Chapitre 16 - Baptême de l’air

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Une heure passe. Pas de nouvelle de Crowley.

Côté inspiration, c’est la Bérézina, elle s’est effondrée puis s’est éteinte complètement. Tout comme mon ordinateur dont la batterie faute de charge a rendu l’âme. J’ai oublié de le brancher à la prise de courant. Imbécile, va ! Je le raccorde, le rallume et constate que j’ai perdu une bonne partie de mon texte. J’enrage, j’ai beau fouiller dans ma tête, elle aussi s’est vidée. Je n’arrive plus à enchaîner deux phrases, deux mots même.

Crowley a disparu et je suis bloqué.

Merde, c’est pas possible ! Ce gars est un sorcier ! Il faut que je le retrouve à tout prix. Je l’appelle avec mon téléphone. Le sien égrène ses bips languissants, mais rien, Crowley ne décroche pas. La messagerie cruelle me renvoie sur les roses. J’insiste, pas de réponse. J’insiste encore, toujours pas de réponse. J’ai perdu le décompte du nombre de fois que j’ai appelé ce satané numéro. J’abandonne et m’écroule sur mon ordinateur.

Je ferme les yeux et me rendors, le téléphone coincé contre mon oreille. Les anges n’ont pas besoin de fenêtres pour venir se poser dans mes rêves. Ils me murmurent des histoires extraordinaires, une prose inégalable digne d’un Grand Prix littéraire. Mais les ailes des anges brûlent, et partent en fumée. Des cornes poussent sur leur front et le diable, dont le visage ressemble trait pour trait au vieux professeur, efface tout. Lorsque je me réveille, je ne se souviens de rien. Je me maudis, car j’ai le sentiment que mon rêve était extraordinaire.

Alors, je me rendors avec l’espoir de retrouver ce rêve et qu’il restera ancré dans ma mémoire au moment du réveil.

...

Une sonnerie de tous les diables explose à mes oreilles. Le téléphone saute sur ses bases tel un cabri. Je me redresse, décroche et ouvre mon ordinateur. J’appuie sur une touche du clavier, l’écran s’éclaire : le visage ridé du vieux professeur surgit tel un diable de sa boîte.

— Monsieur Logan, au secours. Il faut à tout prix me venir en aide, s’écrie-t-il, agitant un bras comme un sémaphore.

— Monsieur Crowley, enfin ! Où êtes-vous, sacré nom de Dieu ?

— Le problème n’est pas où je suis, mais comment je peux y rester sans me crasher.

— Expliquez-vous !

— Regardez !

Le visage de Crowley disparaît de l’écran, remplacé par une vue sur le cockpit et un zoom sur une main attachée par une corde bien serrée au manche de l’aéroplane.

— Monsieur Crowley, vous êtes attachés ? Qui vous a fait ça ? Où est-le pilote ?

— Ce fumier ⸺ excusez-moi d’être grossier mais il n’y a pas d’autres mots pour qualifier cet odieux personnage ⸺ m’a emprisonné au manche, et a sauté en parachute. Mais je n’ai pas le temps de faire la causette, vous devez à tout prix me dire comment je fais atterrir ce fichu coucou.

— J’appelle mon ami Owen, et je vous mets en contact. Surtout, ne décrochez pas, je vous mets en double appel.

La gorge sèche d’angoisse, je compose le numéro de mon ami. Owen décroche aussitôt.

— Alors, t’as des nouvelles ?

— Oui, et je vais te le passer.

— Comment ça ? Qu’est-ce qui lui arrive ?

— Aide-le. Il va t’expliquer. Je mets en conférence.

— Monsieur Lawson, aidez-moi à faire atterrir cet avion. Vite, s’écrie Crowley, la voix tremblante.

— Mais vous êtes attaché. Qui vous a fait ça ?

— Le pilote et il a sauté. Je suis tout seul. J’ai l’impression que je perds de l’altitude.

— Attendez. Sous le tableau de bord, sur votre gauche, se trouve un compartiment. Vous le voyez ?

— Oui !

— Vous pouvez l’atteindre avec votre main libre.

— Oui.

— Fouillez, et vous devriez trouver des ciseaux ou un couteau.

— Oui, je vois un cutter. Je coupe. C’est bon et maintenant.

Je respire. À partir de cet instant, Crowley n’a plus qu’à suivre les instructions que lui donne Owen pour qu’il rétablisse l’assiette de l’avion et qu’il revienne à la base.

— Très bien, Monsieur Crowley. Vous n’avez plus qu’à fixer du regard le nez de l’avion devant vous. Il doit rester à l’horizontale, c’est pas plus compliqué que ça. Maintenant nous devons vous faire revenir. Où êtes-vous ?

— Qu’est-ce que j’en sais.

¾ Regardez en bas. Faîtes glisser la verrière et jeter un coup d’œil. Que voyez-vous ?

— De l’eau. Je suis au-dessus de l’océan.

— De quel côté est le soleil ?

— À gauche.

— C’est le matin. Comme il est à l’est, vous filez plein sud vers les côtes françaises. Vous devez faire demi-tour. Je vous explique.

— Très bien. Attendez, je vois la terre devant moi.

— Parfait. Vous y êtes. Écoutez-moi, voilà comment vous allez procéder.

Owen n’a pas le temps de terminer son explication que Crowley le coupe.

— Merci, j’ai compris. Je vous rappelle dès que je m’approche des côtes anglaises pour que vous m’aidiez à atterrir, répond-il, puis il coupe immédiatement la communication.

— Attendez, c’est pas terminé. Chié, il a coupé. Tu sais, William, ton mec commence à me les briser menu, fulmine mon ami.

— Je sais et je peux te dire que dès qu’on le récupère, je veux plus le revoir. Je sais pas le jeu qu’il joue, mais…

— Tu crois qu’il se fout de nous ?

— Attends, moi à sa place, je ne la ramènerais pas large. Je voudrais surtout rester en contact en permanence avec toi, au cas où. Tu crois pas ?

— T’as raison. Il était pas fier de lui quand il nous a appelés. Alors que là, il se joue « je maîtrise à mort ». C’est pas peu trop ça ?

— Je crois qu’on va arrêter de se faire du mouron pour lui. On ne peut rien faire d’autre que d’attendre qu’il appelle. Je te remercie pour ton aide. Je te laisse. By !

— D’accord, appelle-moi dès que t’as des nouvelles de lui. À plus !

Je coupe le téléphone avec le sentiment diffus que cette histoire, loin d’être terminée, ne fait que commencer. Ce Crowley est vraiment un individu étrange. Il passe de la panique complète à une maîtrise impressionnante. Que va-t-il bien pouvoir me réserver maintenant ? Si je veux continuer mon écriture, je dois à tout prix éviter le stress. Pour cela, je dois prendre du recul et aborder les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. De toute manière, s’il est réellement au-dessus de l’océan, et qu’il a les côtes françaises en vue, comme il le prétend, il lui faudra un certain temps avant de changer de cap, revenir et atteindre Bristol. Deux, voir trois heures au minimum. Alors, autant en profiter pour écrire.

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