Chapitre 4 - Une promenade morose

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Jour N°3

Le soleil de ce mois de juin brille déjà de mille feux. Ses rayons filtrent au travers les stores entrouverts et dessinent sur le mur un tigre à la peau noire striée de bandes jaunes. Un de ces tigres que j’ai eu l’occasion de croiser au cours d’une chasse, lors de mon voyage dans la jungle du Rajasthan (pour en savoir davantage, lisez le chapitre 18 de mon roman « Les âmes damnées de l’Indus », encore en librairie. Si vous ne le trouvez pas, je peux vous l’envoyer. Il vous suffit de m’envoyer votre adresse, les frais de port son à ma charge, un chèque de ...)

Je m’égare, voilà-t-il pas que je me prends à jouer au commercial alors que je sais pertinemment que ces quelques lignes ne seront lues par personne. J’efface !

Je continue.

Emmitouflé dans mes draps, je tends une main hésitante vers le vieux réveille-matin mécanique, un cadeau de mon père que je me suis résolu à accepter malgré son tic-tac assourdissant et obsédant. Je jette un œil torve sur le quadrant. Les deux aiguilles hissées fièrement à la verticale m’avertissent que je risque fort d’être très en retard à mon rendez-vous hebdomadaire.

Dans un effort surhumain, je tire le drap coincé entre mes jambes, sur le côté, roule hors du lit et bascule en avant et d’un bond, je me hisse sur les genoux. La veille au soir, j’étais sur les rotules suite à une beuverie solitaire et inutile à relater tant elle ressemblait à toutes les autres. Première fois que je réussis du premier coup cette pirouette.

Un signe.

La journée promet d’être belle. Murphy a décidé de me laisser tranquille. Tout va bien. Qui sait, la page blanche se noircira de quelques phrases aujourd’hui ? Je n’ose l’imaginer.

D’un autre bond, celui-là plus tonique, je me hisse sur mes deux pieds, étire mes membres, évite de tourner le regard du côté du store où la lumière jaillit comme des rayons laser. J’ai les yeux gonflés comme des balles de tennis et le moindre rayon de soleil risquerait bien de les faire exploser. Je fouille sous les draps repliés, en extirpe un t-shirt, le renifle et estime que les effluves de bière et de sueurs acides ne jureront pas là où je dois me rendre. Un jean froissé. Parfait. Il se fondra sans difficulté dans la foule de jeunes qui squattent le lieu de rendez-vous : un pub vintage dans une rue sordide de Bristol.

Enfin, pas si sordide que ça, car depuis qu’un certain Banksy a tapissé les murs de ces premiers tags, elle est devenue un lieu à la mode, grave tendance dirait-on en langage jeun’s. D’ailleurs, il faudrait que je m’y mette justement à parler comme les mouflets, si je veux vendre mes bouquins. Non, il n’en est pas question. Phrases inutiles, je biffe.

Le pub, haut lieu de « beer » (bière), « shandy » (panaché) et « squash » (sirop pour les enfants), est tenu par James Swanson et sa femme Hilda, depuis une vingtaine d’année, et ce, sans à aucun moment, donner un signe de fatigue ou de mauvaise humeur.

Ici, jamais, au grand jamais, n’éclate une bagarre. Si par malheur un pochtron a l’envie d’en déclencher une, les clients autour se chargent très vite de le dissuader et au pire de le jeter avec perte et fracas.

Il ne faut pas moins d’une semaine pour réserver une table. Heureusement que nous sommes des habitués et que le patron nous a à la bonne. Notre table à l’intérieur ou à l’extérieur nous est toujours réservée.

En à peine deux minutes, je plonge ma tête sous l’eau, me débarbouille, démêle ma logue crinière noire, la rabat en arrière et la noue en un chignon à l’arrière du crane. Puis je me coiffe d’une casquette et enfile des tongs.

