Chapitre 16

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  Éreintée, je suis incapable de rédiger ce fichu rapport. Ça fait plus de deux heures que je lis les mêmes lignes en boucle. Mon cerveau refuse d'assimiler les nouvelles informations. Malheureusement, la tonne de café que j'ai pu avaler tout au long de la journée ne m'a pas aidée à rester concentrée plus d'une heure consécutive.

Je n'ai pas réussi à m'endormir, mon esprit était tellement encombré par toutes les choses qui se sont passées la veille. J'ai observé mon plafond jusqu'à ce que le réveil se mette a sonnée. Je fais tomber mon stylo pour venir me masser mes tempes. La migraine ne pas lâcher de la journée, elle est même de plus en plus intense. J'ai avalé des comprimés, mais rien ne semble efficace.

— Mais bordel qu'est ce que tu fous ! Ça fait deux heures que j'attends ce putain de rapport. Ce n'est pas compliqué pourtant ! s'écrit Roger en pénétrant dans la pièce telle une tornade, prêt à tout emporter avec elle.

Mon corps sursaute lorsque son poing atterrit violemment sur mon bureau. Il est si énervé qu'il me fait presque peur. Une douleur vient compresser ma cage thoracique, alors qu'une boule se forme dans ma gorge. Fébrilement, je me relève et commence à vouloir lui répondre ;

— Je suis désolée, je ne l'ai pas encore fini, je...

— J'arrête avec tes satanées excuses, je n'ai rien à faire ! m'assène-t-il en me fixant avec agressivité. Je dois le lire et corriger les erreurs que tu auras faites ! Tu me fais perdre mon temps, tu es incompétente en plus de fournir un travail médiocre.

Je tente de résister contre les vertiges qui m'assaille, j'agrippe fermement l'accoudoir de mon fauteuil et continue a lui faire face. Je ne dois pas faiblir devant lui, sauf que je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir un mouvement de recule lorsqu'il s'approche brusquement de moi. Je pourrai partir avoir vu un bref rictus sur ses lèvres. Ça l'amuse de me pétrifier.

— À la première heure demain matin, le dossier a intérêt d'être terminé. Je m'en contre fou s'il faut que tu passes la nuit entière a travailler dessus, sinon pas la peine de revenir.

Fier du coup de pression qu'il vient me donner, il disparait de la pièce, un sourire narquois plaqué sur son visage. Je ne dois pas trainer a l'hôpital si veux pouvoir me mettre a bosser le plus rapidement possible. Faiblement, je récupère tous les papiers et ramasse mes affaires. Je salue uniquement Ethel en passant devant elle et sors du cabinet. Je vais devoir faire presque une heure de transport en commun pour arriver jusqu'aux terminaux.

Je profite du trajet pour lire le bilan financier de l'entreprise, enfin j'essaie. Ma concentration me fait cruellement défaut. Je range les documents dans mon sac à main en voyant qu'on approche de ma destination. Je me dépêche de sortir du bus pour aller rejoindre les services intensifs. Il ne me reste pas beaucoup de temps avant que les visites se terminent. D'un pas pressé, j'atteins l'accueil.

— Bonsoir, serait-il possible d'avoir le numéro de chambre de madame Linchtentein s'il vous plaît.

Une femme afro-américaine d'une trentaine d'années lève à peine les yeux vers moi avant de ce concentré sur l'écran de son ordinateur.

— Vous êtes ?

— Sa petite fille, mentis-je.

Si j'avais dit la vérité, je suis persuadée qu'elle ne me l'aurait jamais transmis. Parfois, mieux vaut arranger certaines choses.

— Chambre 147, par contre les visites vont bientôt se terminer.

— Merci.

J'avance dans le couloir impersonnel et froid jusqu'au numéro que m'a donné la femme de l'accueil. Maintenant que je me retrouve devant la porte, je regrette de rien ne lui avoir acheté. J'étais si pressée que je n'ai pas pris le temps de m'arrêter chez une fleuriste. Je me rattraperai la prochaine fois. Je frappe et rentre aussitôt.

— Bonjour, murmuré-je en m'approchant d'elle.

