Chapitre 03

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Ses rêves sont peut-être un peu spéciaux, mais comment juger quelque chose d'aussi abstrait et personnel si on ne peut pas rentrer dans la tête des gens pour comparer ?
 Globalement, rien n'existe, ou visuellement en tout cas. En revanche, il ressent des choses, à son grand désespoir, il ressent la chaleur.
 Quand les autres prétendent voir des histoires étranges qui n'ont pas de début et pas de fin, qu'ils font des voyages dans des pays magiques, qu'ils rencontrent des personnes stupéfiantes, Mercure ressent la chaleur.
 Le reste est noir.

Mais c'est aussi quelque chose de réconfortant en un sens, il ne connaît rien d'autre. Comment réagirait-il si tout à coup une image apparaissait, un mouvement, le processus d'existence qui se développerait pour la première fois ? S'il se voyait, ou voyait quelqu'un d'autre, si on le touchait, sa peau aurait elle des sensations ?
 Si c'étaient les mêmes que lorsque Agathe lui prend la main alors volontiers il accepterait de tenter l'expérience.

En attendant, le reste est noir.

***

« Demain l'été débutera. » Ce n'est pas une information, c'est plutôt comme un avertissement. Mercure n'a pas besoin qu'on lui rappelle.
 « Oui. Je sais. » Répond le garçon allongé sur le dos, Agathe est à côté de lui, sur le ventre, à feuilleter un livre qu'elle a déjà lu à plusieurs reprises. Les fenêtres de la chambre de la jeune femme sont ouvertes pour laisser passer l'air et la fraîcheur de ce matin, ou ce qu'il en reste, le soleil est déjà levé. Elle ferme son livre et repose sa tête.
 « J'ai déjà chaud. » Murmure-t-elle en fermant les yeux, une envie irrésistible de se recoucher, Mercure culpabilise. Soudain, Agathe dé-place sa tête sur la poitrine du garçon, sa cage thoracique s'ouvre en grand, l'air plein d'émotion passe fort au travers de ses narines, les lèvres bien serrées.
 « Cette chaleur, j'aimerais en profiter l'hiver. Avoir la même dans mon lit et j'y serai blottie. Elle nourrirait de beaux rêves et je me sentirai en totale sécurité. »
 Mercure sourit tant que la jeune femme ne peut pas le voir, lui aussi, il aimerait lui offrir tout ça.
 « Et puis, on regarderait les étoiles par la fenêtre.
 — A quoi ressemblent les étoiles ? »
 Agathe cherche ses mots, comme si elle s'apprêtait à expliquer à un enfant quelque chose d’aussi abstrait et évident que les étoiles.
 « Ce sont des centaines de petits points blancs dans le ciel, qui brillent. Elles sont un peu comme tes jolies taches de rousseur l'été, sauf qu'il y a plus d'étoiles dans le ciel que de taches de rousseur sur ton corps. Des milliers. Des centaines de milliers. Mais à l'œil nue, il nous est impossible de toutes les voir. Ce qui est précieux se cache.
 — J'aimerais les voir. » Agathe finit par lever la tête suite à cette envie très affirmative de son ami, en dissimulant son soupir, elle décide de lui prendre doucement la main. Mercure a le cœur qui bat plus fort, c'est sûrement ressenti par la jeune fille.

Ce qui est précieux se cache.

***

Se retrouvant seule lors de cette après-midi, Agathe ne s'ennuie pas du tout. Sur le sol de sa chambre est étalé un grand drap blanc déjà taché pour protéger son joli plancher, ainsi qu'un chevalet tout aussi grand qu'elle. La toile qu'elle y pose horizontalement a pour format cent trente centimètres par quatre-vingt-neuf, une très grande taille pour la jeune femme ambitieuse. Il ne lui reste plus qu'à enfiler le tablier que son père lui a cousu, et préparer ses couleurs.
 Du bleu, pour presque la totalité de l'œuvre, Agathe a une idée très précise de ce qu'elle veut, des émotions qui passeront, du moindre coup de pinceau qu'elle donnera.
 Les deux pots d'eau sont en place sur le tabouret, lui aussi, protégé par un torchon. Agathe plonge son pinceau le plus épais dedans, puis dans la teinte outremer qu'elle a réalisé elle même avec les couleurs de base, pas une seule goutte de noir.
 Le premier coup coule le long de la toile vers le bas, le deuxième l'étale, et tout ceci jusqu'à avoir rempli l'entièreté du tableau. Après ça, tout est simple comme bonjour, mélanger des bleus aussi différents que possible les uns avec les autres, créer des variations, des impressions de mouvement, un peu comme la mer. Agathe a le sentiment de se balader sur des vagues et faire escale sur des centaines de phares lumineux, ils sont tous différents.
 Elle se tache sur le chemin, rien de très grave, elle n'a aucune hésitation à récupérer la peinture de son tablier avec ses doigts et l'étaler de nouveau sur la mer et les phares lumineux, Agathe déteste gâcher.
 Après quelques heures de peinture déjà, les mouvements sont à la précision, grâce à de très fins pinceaux qui ne contiennent que quelques poils parfois, ils servent à poser de tout petits points, encore plus petits que les précédents.
 Le tableau est terminé, Agathe est fière. Elle le trouve assez réussi, même si ce n'est peut-être pas très réaliste. Ça plaira, elle en est sûre.
 Quand Monsieur Ford rentrera à la maison, elle se précipitera à lui montrer, avoir un avis d'artiste lui permettra de juger son travail, et de recommencer avec de bons conseils, ceux de son père sont plus importants que les autres.

***

« Je ne sais pas si c'est une bonne idée Agathe, le soleil va bientôt se coucher, nous n'aurons rien le temps de faire ensemble. » Lui explique Mercure, embarrassé par la vue du crépuscule qui se rapproche. Il suit tout de même son amie qui le tient par la main jusque chez elle. Mercure voit Monsieur Ford au passage quand ils passent le pas de la porte, il essaie de le saluer dans la précipitation, Agathe ne lui laisse pas vraiment le temps de discuter. Les voilà déjà dans l'arrière-cuisine, puis le couloir.
 « Vite ! » Elle l'emmène dans sa chambre et lui demande de s'allonger avec elle sur le lit, l'un à côté de l'autre. Le soleil se rapproche dangereusement du sol, Mercure sait qu'il va dormir ici, il n'aura pas le temps de rentrer chez lui. Chez lui...
 « Regarde. » Agathe pointe le plafond, sur lequel elle a accroché son tableau, de sorte à ce qu'ils puissent le voir en étant confortablement allongés.
 Alors, c'est la stupéfaction qui gagne le visage du jeune homme. Il voit quelque chose de nouveau, qui le fascine, ainsi, il fait le rapprochement avec la description qu'Agathe lui a donnée précédemment.
 « Ce sont les étoiles ?
 — A quelque chose près. Est-ce que ça te plaît ? » Le jeune homme hoche la tête à plusieurs reprises, la lumière diminue, ses paupières deviennent lourdes.

Mercure s'endort sous les étoiles pour la première fois.

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