Chapitre 2 - Un journal intime pour me soigner

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Ce matin, mon dénuement intellectuel est complet. Il n’y a rien qui puisse accrocher mon esprit et débrider mon imagination. Je n’ai plus rien à donner, alors je décide de rédiger un journal intime à la manière d’un adolescent tourmenté.

Pas de date – des jours numérotés simplement - sans distinction (pour moi, tous les jours se ressemblent).

Jour 1.

État des lieux.

Je loge au 5ème étage, sans ascenseur, d’un vieil immeuble dans le quartier du port de Bristol.

L’appartement est simple, succinct : surface, vingt et cinq mètres carrés exactement (c’est dans le contrat de location) : une entrée étroite, sombre, éclairée par une ampoule en bout de fil qui se balance dès que j’ouvre la porte ; une salle de bain sur la gauche, guère plus grande que l’entrée ; une pièce à vivre, spacieuse si on la compare aux deux pièces précédentes, mais pas de quoi réunir une équipe de foot. C’est une pièce caméléon, elle fait office de salle à manger, salon, chambre et bureau lorsque je travaille à mes manuscrits. Enfin, une kitchenette minuscule logée dans un coin près de l’entrée.

L’ameublement est sommaire : un divan clic-clac déplié par flemme plus que par nécessité, une caisse de vin en guise de chevet, une table et deux chaises, une armoire avec deux portes latérales et un miroir central (le seul meuble que j’ai récupéré en quittant le nid familial) et un bureau avec matériel informatique, le lieu où je suis censé passer le plus clair de mon temps, mais qu’en ce moment, j’abhorre (vous devinez pourquoi). Contre un mur, une cheminée de chambre condamnée. Les murs sont nus et chaulés. Aucun tableau, aucune photo y sont accrochés.

Voilà mon domaine : un studio d’étudiant. Je n’ai plus les moyens de me payer un logement correct. Je suis tombé dans la déchéance complète.

Pourtant, si je reviens un an en arrière, ...

Mais n’allons pas trop vite en besogne. Je dois expliquer pourquoi et comment j’en suis arrivé là.

Un titre : « Historique d’une passion »

Je suis un écrivain. Oui, je peux le dire. Un écrivain connu et reconnu. En vérité, je n’ai écrit qu’un seul livre qui a eu un incroyable succès.

Et maintenant, je dois écrire le second. Vous voyez un peu le problème ? Mais essayons de remonter encore plus loin dans le temps, à l’origine, à ce besoin irrépressible qui m’a poussé à coucher sur le papier des mots, des phrases, des histoires.

Ce besoin m’est venu paradoxalement d’une malédiction lancée par un être satanique, revêtu du costume de l’enseignant. Un être méprisant, raciste qui me prédisait un futur médiocre loin des belles lettres, sans intelligence autre que celles de mes mains. Il répétait inlassablement pendant ses cours que j’étais obligatoirement et irrémédiablement handicapé par mes origines. Il avait poussé sa haine jusqu’à inscrire ces propos dans mon dossier scolaire.

Je suis fils d’immigré, enfin pour être plus exact, arrière petit fils d’immigré. Mon arrière-grand-mère, au début du siècle dernier, avait suivi les bagages d’un lord pressé de quitter ce beau mais si triste pays qu’était et qu’est encore l’Inde. Depuis le sang de l’Indus s’est mêlé à celui de la Tamise puis à celui de l’Avon de Bristol. Je suis Anglais. Il ne me reste d’Indien guère plus que le teint légèrement sombre de ma peau, une crinière de jais et bien sûr la profondeur séduisante de mon regard, et un léger, à peine perceptible, hochement de tête qu’il m’est impossible de réprimer.

Mais revenons à notre professeur de lettres.

Ses remarques acerbes, loin de m’abattre, froissèrent mon orgueil, et me poussèrent à m’intéresser encore davantage à la littérature. Cela passa d’abord par la lecture. Je découvris mon premier livre sans image « La case de l’oncle Tom » qui détermina, en grande partie, l’être que je suis aujourd’hui. L’écriture s’imposa tout naturellement, guidée par le besoin de coucher sur le papier mes émotions, de croquer les personnes qui m’entouraient, et d’imaginer des histoires.

Je dois à ce professeur d’écrire encore aujourd’hui (jusqu’à ma panne d’inspiration, cela va sans dire). J’écris désormais principalement sur mon ordinateur, mais ma vieille machine à écrire est toujours là, prête, guettant la panne de courant ou le bug informatique. Et lorsque, je ne dispose ni de l’un ni de l’autre, je me tourne vers les plus simples des outils : la plume, le stylo, le crayon. N’importe quel support peut faire l’affaire : une nappe déchirée sur la table d’un pub, un post-it, un coin de page d’une revue, voire un morceau de bois (oui, ça m’est déjà arrivé). Peu importe, dès qu’une idée surgit, je dois absolument la coucher sur le papier.

J’écris, sauf qu’aujourd’hui, je suis en panne.

Fin du jour N° 1.

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