Chapitre 6 - Chez le psy

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Une semaine plus tard

J’ai réussi à obtenir un rendez-vous avec le psy. Un miracle, selon Owen. Un signe que la chance est avec moi et que ma mauvaise passe va sans aucun doute prendre fin. J’en suis convaincu, du moins, j’essaie de m’en convaincre, du coup mon moral vire au beau. Comme quoi, le psy a déjà accompli la moitié du travail. Ce serait top, vu la galère dans laquelle je suis embarqué. Mais je ne sais pas trop à quoi m’en tenir en ce qui concerne ce psy. C’est une pointure apparemment, mais je ne vois pas comment il va s’y prendre pour me sortir de ma dépression. Je me suis toujours méfié de ces professions qui triturent nos méninges, fouillent dans la poubelle de nos sombres pensées, et violent notre âme. Quelque part, un psy, c’est un genre de voyeur qui se repaît des tourments de ses patients, un mec qui se vautre sur son fauteuil et l’autre, (moi, en l’occurrence), couché sur un canapé, les yeux plantés au plafond, sans même pouvoir échanger un regard avec lui, raconte sa vie et s’épanche sur ses tourments.

Celui-là, en revanche, il ne doit pas s’attendre à ce que je fasse le toutou à sa mémère. Je n’ai jamais aimé mettre mon âme à nu devant un inconnu. D’abord, je ne me coucherai pas sur son divan, je m’y assoirai et nous parlerons tous les deux les yeux dans les yeux.

Bon, c’est pas tout, je gamberge, je gamberge, mais je ne dois pas oublier que mon rendez-vous est à deux heures et il est moins le quart. Pas de panique, le cabinet est à deux pâtés de maisons.

Je ferme mon fichier Word, qui me demande si je veux l’enregistrer. Je réponds non. J’ai à peine noirci une page. Encore de la bouse. J’éteins l’ordi, enfile un imper et sort.

La rue est grise, ses couleurs presque entièrement effacées par une pluie fine. Une pluie pas désagréable du tout, rafraîchissante, surtout après ces derniers jours de chaleur accablante. Les odeurs de terre mouillée se mélangent à celle des pelouses des jardins fraîchement coupées. J’ai l’impression d’être à la campagne. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me sens vraiment respirer. J’oserais même dire que je suis… heureux. Heureux de l’un de ces bonheurs simples qui ne tiennent qu’au temps qu’il fait et à la quiétude qu’il apporte. Un temps qui m’incite à oublier mes tourments, toujours en embuscade dans un recoin de mon esprit, oublier l’écrivain désespéré, ou tout simplement, oublier William Logan, le British.

Je passe devant la boulangerie et pousse la porte. Aujourd’hui, j’ai envie de voir le beau sourire de la boulangère et de goûter son délicieux pain aux raisins. Elle est aux anges, elle m’accueille, me couve d’un regard limpide et ne répond même pas quand je lui demande de me servir. En d’autres temps, avant Emma, j’aurais fait, de cette si belle femme, mon quatre-heures, mon repas du soir, et même mon petit-déjeuner du lendemain. Elle, bien sûr n’aurait pas dit non. Elle est folle de moi. Et tout ça, depuis qu’un jour, j’ai eu le malheur de lui nettoyer d’un revers de la main une tache de farine qu’elle avait sur la joue. Le contact de ma main sur sa peau avait mis le feu à son cœur et à son corps. Je m’en étais bien rendu compte à la couleur de ses joues. Pauvre Madame Morisson qui se consume d’amour pour moi, et pauvre de moi qui ne sait comment faire pour obtenir ses viennoiseries sans succomber à ses avances. Car j’aime les viennoiseries de ma boulangère, pas la boulangère.

Je sors avec mon pain aux raisins après avoir énergiquement enlevé ma main lorsque madame Morisson a tenté de me l’empoigner en me rendant la monnaie. J’avance sur le trottoir en me dépêchant d’avaler sa douceur avant que la pluie ne la transforme en une bouillie infâme.

