3.7 Ian - Réexamen

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Mai 2014

L'atmosphère s'est tendue depuis ma dernière note. Elle s'est chargée de danger : Svenhild est venue me chercher. Ezéar m'avait prévenu que ça risquait d'arriver. Il m'a dit de ne sourtout pas lutter, alors j'ai obéi.

Je l'ai reconnue en une fraction de seconde : à peine sa silhouette entrevue, j'ai su jusqu'à mon dernier atome que c'était elle. Elle m'a emmené dans son laboratoire et m'a réintroduit au docteur Zedan. Je le savais bien, qu'ils étaient réels, ces cheveux rouges...

Les murs aussi étaient réels. J'ai revu les cellules froides, sans fenêtres, à peine éclairées par les faibles néons du couloir. J'ai vu des chaînes similaires aux miennes fixées au mur... La panique m'a gagné à de nombreuses reprises, terrorisé à l'idée qu'on les fixe de nouveau à mes poignets.

Mais après un simple examen médical, on m'a installé dans une chambre. Une chambre pour le moins normale, avec un lit et une salle de bain accolée... Mais pas une seule ampoule pour m'éclairer. Seul un filet de jour perçait le matin à travers une fente en haut du mur. Autrement, j'étais dans l'obscurité la plus totale. La porte, en revanche, n'était pas verrouillée, comme si j'étais libre de sortir si je le souhaitais. Je n'ai cependant pas osé m'éloigner plus loin qu'à quelques mètres du pallier ; un homme se tenait là, debout comme un vigile. D'aspect assez âgé, avec des cheveux grisâtre et quelques poils blancs hirsutes sur les joues, il m'a souri, m'a dit s'appeller Ludwig, que nous nous étions déjà croisés mais qu'il ne serait pas surpris si je l'avais oublié. En effet, je n'ai absolument aucun souvenir de lui. Même pas une vague impression.

Il ne paraissait pas bien fort, mais je n'ai pas voulu risquer d'ameuter Svenhild en tentant une échappée.

"Ne lutte surtout pas", a dit Ezéar.

Je suis Ian. La passivité, ça me connaît.

Je pense être resté quelques jours dans cette chambre, à ne sortir que pour des examens médicaux. Je m'efforçais de répondre aux questionnaires malgré mon amertume, désireux de prouver que Natanaïl n'était plus ; qu'à présent, j'avais le contrôle total de mon corps.

J'ai passé les cauchemars sous silence, mais comment les leur cacher quand mes nuits dans leur chambre surveillée ne me laissaient pas de répit ?

Encéphalogrammes, analyses de sang, d'urines, de sperme prélevé directement dans les bourses – expérience fort douloureuse - tests psychologiques... Elles ont mesuré ma force, testé le tranchant de mes dents et de mes ongles, m'ont fait rencontrer d'autres patients dont le comportement était absolument terrifiant, juste pour observer mes réactions. Des hommes et des femmes qui, pour la plupart, ne s'exprimaient que par des sons, des grognements ou des cris, des sifflements de gorge. Certains se recroquevillaient dans un coin en me voyant, la tête cachée dans leurs bras, en pleurs. D'autres retroussaient leurs lèvres, agressifs et m'inspiraient tantôt la peur, tantôt le défi.

Et puis il y a eu une femme. Bon sang ! Elle était maigre et entièrement nue, en sueur alors que je frissonnais de froid dans ces murs glacés. A ma vue, sa pupille a gonflé d'un seul coup, et elle s'est littéralement jetée sur moi. A genoux, elle poussait des couinements plaintif en s'accrochant à mes vêtements. Elle semblait en souffrance. Elle parlait, très vite et très bas, dans une langue inconnue. Et elle m'a poussé en arrière jusqu'à ce que mes jambes cognent la banquette de béton. Frappé d'horreur, la pitié qu'elle m'inspirait dans le même temps me retenait de la repousser avec toute la violence qui montait en moi, nourrie par la panique, la colère et le rejet. Je tendais l'oreille pour écouter ce qu'elle disait, même sans comprendre un mot. Et puis, assise à califourchon sur moi, des lambeaux de ma chemise dans ses poings fermés et son bas ventre horriblement pressé contre le mien, elle s'est mise à pleurer. Difficilement, sa bouche a formulé des mots dans un mélange de français et d'anglais, qui m'ont fait frissonner de chagrin.

- Help me. Tue moi.

Une morsure à la joue m'a sorti de ma torpeur. Je l'ai poussée, maladroitement, et elle a chuté en se tordant la jambe. Elle ne s'est pas relevée, elle est restée au sol, la jambe en portefeuille, à se tortiller en plantant ses ongles dans sa peau. J'étais tellement choqué que mon estomac m'a secoué d'un spasme violent. J'ai dû me détourner de ce spectacle et me boucher les oreilles un moment pour me calmer.

Sans succès, dans un accès d'émotion, je me suis jeté contre le miroir sans tain pour le cogner de toutes mes forces, espérant le briser, hurlant toute la rage emmagasinée depuis des mois. Depuis les premiers rêves. J'ai cogné, cogné, ce maudit miroir qui me renvoyait ma détestable image et les murs qui nous enfermaient moi et cette pauvre femme qui désespérait qu'on mette fin à ses souffrances.

Au bout d'un trop long moment, lorsque l'épuisement a fini par me gagner, on nous a ouvert. Quelqu'un a emmené la femme qui s'est mise à hurler de tout ses poumons, tantôt grave, tantôt si aigu que mes tympans en vibraient.

- HELP ME ! KILL ME ! Let me go, je vous hais ! Je vous hais ! Salope ! I beg you. I beg you, libère-moi...

Ses cris et ses larmes se sont éloignés jusqu'à ce que je n'entende plus que le grésillement des néons dans le couloir. J'étais de nouveau seul et, bien que calmé, de nouveau rempli de colère. Quand Zedan est entrée, elle est restée sur le pas de la porte à me regarder. Son visage était plus ravagé de tension et d'épuisement que celui de ma mère ; dans son œil ne transparaissait qu'un mélange de peur et de résignation. Je me suis redressé et me suis approché d'elle. J'aurais voulu lui dire qu'elle avait le choix. Que personne, pas même Svenhild, ne devait la contraindre à poursuivre ces horreurs. Mais quelque part, je savais que Zedan était là de son propre chef. Je savais que sa soif de science motivait davantage ses actes que la terreur. Alors j'ai profité de cet instant de faiblesse dans son attitude pour planter mes yeux pleins de haine dans les siens que le malaise faisait fondre. Je lui ai dit que le monstre, c'était elle. Et je le pensais ; pour la première fois depuis le retour de mes souvenirs, j'ai vraiment vu en face de moi quelqu'un de plus blâmable, de plus répugnant que moi-même.

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