Je sors de l’appartement, descends les quatre étages de la vieille bâtisse où je loge depuis maintenant cinq ans. Une fois sur le plancher des vaches, je pousse la porte donnant sur la rue et me trouve éclaboussé par la lumière aveuglante de ce jour de juin. Cette lumière qui inonde la rue de couleurs chatoyantes, le sourire béat des passants qui me saluent trop gentiment, leur bonheur affiché me dépriment, me laisse dans la bouche comme un goût de guimauve. Et Dieu sait que j’ai la guimauve en horreur, ça colle aux dents, c’est sucré, et on a l’impression déplaisante de ne jamais en finir avec elle.

J’arpente les rues sans joie, sans même l’envie de ce rendez-vous. Il y a foule. Les gens me saluent, des inconnus. Par politesse, évidemment ! Je n’imagine pas un seconde que ce soit à cause de ma renommée. Où vas-tu chercher ça, William ?

Tiens, j’avais complètement oublié de t’informer, toi, lecteur qui ne lira jamais ces lignes, que je me nomme William Logan. J’ai 28 ans, je suis né à Bristol (Angleterre) d’un père british jusqu’au bout des ongles et d’une mère issue d’une famille indienne, serviteur zélé d’un colon anglais.

Je m’égare encore, poursuivons.

Face à ces regards chaleureux, ces saluts engageant, et ces sourires gluants, je ne peux répondre que par une pauvre grimace, un léger hochement de tête et le pincement du revers de ma casquette. Il y a si longtemps que je n’ai pas éprouvé la moindre joie que j’ai presque oublié comment sourire. Pourtant ce devrait être simple, non ? Il me suffirait d’étirer les lèvres et de poser un regard tendre sur ces gens, en pensant à quelque chose d’agréable, de beau, de bon pour donner un rendu plus authentique. Non, ça m’est impossible. Je suis odieux, je ne peux me qualifier autrement. Ces pauvres gens ne sont en rien responsables de ma déprime. Mais qu’importe, je n’ai aucune envie d’être agréable avec qui que ce soit, et tant pis si les gens me prennent pour un Français.

Je marche, les yeux rivés sur mes chaussures, lorsque, dans mon champ périphérique, j’avise sur la chaussée un pick-up roulant au pas, le capot customisé de couleurs flashy et portant une énorme inscription « Exotic Circus» sur les portières latérales. Quatre individus, à l’arrière, haranguent la foule des passants. L’un d’eux est un clown au regard sévère, un autre, une femme énorme portant autour du cou un boa un véritable boa. Brr ! Le troisième est un athlète affublé d’une moustache à la Dali. Il tient, à bout de bras au-dessus de sa tête un haltère gigantesque qu’une minuscule demoiselle s’empresse de récupérer et range dans un coin du pick-up. Elle brandit un gigaphone qu’elle pose en équilibre sur le genou du géant et de sa voix métallique annonce : « Venez, ce soir à l’Exotic Circus, assister à l’incroyable spectacle d’un éléphant, d’une girafe et d’un lion, formant une pyramide et d’autres numéros plus fous les uns que les autres ».

Je lève les yeux et me fends d’un imperceptible sourire ; le premier depuis bien longtemps. Mais le naturel reprenant le dessus, mon visage se ferme aussitôt. C’est à peine si je remarque les yeux flamboyants de Madame Morisson, la boulangère (elle en pince pour moi) qui se tient devant la porte de sa boutique, les mains sur ses hanches généreuses et qui me lance un regard des plus aguichants. Je détourne les yeux, passe devant elle, tête basse, et me sens tout de même obligé de lui marmonner un « good morning » approximatif.

Que fais-tu William ? Es-tu obligé d’être aussi antipathique ? À ce train là, tu vas le monde entier va finir par te détester. Cette femme est un amour, d’une gentillesse à toute épreuve et ses croissants, oh, ses croissants, les seuls à t’apaiser. Va falloir que tu te reprennes, mon pote, que tu évalue sérieusement tes priorités, et madame Morisson en est une ; pour ses croissants, bien entendu. Pour le reste, Emma fait très bien l’affaire.

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