La pluie dégouline sur ma chemise qui maintenant me colle à la peau. Le temps est doux et la pluie est fraîche. Cette sensation légère me rappelle ce moment d’extase que j’ai vécu avec des villageois, dans la campagne indienne. Ils étaient tous sortis de leur demeure pour accueillir la pluie qui, enfin, tombait à verse après des mois de sécheresse. Ils dansaient les bras au ciel grand ouverts en tournant sur eux-mêmes tels des derviches tourneurs. Intrigué par le brouhaha, j’étais sorti avec mon parapluie, mais très vite, je m’étais laissé envahir par leur douce folie, et après m’en être débarrassé, je dansai avec eux. J’étais trempé jusqu’aux os, mais n’avais pas froid. Mes vêtements me collaient à la peau, comme actuellement et je n’en éprouvais aucune gêne. Pourquoi n’ai-je pas écrit cette scène dans mon bouquin ? Un jour, je devrai m’y atteler.

J’arrive devant la porte du centre de santé mentale. J’escalade les trois étages de l’immeuble sans ascenseur, j’ouvre une lourde porte qui donne sur une salle d’attente, dans laquelle plusieurs patients patientent assis sur des fauteuils molletonnés en velours vert pomme. Une couleur joyeuse, espiègle, fraîche propre à rassurer la clientèle, qui se marie bien avec le jaune œuf de poule des murs m’éclabousse. Un décor rassurant et juvénile qui contraste avec la mine patibulaire de la secrétaire, assise derrière un bureau au style indéfinissable, en bois sombre patiné.

Dès qu’elle lève les yeux de son écran d’ordinateur, elle se prend la tête entre les mains et me lance un regard catastrophé. Et pour cause, après la saucée que je viens de prendre, je suis une véritable fontaine ambulante, dégoulinant sur le parquet. Elle se dresse sur sa chaise et, d’un signe sec de la main, m’indique un portemanteau près de l’entrée. Je me déleste de mon imperméable, secoue la tête tel un chien passé dans une mare et me lisse les cheveux avant de la rejoindre.

La grincheuse se rassoit sur son siège, et, d’un ton agacé, me demande de décliner mon identité. Je m’exécute. Avant de m’inviter à entrer dans le cabinet, elle m’avertit que le docteur a été appelé pour une urgence et qu’il aura un peu de retards. Je me confonds en excuses pour le désagrément que je lui ai causé, enfin que j’ai causé au parquet. Je suis sur le point d’ouvrir la porte du cabinet du psy quand je vois entrer dans la salle d’attente, un homme âgé, les quatre-vingts ans passés, revêtu d’un long manteau, et sur la tête chapeau mou rabattu sur ses yeux lui cachant le visage. Chapeau qu’il n’ôte même pas, se contentant d’en pincer le revers en signe de salut. Il tient une canne à la main qui ne l’empêche pas de boiter.

Je ne m’attarde pas sur cette attitude peu courtoise, mais plutôt sur cette canne, ce chapeau et cette façon de pincer les bords qui me rappellent quelqu’un. Je pousse la porte. La pièce n’a rien d’original, elle est l’archétype d’un cabinet de psy. Les murs sont tapissés de couleurs pastel, douces, apaisantes. L’indispensable canapé, vert olive celui-là, fait face à un bureau en bois sombre. Derrière le bureau, s’élève une bibliothèque débordant de livres sur la profession, j’imagine. Une table basse portant des revues et plusieurs jouets d’enfants sépare le canapé du bureau. Une plante d’intérieur, un ficus, est calée dans un coin près de la fenêtre. Il fait plus vrai que nature, je m’approche, touche une feuille, ma première impression était la bonne, c’est une plante artificielle. Méfiance, si ce psy ne prend pas le temps de s’occuper d’une plante, je n’ose imaginer comment il traite ses patients.

J’avise derrière le bureau, un fauteuil cossu pouvant pivoter sur lui-même. Je considère le canapé d’une moue dédaigneuse et opte pour le fauteuil beaucoup plus confortable et surtout amusant. J’ai plusieurs minutes devant moi et je compte bien de profiter de l’aubaine. Je m’affale sur le fauteuil, plie une jambe sur un des accoudoirs et le fait tourner autour de son axe. Je m’amuse comme un gamin, mais pris d’un doute, je m’immobilise et jette un regard circulaire dans la pièce.

