Chapitre 36

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Lors d’un dernier coup de balai sur la terrasse, la restauratrice reçoit un petit groupe d’adolescents qui lui paraissent être d’inhabituels clients. Ils portent chacun un sac typique d’un équipement de lycéens, peut-être que l’un d’eux est plus jeune et vient d’un collège. Sûrement le frère d’un autre. Elle s’imagine qu’ils vont lui commander une grenadine chacun et qu’ils payeront avec leurs petites pièces de font de sac. Depuis que le soleil est revenu, la terrasse est toujours pleine, les affaires sont fleurissantes, travailler dans ces conditions est vraiment agréable, la restauratrice adore cette période de l’année. Oui, quand le Soleil revient.

Le petit groupe hésite à s’approcher, pour l’instant la femme ne réagit pas, elle pose son balai et fait mine de repartir vers la cuisine. S’ils ont le courage, ils l’arrêteront pour leur demander ce dont ils ont besoin. C’est finalement le plus jeune d’entre eux qui retient la porte avant qu’elle ne se ferme. La lumière qui frappait sur le comptoir se déplace en même temps que le verre de la porte. Ses joues sont toutes rouges mais on dirait qu’elles se sont naturellement, ce sont comme des plaques sur sa peau.

« Bonjour Madame, euh, on a une question avec mes copains. » Le prix ? De la place ? Un lieu qu’ils cherchent ? Il n’y a rien de très intéressant à Dryade à part la grande bibliothèque près du jardin communale.

« Euh, on cherche quelqu’un. C’est un garçon, euh, qui s’appelle Mercure. Il habite ici ? »

La restauratrice s’essuie les mains dans son tablier en même temps qu’elle fait demi-tour vers les adolescents, tout sourire.

« Si vous cherchez Mercure, vous aurez peut-être du mal à le trouver, il ne se trouve jamais au même endroit. C’est un garçon très gentil vous savez ? Il est formidable ! Il s’est occupé de mes hostas l’année dernière, je pensais qu’elles étaient mortes mais quand je suis revenu elles étaient en parfaite santé ! » Pendant que la dame parle, un des cuisiniers se rapproche du comptoir discrètement, seulement pour écouter ce dont elle parle. Le jeune garçon et ses amis affichent des expressions surprises, ils s’échangent des regards excités.

« Euh, il existe vraiment alors ?

— Bien-sûr, et on pourra dire ce qu’on veut mais finalement, sa chaleur nous fait du bien ! » Intervient enfin le cuisinier, lui aussi à l’air ravi de parler de Mercure à ses écoliers. Ravie. Tout le monde est ravi.

Les adolescents s’empressent de se retrouver entre eux pour glousser et attraper immédiatement leurs chers téléphones portables. Les employés du restaurant s’interrogent, on dirait bien que finalement ils ne prépareront aucune grenadine.



***



Frapper à la porte d’une jolie petite propriété fleurie, et voir un grand et costaud monsieur barbu leur ouvrir surprend la bande d’adolescents. Aucun des lycéens, encore une fois, n’est assez courageux pour engager la conversation. Le gamin aux joues rouges s’avance tout en enfonçant ses mains dans ses poches, il n’a tout de même pas l’air très confiant.

« Euh, bonjour Monsieur. On cherche eux, Mercure. Des gens nous ont dit que vous le connaissiez bien. Euh. » Les autres adolescents hochent la tête, c’est leur façon de soutenir le cadet sans doute. Monsieur Ford est au courant du mouvement provoqué par Dylan sur internet, il se doute que ces gamins cherchent à savoir si tout ça est vrai, ou si ce ne sont que des histoires. S’ils en sont arrivés là, à sa maison, c’est qu’ils ont entendu pas mal de choses dans Dryade. Monsieur Ford ne dit rien, il réfléchit à ce qu’il va pouvoir leur dire, quand soudain, Agathe déboule devant la porte avec des yeux ronds, ses oreilles traînaient par ici. Elle dépose un regard très lourd sur les adolescents, ils pourraient la prendre pour une folle avec un visage pareil. Malgré tout, elle essaie d’avoir l’air aimable.

« Vous pouvez répéter ? Je n’ai pas bien entendu, hé-hé.

— Euh... On cherche Mercure. C’est le gars sur internet. » Agathe fait mine de contracter le plus gros fou rire de sa vie. Les adolescents reculent de plusieurs pas.

« N’importe quoi ! Il n’existe pas voyons, et vous croyez le trouver dans notre maison ? Cette blague est drôle. Allez, rentrez chez vous, au revoir ! »

Agathe ferme brusquement la porte, elle s’y adosse et se retrouve face à face avec son père. Personne ne parle, et Agathe est très agacée.

« Comment ces ados sont arrivés chez nous ? C’est grave !

— Agathe.

— C’est trop dangereux si plein de gens débarquent chez nous et se mettent à courir après Mercure ! » La jeune femme s’agite dans tous les sens, surtout ses mains qui volent d’un côté à l’autre. Elle donne mal à la tête à son père qui lui reste parfaitement calme, debout, et immobile, un regard calme sur la poignée de porte qui se trouve juste derrière, le reflet d’Agathe bouge encore et encore sans s’arrêter.

