Chapitre 09

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« Eh, regardez ce village pourri !

— Il a l'air abandonné, il n’y a personne.

— On pourrait casser tout ce qu'on veut. »

Trois voix insupportables viennent d'entrer dans le village de façon désinvolte. Ils posent leurs yeux sales sur les jolis édifices de Dryade, et chacun de leurs pas empourpre le sol, l'un d'eux crache par terre.
 Aujourd’hui la chaleur pourrait bien faire s’enflammer la ville entière.

Mercure et le Docteur Willem s’occupent aujourd’hui d’arroser les plantes des différentes maisons respectives du centre-ville. Ils transportent avec eux plusieurs seaux d’eau provenant de la rivière la plus proche, à quelques kilomètres de Dryade, en direction de la forêt d’érables. L’année dernière, même si tout le monde n’était pas parti, le jeune homme s’était incombé de cette tache et avait pris plaisir à voir les petites et frêles fleurs se rafraîchir sous quelques gouttes d’eau claires et brillantes.
 « Le Réverbère portait une chemise jaune flamboyante, selon sa description. Mais une fois la lumière éteinte, le monde endormi ne se souciait plus de la petite flamme, le Réverbère se mettait à pleurer toute la nuit, jusqu’au lendemain matin, où sa veste jaune se remettrait à briller sous la lumière. » Raconte le médecin sous l’oreille attentive de Mercure.
 « Et ensuite ?
 — Et ensuite, mon ami ne m’a pas encore envoyé la suite.
 Ils sèment sur leur chemin des petites flaques illuminées qui disparaîtront rapidement.
 « Je trouve cette histoire triste.
 — Oui, sans doute. » Le Docteur se frotte le front et pose pour de bon son seau près de ses pieds. Les efforts deviennent compliqués pour son âge, et la chaleur ne lui procure aucun avantage. La plante en pot devant laquelle il se trouve, sur un balcon à la peinture dégarnie, est sur le point de mourir, ses feuilles s’accrochent péniblement aux branches et sa terre ne respire plus.
 « Je crois que celle-ci ne repartira pas, Mercure. » Son orientation est mauvaise l’après-midi, le soleil lui inflige une lente et cruelle douleur. Mercure se rapproche du vieil homme pour déplacer la plante sur le sol, sous l’ombre du balcon.
 « Bien sûr qu’elle y arrivera. L’année dernière, j’en ai sauvé une dizaine.
 — Nous devrions faire une petite pause, moi aussi je meurs de soif. Et puis, regarde, Mercure, le ciel se voile au fond. Il va peut-être pleuvoir encore aujourd’hui. » Le jeune homme lève les yeux vers le ciel et ne le regarde pas d’un bon œil, le Docteur Willem peut même y déceler une sorte de dégoût en coin de bouche.
 « Ce n’est pas une bonne pluie... » Souffle Mercure, puis il récupère précipitamment les seaux d’eau pour les mettre à l’abri de l’orage qui approche.
 « Au moins, il fera moins chaud que ce matin, je n’en peux plus de cet air lourd... » Le Docteur Willem suit les pas de Mercure tout en secouant sa chemise. Il est certain qu’ils ne voient pas les choses de la même façon.
 Le Docteur frotte les verres de ses lunettes, abrité avec son hôte sous la tonnelle d’une épicerie sur la rue marchande principale. L’attitude de Mercure attire son attention, le jeune garçon est gêné, peut-être mal à l’aise. Il secoue ses mains sur ses bras, et se frotte les mollets l’un après l’autre avec ses pieds. La pluie qui se met à tomber est très fine d’abord, les nuages voilent le ciel avec lenteur sous l’aspect de feutres qui s’emmêlent.
 « Mercure, quelque chose ne va pas ?
 — Le ciel est une source de méfiance quand il se profile de la sorte. Je le sais, parce que j’ai déjà vu des malheurs terribles dans le temps sous un ciel noir de colère. » Mercure se met à observer autour de lui frénétiquement, tourne son dos et son corps dans tous les sens, il faut inspecter le moindre recoin de cette rue.
 « Est-ce que le ciel orageux te fait peur parce que tu ne connais globalement que le beau et chaud soleil de l’été ? Il n’y a rien de terrible, au moins la pluie apportera de la fraîch...
 — Ce n’est pas ça. » Alors que le Docteur attend une autre explication, Mercure est incapable de rajouter quoi que ce soit. Le silence soudain doit être une source d’angoisse supplémentaire pour lui, l’invité tente de trouver une explication, et de quoi le rassurer.
 « Qu’est-ce qui te fait peur Mercure ?
 — Je ne sais pas...
 — Tu assimiles peut-être l’orage à de mauvais souvenirs, mais cen’est pas grave, rentrons dans ce cas, nous mettre à l’abri. Il y a aussi de fortes chances pour que le manque de luminosité ne te mette pas à l’aise, viens te reposer. »
 La pluie devient chaude et le vent s’intensifie, il soulève les voiles de bateaux, les rideaux des fenêtres restés ouvertes, les feuilles des plantes encore en vie, les drapeaux, ... Les gouttes fines s’écrasent sur les façades de maisons et sur les bâtiments divers, Mercure l’observe taper contre la vitre depuis l’intérieur de la bibliothèque de Dryade, elle le protège de l’agression de cette pluie hostile et de tous ces malheurs.
 Le jeune homme s’accoude sur le rebord de la fenêtre, le filet d’eau ne peut pas être aussi proche de son visage. Il se dit qu’en les observant plus intimement, en sublimant tous ses détails, il pourrait penser à autre chose. Ses épaules se mettent à sursauter en rythme et sa tête à se pencher d’un côté ou de l’autre. Dans les gouttes d’eau et dans cette espèce de décor bleu et gris informe, il voit Agathe qui remue son bassin et ses épaules elle aussi. Sauf qu’elle, elle s’y prend beaucoup mieux. En fait, Agathe est douée pour beaucoup de choses, elle ressent beaucoup plus de choses. La jeune fille ne lui propose pas sa main, mais par le regard et ses lèvres qui chantent, Mercure est entraîné avec elle. Quand il l’a rejoint, les cordes de la guitare se mettent à grésiller, il faut subtilement écouter et avoir de suffisamment profondes sensations musicales pour associer les sons entre eux, ils créent de solides mélodies indissociables. Saisir l’intérieur d’une goutte d’eau n’est pas simple pour tout le monde. Peut-être faut-il ne surtout pas la regarder avec les yeux.
 La chaleur de la pluie se glisse sur leurs corps qui se frottent en rythme. Agathe lui demande de tourner avec elle, et elle lui explique qu’elle sait exactement comment faire tomber la pluie. Mercure ne peut pas s’empêcher de la dévorer sagement des yeux.
 Tant que ce vinyle tournera, Agathe dansera.