La voir allonger dans un lit d'hôpital, le teint blafard et les cheveux en bataille me serre le cœur. Je dépose mes affaires par terre et prends la chaise pour m'installer près de Faith.

— Ma Camélia, vous êtes venue me rendre visite, sourit-elle faiblement, ça me fait plaisir.

— Comment allez-vous ?

— Je pourrai courir le marathon de New York, ironise-t-elle, par contre vous, vous avez une petite mine, ce n'est à cause de moi ?

— Vous m'avez fait très peur.

— Beaucoup mieux, tente-t-elle de me rassurer en serrant ma main, en plus le jeune médecin qui s'occupe de moi est plutôt pas mal.

Amusée face à ses paroles, je me mets à rire. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas ri ainsi, cela fait tellement du bien. C'est presque libérateur et pendant un court instant le poids qui pèse sur mes épaules s'envole. Néanmoins, ce moment prend rapidement fin en entendant quelqu'un frapper. Greg fait son apparition dans l'entrebâillement de la porte. Il ne semble pas réellement surpris de ma présence dans la chambre, il avance vers Faith pour lui déposer un baiser sur son front.

Au vu des cernes sous ses yeux, je devine que lui non plus n'a pas passé une excellente nuit. Ça ne doit pas être facile pour lui, à ce que j'ai compris Faith est la seule famille qui lui reste. Je n'imagine même pas comment je réagirais si j'étais à sa place. Préférant leur laisser de l'intimité, je me lève, sûrement trop vite, car des vertiges m'assaillent. Mes mains agrippent fermement le dossier de la chaise, c'est maintenant que la nausée qui m'a poursuivi toute la matinée se décide de réapparaitre. Il faut que je sorte de cette pièce avant que je me mette à vomir devant eux.

— Ça ne va pas ?

Je lève la tête vers Greg qui me regarde de travers et tente de faire un semblant de sourire tout en reculant.

— Je dois vous laissez, j'ai dû travaille a terminer, leur dis-je en ouvrant la porte, reposez-vous bien Faith.

Je n'attends pas la réponse et sors. Il me faut de l'air rapidement, je prends appui sur le mur de peur que mes jambes se dérobent sous moi et avancent. Soudain des bras autour ma taille, mon dos se retrouve collé contre un torse, je reconnaitrais entre mille le parfum qui m'effleure. Kieran me tient fermement jusqu'à une rangée de chaises en plastique où il m'aide à m'asseoir fébrilement. Je ferme les paupières quelques secondes pour calmer les vertiges.

— La dernière fois que tu as avalé quelque chose, c'est quand ?

J'ouvre doucement les yeux et fais face à ses prunelles d'ébène. Accroupie devant moi, je pourrai presque apercevoir une lueur d'inquiétude traverser son regard. Mon silence comme réponse, il scrute mon visage avant de se lever soudainement.

— OK je vois.

Sans dire un mot, il s'éloigne de moi et se dirige vers un distributeur. Il revient quelques minutes plus tard s'assoir à côté de moi, une canette de soda d'une main et un sandwich de l'autre.

— Mange !

— Je n'ai pas faim, protesté-je en voulant me lever, mais Kieran me force à rester sur place.

— Soit, tu m'obéis, soit j'appelle un médecin pour qu'il t'ausculte, tu as le choix.

J'obtempère à contrecœur et ouvre l'emballage en plastique. Je croque dans le sandwich sans saveur sous son regard attentif. Malgré mon estomac noué, je dois avouer que manger quelque chose me fait du bien. Je l'engloutis et ramasse mes affaires pour partir, je n'ai pas envie de rester plus longtemps à ses côtés. Les images de la veille sont encore ancrées dans ma tête. Surtout que je me sens beaucoup mieux.

— Tu comptes aller où, comme ça ?

— Je te remercie pour la nourriture, mais j'ai du travail à terminer.

Je commence à avancer, mais Kieran me contourne pour se planter devant moi.

— Si tu crois que je vais te laisser partir comme ça, tu rêves, tu es blanche.

— Je t'assure que je vais mieux.

— Tu tiens à peine sur tes jambres, je n'ai pas envie de te voir t'écrouler par terre.