Merde, j’espère qu’il n’y a pas de caméra. J’aurais l’air malin si le psy me voyait ou si la secrétaire entrait. Arrêtons de faire l’idiot et voyons ce que je peux raconter à mon journal intime. Où j’en suis des jours ? Oh, tant pis, pas besoin de les compter. Reprenons...

« Aujourd’hui, grand jour, je suis chez le psy. Premier jour de ma bataille contre le trou noir. Que dire ? Il pleut à verse et je suis entré dans la salle d’attente dans un piteux état. La réceptionniste m’a foudroyé du regard. Penaud, je me suis vite débarrassé de mon imper, me suis excusé, mais apparemment, ça n’a pas suffi pour la grincheuse. Qu’importe, je suis entré dans le bureau du psy et je l’attends sur son fauteuil. Dès qu’il pointera le bout de son nez, je me jetterai sur le divan. Je ne sais pas encore l’attitude que j’adopterai. Devrais-je me coucher ou rester assis ? Je n’ai guère envie de rester allongé sur le dos et de parler au plafond. C’est complètement stupide. C’est décidé, je resterai assis et nous verrons comment réagira le gugusse. Owen m’a dit qu’il était super, un peu spécial, mais super. Par conséquent, je n’ai rien à craindre. Ah, on toque à la porte. Fin pour aujourd’hui du journal intime ».

Je plonge mon carnet dans ma sacoche et pose mes mains sur les accoudoirs pour me lever du fauteuil quand la porte s’ouvre brutalement sur le vieil homme que j’ai entre aperçu dans la salle d’attente. Sans un regard pour moi, retire son chapeau et son manteau, l’accroche au portemanteau, puis se dirige vers le canapé où il s’allonge.

Complètement déconcerté, je me demande l’attitude que je dois avoir ? Owen m’a prévenu que ce psy emploie des méthodes peu orthodoxes. Peut-être que s’allonger à la place du patient fait partie de sa thérapie. Je décide de ne rien faire pour le moment : je me rassois, croise mes jambes, pose mes bras sur les accoudoirs et attend patiemment. L’homme se redresse, s’assoit au bord du canapé et se tourne vers moi. Je ne sais toujours pas quoi faire. Est-ce à moi d’engager la conversation ou dois-je attendre qu’il me pose des questions ? Mon regard croise le sien, j’ai le sentiment qu’il est dans le même état d’esprit que moi. Le temps s’étire entre nous deux et me donne l’occasion d’étudier ce visage. Ces yeux, je connais ces yeux, mais oui, c’est lui. C’est incroyable, mais c’est lui.

Il baisse les yeux, se couche de nouveau et fixe le plafond. Comme si quelqu’un, quelque part, ouvrait les portes de son âme, il commence à parler.

— Docteur, je suis dans le dernier quart de ma vie et pourtant, hier est encore si proche. Imaginez, j’ai cinq ans : les jupes de ma mère me protègent du monde. J’en ai dix, maintenant : une épée en bois à la ceinture et je suis un chevalier de la table ronde. Vous voyez, docteur, le temps est assassin, il me crucifie.

Il dit n’importe quoi. Voilà qu’il me prend pour le psy.

— Monsieur, je ne suis pas...

— J’ai quinze ans : je baisse le regard devant les filles, tant elles me font peur. J’en ai vingt : je suis sous les drapeaux, à l’abri du monde qui ne va pas tarder à m’engloutir et après… le trou noir du travail qui réduit à peau de chagrin le reste de ma vie. Le temps est passé si vite, docteur. Il m’a transformé en un individu aigri, cynique et désabusé. Plus rien ne m’enthousiasme. Voilà où j’en suis docteur.

Je suis scotché. En seulement trois phrases, cet individu m’a résumé toute sa vie. Je devrais l’engager pour pitcher mes romans. Mais une question me trotte dans la tête : et si ce vieux n’était pas mon psy ? Se pourrait-il autrement que ce soit une astuce pour me mettre à l’épreuve ? Non, c’est impossible, il s’est trompé de cabinet. C’est forcément un patient.

Un patient que je connais... Merde, c’est lui. Il n’y a aucun doute.

Mon pire cauchemar.

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