Mercure crispe ses doigts, son visage est posé dans sa main et son dos est voûté, donnant l’impression d’une bête renfermée en elle-même, il a réussi à s’immiscer dans l’étroite goutte d’eau qu’il imagine depuis qu’il est assis devant cette fenêtre. Avec les yeux fermés cependant, elle est plus qu’infinie.
 Le Docteur Willem s’approche du garçon pour le recouvrir d’une douce couverture. Être installé dans le renfoncement de la fenêtre, sur un canapé étroit et de confortables oreillers, ne doit pas être désagréable. Sinon, le Docteur l’aurait déplacé vers un des sofas de l’étage d’en dessous. Ensuite, le vieil homme retourne s’asseoir dans son fauteuil, en face de Mercure, ouvrant un livre sur ses genoux. Une lettre ouverte faisait office de marque page jusque-là. De la fumée se met à émaner de sa pipe, alors que le regard du docteur pour l’instant ne quitte pas Mercure des yeux.
 « Il ne fait plus assez jour. » Murmure-t-il en caressant sa lettre du bout des doigts. Le Docteur change le croisement de ses jambes pour la deuxième fois.
 « Le Réverbère est triste lorsque personne n’a besoin de sa lumière. Je crois comprendre la majeure partie de tes inspirations. »

Dans l’air du port de Dryade, et on peut l’entendre d’ici, un éclat retenti, suivit d’une épaisse fumée blanche.

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