3.12 Ian - Ian

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Un long moment encore, nous sommes restés ainsi, à nous observer. Quand mes yeux ont commencé à piquer, et ma nuque à me faire mal, j'ai compris que je serais le premier à bouger. Pour Ezéar, le temps ne passe pas vraiment : rester ainsi pendant des jours entiers n'aurait pas posé problème. Mon inconfort a dû se deviner, puisqu'il n'a manifesté aucune surprise quand j'ai fini par presser fort mes paupières et abaisser le menton. 

Lui me fixait toujours, je sentais les radiations de son regard sur moi. J'ai pris conscience des puissants battement de mon coeur dans ma poitrine et inspiré une grande bouffée d'air.

Je n'ai pas eu le temps d'expirer, qu'il était sur moi. J'ai senti mon dos heurter un arbre, et son souffle à mon oreille alors qu'un grondement faisait trembler sa poitrine. Sa main m'avait saisi par le col du T-Shirt.

Impossible de réfléchir. De chercher à comprendre ce qui l'a poussé à ce geste. A ce moment, je n'étais qu'émotion. Un melting pot de toutes les émotions les plus fortes que j'aie pu ressentir dans ma courte vie. J'avais du mal à respirer, mais quelque chose en moi ne voulais pas qu'il s'éloigne. Alors, quand ses doigts ont lâché mon T-shirt, j'ai eu le réflexe de monter ma main vers eux pour les saisir, et mon visage s'est tendu vers le sien. Ses yeux se sont écarquillés d'horreur. Il s'est arraché à moi d'un bond en arrière, les pupilles flamboyantes.

-  A quoi tu joues ?

Je ne savais pas, alors j'ai répondu que je ne savais pas. Pour toute réponse, j'ai reçu une gifle qui m'a fait chuter au sol. L'instant d'après, il me relevait en me tenant par les épaules, ses ongles tranchants plantés dans ma peau. Il semblait en proie à la fois à l'horreur de ses propres gestes et à un trouble qui attisait sa violence. Affaibli par la douleur, j'ai laissé ma tête chuter en avant sur son épaule. La moindre petite trace de peur a disparu à cet instant. J'ai soufflé, las, que c'était un peu con de me tuer pour ça après m'avoir sauvé. Alors, il m'a lâché tout doucement en accompagnant mon affaissement au sol, et il m'a aidé à m'appuyer contre l'arbre responsable de mes douleurs dorsales. Pour me désengourdir, j'ai étendu mes jambes au sol et me suis concentré sur ma respiration. Et sur son odeur, qui se mêlait à celle des lieux. Un moment, il m'a surplombé en silence. J'avais la tête levée vers lui, pour ne pas le quitter des yeux. Je ne me sentais pas en tort, je n'avais rien fait de mal.

- Je t'ai vu naître, Naïl. Et j'ai plus d'un millénaire de plus que toi.

- Je m'en fou.

C'était vrai. C'est vrai. Je m'en fouroyalement, de notredifférence d'âge. 

- Naïl...

- Je m'appelle Ian.

Son visage s'est fermé à ma phrase. Il a retroussé le nez.

- Ian, c'est le nom que Svenhild t'a donné.

- C'est le nom que je portais quand je me suis éveillé. Quand je suis tombé amoureux. Quand j'ai réalisé que je me contrôlais même sous la tension.

- Tu aurais pu apprendre tout ça en restant Natanaïl.

- Natanaïl, c'est le nom qu'ils prononçaient avant que je les tue ! Je ne veux plus l'entendre.

Mes paroles ont semblé l'atteindre. Il a gardé un long moment le silence, et il s'est accroupi près de moi. Sa main s'est posée sur mon front, les doigts dans mes cheveux trempés de sueur. Je pense que ce geste veux dire qu'il a compris. Finalement, sa main à glissé vers mon menton pour le relever un peu. Ses yeux se sont plissés, et ses lèvres ont formé un rictus moqueur.

- Tu es vraiment amoureux ?

- Pourquoi pas ?

- Parce qu'il est fade.

- Je ne trouve pas.

- Hum.

Tout en parlant de lui, je ne pensais pas réellement à Max. Je me souviens que nos yeux se fixaient encore quand Ierofeï est arrivé. Il a eu l'air en colère de voir mon état et a poussé Ezéar de côté, d'un geste symbolique plus que brutal. Pour être honnête, s'il avait été question de force, Ezéar n'aurait certainement pas bougé d'un pouce. Il m'a aidé à me relever, et m'a examiné sous toutes les coutures. J'avais mal partout, mais je riais, encore ému. Je n'en veux pas à Ezéar ; après réflexion, il a peut-être cru que je perdais le contrôle, d'où sa réaction démesurée. 

Feï m'a pris doucement par le bras pour m'entraîner vers l'endroit où il avait garé la voiture, mais j'ai refusé de le suivre. Je n'avais rien de cassé, inutile d'en faire un drame. Je voulais rester pour la nuit, comme prévu. Sans lutter, il a jeté un regard vers Ezéar et a lâché mon bras. Je l'ai observé un moment, un peu agacé par cet éternel mutisme dont j'aurais voulu qu'il sorte comme je suis sorti de mon état léthargique.

A quelque pas de nous, Ezéar ne semblait pas nous quitter des yeux. Je me suis tourné vers lui, amer.

- Pourquoi est-ce qu'ils l'appellent Le Chien ?

Le sourire d'Ezéar est revenu d'un coup. Il a pouffé d'un rire sincère qui n'a pas eu l'air d'atteindre Ierofeï plus que ça.

- Parce que quand il a fermé sa gueule, il n'a plus été capable que de faire ce qu'on lui disait.

Les deux hommes se sont défié du regard. Les iris bleus pâles de mon père donnaient une certaine force à son air blasé et le sourire amusé d'Ezéar faisait flamboyer ses billes noires.

Il m'a semblé, alors, qu'ils devaient être bons amis.

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