« Agathe. » Répète Monsieur Ford. Entre deux ou trois mots elle attrape son téléphone pour immédiatement consulter les réseaux sociaux.

« Et puis, comment ça se fait que tout le monde est gentil avec Mercure en ce moment ? C’est forcément à cause d’eux si ces gosses sont arrivés jusqu’ici, ils parlent trop ! Ils ne se doutent pas qu’en balançant à tout va que si Mercure à des sortes de pouvoir magiques il risque qu’on le harcèle ? Qu’on le découpe comme le stipulent ces horribles lettres ? Tout le monde est trop gentil, ça cache quelque chose, ça cache quelque chose...

— Agathe ! » Hausser la voix est très inhabituelle de la part de Monsieur Ford, alors la jeune femme se tait aussitôt, il n’y a plus de reflet qui bouge dans la poignée de porte. La dernière fois qu’il a crié, c’était il y a une dizaine d’années, c’était pendant le dernier jour avec Maman.

« Agathe, veux-tu m’écouter maintenant ? » Avec attention, Agathe hoche la tête.

« Bien. Les habitants se sont réunis, ils ont parlé de Mercure. Ils ont constaté que le village allait très bien en rentrant à la fin de l’été grâce à lui, que même si ce n’était que des jardins ou des fleurs, des poussières par-ci par là, ils auraient dû être un peu plus reconnaissants. Cet hiver, il a beaucoup plu. La pluie aussi menaçait les récoltes, si Mercure ne s’était pas réveillé, ça aurait été un désastre. Si Mercure ne se réveillait pas chaque Printemps, ce serait une catastrophe à chaque fois. Voilà ce qu’ils ont dit. Alors ils se sont mis d’accord, et avec insincérité, ils devraient tous être plus gentils avec lui. »

Sans voix. La connexion est peut-être longue, comme une fleur qui éclot, elle est difficile à croire au vu des derniers évènements. Monsieur Ford ne ment pas.

Encore un petit effort, et c’est bon. Agathe se met à sourire, en fait, elle est même folle de joie. Elle saute sur elle-même et enlace son père.

« C’est une très bonne chose mais ça n’a rien a voir avec moi. Ce n’est pas moi qui mérite de fêter ça. » Les yeux de Monsieur Ford redirigent ceux d’Agathe sur le rouquin qui se tient près de la porte du salon, qui les observe en silence. Dans ses mains, il tient une fleur jaune, il lui caresse les pétales tout doucement, l’un d’eux est déchiré.

« Mercure, je ne savais pas que tu étais rentré. » Au lieux de laisser la joie sur son chemin, Agathe laisse place à de la culpabilité. Parce que Mercure est là...

« J’ai été, disons, visiter la maison de Porcelaine. » Explique -t-il en regardant tendrement la fleur blessée. Agathe se sent obligée de s’excuser immédiatement, elle lui explique qu’elle ne voulait pas casser la plupart des objets, abîmer les meubles et détériorer les murs, que tout ça n’était qu’un accident.

Mercure dit oui de la tête, il caresse de nouveau la fleur, les fibres du pétale se referment tout doucement. Même s’ils l’ont déjà vu faire et que ce n’est pas la première fois, les guérisons de Mercure sont toujours stupéfiantes. Le rouquin hausse les épaules, il a les yeux qui brillent, c’est tout de même modéré.

« Ce n’est pas très grave, on peut tout réparer. »

Agathe se rapproche et lui prend les mains sans déranger la fleur, il a raison pour la Maison de Porcelaine, pour les lettres en revanche...

« Les lettres dont tu parles, qui veulent me découper, je ne les ai pas lues, mais tu sais Agathe, ce n’est pas la première fois.

— Comment ça...

— Les gens ne me veulent pas du mal, ils veulent simplement être les premiers à crier au monde entier qu’ils ont fait une découverte fantastique, c’est normal non ? Alors ce n’est pas du tout la première fois, et pas la dernière. Mais à chaque fois, je me suis retrouvé avec des personnes en qui j’avais confiance. Aujourd’hui je suis toujours là. Et je pense que tant que je serais avec toi, tout ira bien. »

Elle n’arrive pas a penser à autre chose, c’est cruel. La majorité des gens ne parviennent pas à simplement admirer ce qui est beau, peu importe s’il faut tout charcuter pour comprendre comment ça marche. On ne retire pas une à une chaque fibre de la toile qui porte une œuvre d’art. Agathe prend la fleur et la place tout doucement dans les cheveux de Mercure.

« La Maison de Porcelaine te fait davantage mal au cœur que de savoir que des gens veulent te disséquer parce que tu es spécial ? » Mercure se met à sourire, c’est vrai que c’est amusant.

« Oui. » Elle le prend dans ses bras, la chaleur se repent contre elle.

« D’accord. Moi aussi tant que je serais avec toi, je ferais en sorte qu’il ne t’arrive rien. Je te le promets Mercure. Je t’aime. »

Cette fleur jaune est le symbole de son engagement.

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