Chapitre 7

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Les gouttes s’écrasaient contre le carreau froid. Perles transparentes reflétant la ville grisonnante et bétonnée à l’envers, elles glissaient contre la vitre, inexorablement attirées par le sol. Dans leur course de lenteur où le volume influait beaucoup sur la vitesse, elles finissaient par se croiser, s’entremêler et continuer ainsi leur route, sans que l’on ne sache laquelle des deux avait bien pu dévorer l’autre.

C’était un spectacle banal, répétitif et une image bien dépressive, mais Maelo le trouvait bien plus intéressant que la télé réalité défilant à l’écran. Il était affalé contre le dossier, tête en arrière tournée vers la fenêtre. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus de café dans son mug. Cela faisait longtemps qu’il se sentait comme un rat crevé hantant son propre appartement.

Il fut tiré de son élan poético-dépressif par la vibration de son téléphone sur la table-basse.

Son regard glissa sur l’heure affichée à l’écran alors qu’il le récupérait. Il était un peu tard. Qui pouvait bien lui envoyer un message à cette heure-ci ? Sa sœur ?

A. A. : Aujourd’hui écrire fut un véritable calvaire. Et puis j’ai repensé à notre dernière conversation et… Tu paries combien que Stiou va me tuer pour avoir commencé un nouveau livre plutôt que de finir l’actuel ?

Un sourire en coin se glissa malgré lui sur ses lèvres. Voilà deux mois qu’ils n’avaient pas parlé. Il avait l’art de disparaître et revenir comme si de rien.

Maelo : Bonjour, déjà. Et ensuite, je ne parie rien avec quelqu’un comme toi. Pas même s’il s’agit de descendre ce pauvre éditeur de Stuart Stephkins. Sinon, heureux de t’avoir écrit ton nouveau succès. On fait partage équitable sur les revenus ?

La réponse ne fut pas longue à attendre.

A. A. : Ouais, salut. Stiou, est loin d’être pauvre au vu du pourcentage qu’il touche sur le revenu des ventes. Et le génie réside bien plus dans les mots que l’histoire. Je pourrais faire gober n’importe quoi à mes lecteurs. Le monde entier se prosterne devant mon talent littéraire. Bref, tu ne mérites rien de plus que l’honneur d’avoir été la muse du plus grand écrivain de ce siècle.

A. A. était le pseudonyme d’un des plus célèbres écrivains anonymes actuels. Les médias faisaient toujours tout un foin de ses moindres paroles et faits publics, particulièrement parce que ceux-ci étaient très rares.

Maelo : Je constate que les derniers mois n’ont pas laissé ta modestie t’étouffer. C’est bien dommage…

A. A. : Calme-toi, Maël ! Ton nom n’est pas sur mon testament ! Et je suis bien loin de rendre l’âme. Ou la plume d’ailleurs. Je donnerais tort à ces pisses-froids de journalistes qui croient pouvoir prédire ma déchéance en même pas dix ans.

Maelo : Bien sûr qu’ils ont tort. Tu es le seul au monde à avoir raison de toute façon. N’est-ce pas ?

Selon la discussion qu’ils entretenaient depuis de nombreux mois maintenant – cela ne faisait-il pas plus d’un an déjà ? – Maelo pouvait affirmer que son correspondant était une série de façades bien montées, se chevauchant à la perfection. Rien ne laissait entrevoir un seul indice de qui pouvait être derrière. Il était un mensonge. Un mensonge agréable à lire, mais un mensonge tout de même.

A. A. : Évidemment.

A. A. : Mais je n’étais pas venu parler de cela, bien que vanter mes talents incommensurables sous tes yeux océan soit un plaisir inégalé pour le cœur et l’esprit.

Maelo : Tu me flattes.

A. A. : Toujours là pour illuminer le morne de ta vie très cher. Mais passons. Tu connais Le Petit Café Laumière.

Maelo : Heu, oui. Ma demi-sœur y travaille.

A. A. : Ce n’était pas une question. Je ne pose pas de questions ; je connais déjà les réponses.

Maelo : Évidemment. Arrête de gâcher ton fric dans des détectives qui se voient obligés de suivre le « morne de ma vie » vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Il ne s’étonnait plus de l’étendue des connaissances de son correspondant, surtout pas en ce qui concernait sa vie privée.

A. A. : Que tu crois.

Maelo : Bon, quel est le rapport avec ce restaurant plus que banal ?

A. A. : Il faut qu’elle démissionne. Dis-lui que si elle veut rester en vie, il faut qu’elle démissionne.

Maelo : … ?

Maelo : Tu délires complet. Tes romans te sont montés au cerveau et en ont fait de la bouillie.

A. A. : Cette décision n’est pas de mon ressort, Maël. Je ne peux pas vous assurer une plus grande protection sans perdre la face. Mon pouvoir n’est pas illimité et l’argent n’est clairement pas le plus grand intérêt de ceux qui veulent vous voir étalés sur la route dans un malencontreux accident.

Maelo : Tu as dit qu’ils ne savaient rien. Ils n’ont pas nos noms.

A. A. : Ils se rapprochent. Il faut brouiller les pistes. Faites ce que je te dis.

Mais il avait surtout tendance à se mêler de la vie des autres, donner des conseils absurdes et à les vanter comme absolus.

Maelo : Et pourquoi devrais-je écouter le faux numéro qui se fait passer pour mon écrivain favori au juste ?

Maelo l’avait fait. Une fois. Il avait écouté son premier conseil, apeuré par ses connaissances. Il en avait parlé à Lola. Ils avaient suivi ses instructions. Et les conséquences avaient été regrettables, bien que pas irréparables, heureusement. Il ne pouvait plus lui faire confiance.

La réponse mis plus de temps à venir, cette fois-ci.

A. A. : Je ne peux rien te prouver. Tu n’as que ma parole. Ma parole et mes craintes. Celle de vous voir tous partir en cendre un vendredi soir parce que vous avez décidé de régulariser heure et lieu de rendez-vous. Je t’avais dit de changer ça. Tu ne leur as rien dit.

Maelo : Écoute. Peu importe à quel point tu en sais sur moi et peu importe comment tu as eu ces infos. Ça ne te rend pas fiable à mes yeux pour autant.

A. A. : Faites ce que je dis, Maelo Perret, où vous y passerez et je ne pourrais rien y faire.

Maelo : Arrête de jouer les héros impuissants.

Maelo attendit, frustré, deux heures durant. Il n’eut aucune réponse.

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