Chapitre 14

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Le dîner est plutôt froid, sans mot, le fracas incessant des fourchettes contre les assiettes n’est pas agréable. Tout ceci est bien étrange, il y a beaucoup à échanger pourtant, à propos de l’incident du port, de l’arrivée du Docteur Willem, du départ organisé de tous les habitants de Dryade... Agathe ne se sent pas très à l’aise.
 Les trois personnes sont installées autour de la table dans la salle à manger du foyer des Ford, au menu, rien de très appétissant, à savoir des conserves réchauffées au micro-ondes. Pas de fruit, pas de légume frais, rien qui n’ait survécu à leur absence dans le frigo depuis tout ce temps. Les biscuits qui étaient dans les placards sont pour beaucoup morcelés, et s’il y avait du chocolat dessus, alors il se retrouve étalé dans le fond des emballages. Le groupe aurait pu cuisiner un plat de pâtes, les féculents en stock se portent toujours très bien, seulement voilà, ils ne sont que de passage dans la maison. Manger implique de quitter la clinique et laisser Mercure sans surveillance, vaut mieux écourter au maximum cette absence.
 Fort heureusement dans cette déprime culinaire, Agathe est absolument ravie à l’idée de pouvoir avaler les cuillères entières de miel. Ce pot d’environ cinq cents grammes n’est réservé qu’à elle, Monsieur Ford en à absolument horreur, même si ce miel provient d’un apiculteur du village voisin. Le père d’Agathe lui en rapporte lorsqu’il part livrer ses bateaux à l’extérieur de Dryade, il prend toujours le même chemin pour en sortir.
 Retrouver sa chambre est un bonheur. Agathe s’y isole le temps que son père et leur invité terminent de manger. Ensuite, ils retourneront à la clinique. Pour l’instant il n’est pas prudent de ramener Mercure chez eux, alors d’accord, Agathe y passera le plus clair de son temps.
 La jeune femme déballe toutes ses affaires et entreprend de les ranger, mais la simple vue de son carnet la distrait complètement. Alors elle s’allonge sur son lit et feuillette les pages, encore et encore. Ceci durera un moment, quand Monsieur Ford approche et pousse la porte, elle est presque endormie.



