdu et vif.

Et moi, je n'ai jamais fait que perdre et me perdre. Ma poitrine se fend en deux chaque fois que j'y pense. Je pleure et je vomis jusqu'à perdre conscience. M'étouffer et mourir..?

Pauvre Lesia. Ma petite sœur, mon amie. Son essence passée me hante. C'était une enfant. Une joyeuse enfant. Jusqu'à ce qu'elle me trouve dans mon lit d'assassin. Mon premier crime ? Ou le premier crime salissant ? Ma mémoire n'a pas tenu de registre. Tout est mélangé comme si tout était arrivé en une seule fois. Comme si je n'avais fait que ça : massacrer. Sans pause ni distinction.

C'est ma faute, si cette famille est ce qu'elle est aujourd'hui. Comment ne pas comprendre que ma mère me renie, que ma sœur est si sérieuse et que mon père se terre dans un silence profond ? D'ailleurs, peut-être qu'il n'y a qu'avec moi qu'ils sont ainsi. Peut-être que quand je suis absent, ils vivent normalement. Peut-être que je ne devrais plus mettre les pieds là bas.

Max a dit que je ressemblais à mon père. Sa phrase exacte était : "Tu tiens ta beauté de ton père". Ma beauté... ? Il y a peut-être autre chose que je tiens de mon père. Les mots ont fait comme un son de cloche dans mes souvenirs. Un léger mouvement qui m'ordonnait de réfléchir. Si terrifiéque je sois à l'idée de découvrir de nouvelles choses à mon sujet, j'ai conscience que fuir la réalité ne peut pas résoudre le problème. Au contraire, et si, démuni de mes expériences, j'étais condamné à les répéter ?

Par bonheur, l'information semble... une évidence ? Quelque chose que j'ai toujours su, qui n'a pas été ni bloqué, ni effacé, mais auquel j'avais simplement cessé de songer : la condition de mon père. Une sorte d'atteinte dont les symptômes n'ont rien d'affaiblissant et qui, je crois, m'a été transmise génétiquement.

Ce que ça implique, pourtant, m'échappe encore.

Demain, j'irai parler à Lesia. Je sais qu'elle ne refusera pas de m'aider à me souvenir.

Il le faut. Je le dois.

Mais j'ai peur.

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