— Kieran, j'ai un dossier à rendre demain à la première heure.

— Mange avec nous ce soir, je te ramènerai juste après.

— Je ne peux pas.

— Je ne te laisse pas le choix Camélia,

— Tu ne peux pas m'obliger, dis-je en m'approchant de lui.

Nos corps sont si près qu'ils se frôlent. Je dois lever les yeux pour pouvoir le regarder droit dans les yeux. Mon cœur s'emballe, être si près de lui me rend si vulnérable. Mes iris ne peuvent s'empêcher de s'attarder sur sa bouche. Je dois combattre l'envie irrépressible de hisser mes pieds pour l'embrasser.

— Tu paries, rétorque-t-il taquin.

Ses doigts chauds agrippent avec douceur mon menton tandis que lui baisse sa tête pour être à ma hauteur. Ses prunelles s'ancrent dans les miennes, ils sont d'une telle intensité que j'ai l'impression qu'il peut lire dans mon âme. Rien que sentir sa peau être au contact de la mienne, mes sens réagi au quart de tour.

Il faut que je m'éloigne de lui, avant que mon corps prenne le contrôle sur mon esprit. Je recule et part m'asseoir le cœur battant la chamade alors que lui se pose contre le mur en face de moi. Pourquoi a-t-il un tel effet sur moi, c'est comme s'il pouvait me manipuler d'un claquement de doigts. Refusant de croiser ses iris hypnotiques de nouveau, je fixe le paysage à travers la fenêtre. Du coin de l'œil, je remarque qu'il continue de m'observer, il me donne l'impression d'être une proie sans défense.

— Tu comptes garder le silence ?

— De quoi veux-tu parler ?

Il me jauge un instant, comme s'il hésiter à me poser une question avant de s'approcher pour s'asseoir sur la chaise à côté de moi.

— Tu ne m'as pas l'air d'être quelqu'un en manque d'argent, alors pourquoi venir vivre dans un quartier si pourri.

— Qu'est-ce qui te fait dire que je suis aisée ?

— Juste une impression, j'ai tort ?

— No dije eso, rétorqué-je amusé.

Vue son froncement de sourcil, je suis sure qu'il est n'a pas compris. Répondre que je n'avais pas dit ça dans une autre langue la laissait perplexe. J'aime le déstabiliser, si lui y arrive à la perfection avec son regard intense, je vais faire de même et utiliser tous les atouts dont je procède.

— Tu comptes éviter mes questions en parlant espagnol.

— Je peux également te répondre en Italiano.

— Tu veux m'impressionner, se moque-t-il, tu vas bientôt me dire que tu parles chinois.

— Je sais effectivement dire quelques mots.

— Vraiment ?

Devant son air surpris, je tente de me rappeler comment dire un peu. Heureusement que j'ai une bonne mémoire.

— Yī diǎndiǎn, articulé-je en prenant soin prononcer chaque syllabe.

J'avais essayé à l'université de suivre des cours de chinois, mais j'ai réussi à acquérir que les bases.

— Pourquoi en apprendre autant ? me demande-t-il réellement intrigué.

— C'est simple, je suis originaire du Chili donc l'Espagnole c'est ma langue natale.

— Et l'italien ?

— Je rêver d'y aller plus jeune.

— Tu étais du genre premier de la classe, tout le contraire de moi, rit-il avant de poursuivre plus calmement, j'étais plus marginale, par contre Megan était comme toi. Une vraie intellectuelle.

— Tu dis cela comme si c'était mal.

— Au contraire, souffle-t-il avec son sourire charmeur, j'ai toujours trouvé que cela donne un côté attrayant à la personne.

— Alors tu me trouves attrayante ? l'interrogé-je avec taquin en approchant ma tête de la sienne.

Je frémis lorsque je sens ses doigts frôler mon visage, d'un geste délicat il place une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille sans pour autant me quitter des yeux.

— Si tu savais à quel point.

Sa confession fait naitre en moi un volcan, prêt un exploser. D'un seul regard, il brise toute ma détermination à rester loin de lui. Cette intensité qu'il y a entre nous réveille en moi un désir indomptable, presque ardent, mais je ne dois pas céder. Je ne peux pas.

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