***



« Est-ce que tu vas m’observer encore longtemps ? » Questionne le médecin qui est en pleine concentration pour poser les pétales correctement. Cette partie est importante, il recouvre les brûlures qui se situent sur le visage de Mercure. Le pauvre garçon n’a pas encore ouvert les yeux. Agathe hausse les épaules.
 « Il va bientôt faire nuit, aucune chance qu’il ne se réveille.
 — Ah, vous avez remarqué. » Intervient enfin la voix sans grande motivation d’Agathe, qui caresse avec délicatesse les cheveux de Mercure. Le luminaire du plafond crée de nombreux reflets sur sa rousseur.
 « Il est arrivé plusieurs fois que nous n’ayons pas vu l’heure passer, et que ce jeune homme s’effondre sans raison à la nuit tombée. Oui, j’ai remarqué. » Le Docteur Willem sourit comme si c’était drôle, ou bien normal. Mais en y pensant, il n’y a rien d’amusant, le Docteur reprend son sérieux.
 « Ce n’est pas normal, je ne comprends pas.
 — Nous non plus, mais il vaut peut-être mieux ne pas chercher. Après tout, moi, Mercure, je l’aime comme ça. Ça me permet d’être complètement excitée à l’idée de le voir, de profiter pleinement de ces moments que je passe avec lui. Et puis, j’ai quelques rêves. » Agathe ferme les yeux, son corps la pousse à s’assoupir après n’avoir rien fait de l’après-midi.
 Le Docteur Willem pose ses instruments sur la table en métal près de lui, et retire ses gants, dans un petit soupire il jette un regard par la fenêtre, il fera bientôt noir.
 « Docteur, pourquoi recouvrez-vous son corps de fleurs ? » Ne pas pouvoir répondre complètement à cette question l’amuse, et dans l’autre le terrifie.
 « Il faut recouvrir les brûlures avec certains produits pour les aider à cicatriser. J’ai appliqué plusieurs compresses pour bien les hydrater, je les ai nettoyés, j’ai trouvé dans les placards plusieurs crèmes... mais une sorte de petite voix m’a dit que pour Mercure, la médecine traditionnelle ne lui apporterait rien. Et je ne sais pas pourquoi, j’ai été cherché ses fleurs. » Le vieil homme prend une des fleurs encore intactes dans ses mains pour l’observer, et n’y voit rien de plus qu’une fleur jaune. Il n’en avait jamais vu de pareille.
 « Mercure aime beaucoup ces fleurs, il dit qu’il se sent bien dedans. Alors l’hiver dernier quand il est venu hiberner à la maison, papa lui a aménagé une chambre rien que pour lui qui ressemblait plus à un nid qu’à un lit, et on lui a rapporté plein de ses fleurs. Il était très heureux. » Même après avoir vécu plusieurs semaines avec Mercure, et avoir plus ou moins compris son cycle de sommeil, le Docteur Willem affiche à nouveau un visage consterné. Plus rien ne devrait être étonnant concernant Mercure. Le médecin de frotte le visage. Mercure lui en avait parlé pourtant.
 « Très bien... il est tard Agathe, tu devrais rentrer chez toi, ton père va s’inquiéter.
 — Il ne s’inquiétera de rien, il n’y a personne à part nous.
 — Comme tu voudra. Passe une bonne nuit. »
 En partant, le Docteur éteint la lampe qui se trouvait près de lui, qui lui permettait d’y voir plus claire, et ce qui réduit considérablement la luminosité à présent. Le luminaire du plafond est entouré de plusieurs petites bestioles dues à la chaleur, mais elles ne font pas du bruit. Après avoir entendu plusieurs portes s’ouvrir et se fermer, de plus en plus lointaines, il n’y a plus de son. Ça ne procure aucune peur à Agathe de se retrouver seule éveillée dans une clinique vide, les histoires d’horreur ne l’intéressent pas. Et puis elle n’est pas toute seule, Mercure est avec elle.
 Agathe ferme les yeux à peine deux minutes, selon elle, pourtant au moment de les rouvrir, il fait nuit et la lumière s’est éteinte automatiquement au bout de vingt minutes. Une unique chose brille merveilleusement dans le noir, les Fleurs de Mercure.
 La jeune femme se redresse brutalement en lâchant un discret
 « Ouah ». Elles sont comme un habit qui met le corps de Mercure en valeur, lui et ses cheveux de la couleur du soleil. Agathe ne rêve pas cette fois, elle est bien réveillée et elle voit son ami briller comme un feu d’artifice. Elle le trouve beau, et crève d’envie qu’il se réveille pour le lui dire.



***



Un garçon qui vit au rythme du soleil, qui hiberne l’hiver, maître de la chaleur et qui peut se soigner par des fleurs que personne n’a jamais vu auparavant. Le Docteur Willem croit de moins en moins à ce qu’il est en train de vivre. Il n’a pas fait part de ses observations à Agathe ni à Monsieur Ford, mais il a constaté une très nette amélioration de l’état de Mercure depuis qu’il a appliqué les pétales de fleurs jaunes sur sa peau. Et puis, il y a ce village désert... Le Docteur Willem tourne en rond dans la chambre de l’auberge et se creuse la tête pour enfin réfléchir à une explication. Peut-être que Mercure est atteint d’une maladie encore inconnue, ou bien que son cas n’ait pas encore été étudié. Toutes ces questions lui provoquent un interminable mal de tête. Pour se soulager, le Docteur se met à prendre des notes dans son carnet.
 Il écrit à l’intérieur de puis le jour où il est arrivé, sans plus de sérieux, un peu comme s’il racontait simplement ses journées, mais maintenant, Mercure lui semble être un sujet d’étude sérieux. Il pourrait contacter les hôpitaux dans lesquels il a travaillé, les laboratoires les plus réputés du pays, ou même plusieurs de ses confrères médecins. Il ne peut pas garder tout ceci pour lui, c’est trop intrigant, il a besoin d’aide. Et à la fois, ne rien dire serait même égoïste.
 « Ce garçon n’est pas humain... » Murmure-t-il à destination de ses propres pensées.
 Alors, immédiatement, le Docteur Willem se met à rédiger une lettre.

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