Chapitre 18 - Une balade dans le désert

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C’est le petit matin. J’ai fini par m’endormir avec mon ordinateur toujours sur mes genoux. Un bip sur mon téléphone m’annonce un message.

J’ai atterri. Enfin, presque. Vous verrez. Je vous passe ma vidéo. Je vous appelle demain matin.

Déconcerté, sans pourtant en être le moins du monde étonné, j’allume mon ordinateur et me connecte à sa tablette. L’écran affiche toujours la même image du cockpit. Le ciel est d’un bleu lumineux, mais déjà des étoiles scintillent de-ci de-là. J’ai déjà vu cette image la veille au soir. La voix de Crowley commente le voyage :

« Tout va bien, je maîtrise. Jusqu’à maintenant, je suis sain et sauf. Mais j’ai la mauvaise impression que je ne suis pas dans le bon sens. Où suis-je, sacré nom d’une pipe ? Je ne devrais pas être loin de Bristol, à l’heure qu’il est. C’est quoi, cette dune à gauche et cette bande de plage de sable blanc ? Des kilomètres de plage, incroyable. Je suis en France. Trop beau. Je continue. »

L’avion poursuit son vol le long de la côte landaise, puis, la chaîne des Pyrénées, le Portugal, descend vers le sud, passe le détroit de Gibraltar et le Maroc… Crowley n’a plus qu’à virer vers l’Est et il survolera l’Algérie. Son pays. On dirait qu’il m’a entendu.

« J’y vais, dit-il. Je trouverai bien un aéroport qui m’aidera à atterrir. Que se passe-t-il ? »

Un tourbillon tel un vortex en furie s’enroule autour de la carlingue. Le pare-brise subit l’assaut d’une tempête de sable réduisant la visibilté à presque rien.

« Je n’y vois plus rien, non, sur ma gauche… une fumée blanche. L’hélice s’arrête de tourner. Je vais me crasher. Un parachute, vite.»

Le hublot de secours s’ouvre et voilà Crowley projeté dans les airs. Il a pris soin de garder sa tablette avec lui et continue à filmer. En bon professionnel qu’il n’est pas censé être.

Ce gars est vraiment incroyable.

Son parachute s’ouvre, il plane au-dessus des nuages puis plonge à la verticale dans une purée de pois. Avec un cran incroyable, Crowley poursuit son récit.

« Je ne vois pas le sol, j’ai peur. Je tombe, je tombe. Ay ! Ça fait mal. Je fais un roulé-boulé, le parachute s’enroule autour de moi. Je m’en extirpe et rampe pour me mettre à l’abri. Le vent souffle toujours aussi fort. »

L’image se brouille. On distingue à peine l’ombre d’une dune dans la tempête de sable. Le sifflement du vent est accompagné d’une détonation.

« Merde, l’avion a explosé. C’est bon, j’ai compris, mon espoir de revenir par les airs s’envole en fumée. »

La tempête faiblit avec le jour qui se lève. Crowley se débarrasse de son parachute et examine la situation. À l’entendre, il n’a pas l’air paniqué du tout.

« Voyons voir où je me trouve. Apparemment, en plein désert. Devant moi, des dunes, derrière, à droite, des dunes, rien que des dunes. Non, de ce côté, j’aperçois comme une bande bleu-gris se confondant avec le ciel. Ça doit être la mer, c’est bon, je devrais m’en sortir. À condition d’avoir la force d’arriver jusque-là et de disposer d’assez d’eau. Je devrais trouver de quoi me désaltérer dans mon sac à dos que j’ai eu la bonne idée d’emporter avec moi. Au fait, j’ai mis quoi dedans ? Un rasoir, hyper utile. Ma tablette, non pas ma tablette, je l’ai dans mes mains. Un chargeur pour mon portable, super. Va falloir que je trouve une prise (humour). »

J’y crois pas ! Ce vieux croulant qui marche sur une patte, en plein désert, à mille lieux de la mer, si tentée que ce soit vraiment la mer, ne trouve rien de mieux que de verser dans la dérision. Non, ce gars-là n’est pas le Crowley que je connais. Poursuivons la vidéo, voyons ce qu’il va me réserver maintenant.

« Au fait, il en est où mon portable ? 80% de charge, très bien. Un couteau, un peigne et, ah, voilà, une demi-bouteille d’eau. Je ne risque pas d’aller bien loin avec ça. Je vais devoir me rationner. Bon, comme on dit « quand il faut y aller, faut y aller ». »

Privé de sa canne, il saisit son parachute avec une énergie surprenante, et, en claudiquant, le traîne derrière lui. Ses chaussures de toile s’enfoncent dans le sable déjà chaud, une chaleur qui ne fera que s’intensifier à mesure que le soleil s’élèvera dans le ciel. À bout de souffle après à peine cent mètres de marche, il marque une pause, puis grimpe jusqu’au sommet de la deuxième dune, et scrute l’horizon. La mer est toujours là. Se laissant rouler jusqu’au bas de la dune, il appréhende la suivante. Il continue ainsi, mais chaque nouvelle dune devient de plus en plus difficile à franchir. Il continue pourtant à avancer gardant toujours en point de mire le filet gris bleu qui pointe à l’horizon.

Je suis impressionné par sa résistance. Ce vieil homme n’a rien en commun avec celui que j’ai connu. C’est impossible que ce soit lui. Celui qui m’a fait souffrir pendant tant d’années était un trouillard. Il suffisait qu’un parent excédé par son comportement vis-à-vis de son enfant se plaigne pour qu’il batte pavillon et d’une voix mielleuse accepte tous les griefs. Quant à ses capacités physiques, il n’en avait aucune, il était chétif, gringalet incapable du moindre effort. Alors cet homme ? Pourtant, je n’ai eu aucun doute. Je l’ai bien reconnu quand je suis tombé sur lui dans le cabinet du psy.

Mais il se peut que je me trompe. Certains êtres humains se révèlent face aux épreuves. Après tout, Crowley a connu une autre vie après le collège. Peut-être fait-il partie de ces êtres d’exception qui savent se hisser à la hauteur des difficultés qu’ils rencontrent ? Je poursuis le visionnage de la vidéo.

Après avoir franchi la cinquième dune, Crowley abandonne son parachute, se redresse, met une main en visière au-dessus de ses yeux et scrute attentivement l’horizon. Il commente à mon attention :

— C’est étrange, la bande bleue et grise que j’ai aperçue en arrivant s’est éloignée un peu plus. Elle a même changé de couleur. Attendez, je cligne des yeux pour régler ma focale et je vois clairement… le sable. Ce n’est pas la mer, mais le désert, l’interminable désert. C’est un mirage, déduit-il en se laissant tomber au sol, complètement abattu. Il s’assoit et emprisonne ses genoux entre ses bras.

L’image disparaît de l’écran.

Le téléphone sonne à nouveau. Je décroche sans plus attendre.

— Oui, Monsieur Crowley, où êtes-vous ? Je n’ai plus aucune image sur mon écran, ce n’est pas normal, vous nous aviez promis…

— Je ... Je ne sais pas. J’ai froid. Je suis perdu au milieu de nulle part. Le soleil n’est pas encore levé. Je crois que je vais dormir un peu...

La voix s’éteint, l’écran s’allume à nouveau, une image apparaît : un point blanc au milieu d’une étendue de sable.

Crowley s’est enroulé dans son parachute et dort.

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