Chapitre 12: Plainte et Petite-amie

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Assise sur le petit sofa en velours vert du salon de chez Leya, cela fait cinq minutes que j'ai fini de raconter ce qu'il s'est passé sur le parking du Cassiopée. Les yeux grand ouverts, la bouche qui pourrait accueillir des mouches, mes trois collègues sont sans voix. Leur silence commence à me gêner légèrement. C'est finalement la jolie brune qui prend la parole.

— Putain, mais ce n'est pas possible! s'emporte finalement Leya, en envoyant valser un pouf d'un coup de pied. Pourquoi tu ne nous l'as pas dit sur le parking? On aurait appelé les flics...

— Nous ferions mieux de toutes nous calmer, intervient Vanina d'une voix plus modérée. Il ne sert à rien de nous énerver alors que Roxane est saine et sauve.

La brune, qui s'est postée devant la fenêtre, foudroie la tahitienne d'un regard noir.

— Certes, mais toutes les femmes n'auraient pas eu le même courage. Imagine qu'il s'en prenne à une autre ce soir, demain ou un autre jour... Et que cette fois-ci, il arrive à ses fins.

Bien qu'elle ait raison, je trouve le comportement de Leya un peu exagéré. Ce n'est pas elle qui, il y a moins d'une heure, était coincée entre une voiture et un pervers, sous le regard attentif de toute une tribu de lobotomisés du bulbe incapable de réagir.

— On va y retourner et faire venir la police, lance-t-elle d'une détermination sans faille. S'il est encore là, au moins on aura pas tout perdu.

Elle semble tellement obstinée que , à peine sa phrase terminée, elle est déjà sur le pas de la porte, clé en main.

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, lui répond Astrid, qui revient de la cuisine un verre d'eau à la main. Regarde Roxane, elle est encore toute chamboulée.

Les traits de Leya se déforment, on dirait que des flammes vont sortir de ses yeux. Elle qui a un visage doux avec des traits assez fin, le contraste est limite flippant. C'est comme si la poupée Chucky avait trouvé une rivale de taille.

— C'est à cause d'une jeune femme qui, comme Roxane n'a rien fait, que je me suis faite violer à l'âge de treize ans ! hurle-t-elle.

Cette révélation fait l'effet d'une bombe dans ce petit appartement. Même Vanina qui tournait en rond a fini par s'asseoir. Si l'ambiance était déjà pesante, elle est à présent glaciale. Mais quelle horreur ! Comment peut-on s'en prendre à une enfant. Le monde ne tourne vraiment pas rond.

— Je... commencé-je.

— Ne me dis pas que tu es désolée si c'est pour rester là sans agir ! me coupe la brune, les yeux embués.

Les aveux de ma collègue résonnent en écho dans ma caboche et me font réfléchir à deux fois. Et si ce fumier était déjà en train de s'en prendre à une autre femme, voir même à une jeune ado. Elle a raison, je ne peux pas laisser ce sale type s'en tirer ainsi. Je prends la paroles en me redressant fébrilement sur mes deux jambes.

— Retournons-y !

Un sourire franc se dessine sur les lèvres de ma collègue, qui se précipite dans mes bras.

— Merci, chuchote-t-elle à mon oreille. Tu n'as pas idée comme cela est important pour moi.

En moins de cinq minutes, nous sommes toutes les quatre confinées dans le petit habitacle de la 107 qui nous emmène à vive allure vers les lieux du crime.

Alors que je suis questionnée par une femme en uniforme bleu, mon agresseur, qui était toujours devant le bar, se fait interpeller.

— Espèce de pute, crie-t-il en se débattant, alors qu'il est fermement maintenu par deux autres agents. Mais regardez comme elle est vêtue, elle appelle au viol cette cochonne.

— Tais-toi, tu aggraves ton cas, intervient le plus petit des deux policiers, en contraignant l'homme à entrer dans le véhicule.

Je suis captivée par la scène qui se déroule sous mes yeux, quand la policière m'interpelle.

— Souhaitez-vous déposer une plainte ? demande-t-elle sans compassion aucune dans sa voix.

— Bien sûr qu'elle le veut, s'interpose Leya.

La policière, peu aimable, la foudroie du regard.

— Merci de ne pas répondre pour votre amie. Alors ?

Son regard se pose de nouveau sur moi. Elle semble impatiente, tapant nerveusement du pied par terre, alors qu'elle mâche bruyamment son chewing-gum. Je ne peux m'empêcher de me dire que son comportement n'est pas vraiment de circonstance.

— Évidemment, et j'ai un avocat, finis-je par lui annoncer.

— Parfait, alors pointez-vous avec lui, demain, au commissariat de secteur, place du Général de Gaulle.

Son ton sec et son manque d'empathie me consternent, mais je n'en fais pas cas. Elle tourne les talons pour rejoindre ses collègues et ils nous faussent compagnie. Leya me prend dans ses bras.

— Merci, me soupire-t-elle à l'oreille.

Quelque part, je suis contente qu'elle m'ait secouée un peu. Maintenant que le choc est redescendu, je sais que je me serais sentie mal si je n'avais rien fait. Je n'ai pas le temps de lui répondre que l'on m'interpelle depuis l'autre bout du parking.

— Roxane ?

Oh non, pas cette voix ! Je commence à la connaître que trop bien. Dans un mouvement non calculé, nous nous retournons toutes les quatre pour faire face à l'homme qui m'a interpellé.

— Mais oui, il me semblait bien vous avoir reconnues depuis l'entrée.

Robin, qui a sorti son sourire spécial dents blanches, s'approche dans notre direction, une blonde perchée à son bras. Je ne peux m'empêcher de la reluquer de la tête au pied. Un mètre quatre-vingt, robe violette moulante et talons à haute plateforme, seins tellement refaits qu'ils menacent de s'échapper du décolleté faramineux et, au manque de souplesse de ses cheveux, on distingue les rajouts à des kilomètres. Alors c'est ça son style de nana ? Le genre qui va polluer la planète quand elle sera enterrée tellement elle est composée de plastique ? Un petit pic se fait sentir dans ma poitrine, mais je me contente de l'ignorer. Après tout si c'est ce genre de femme qui lui plait, je n'ai aucune jalousie à avoir.

"Jalousie ? Non mais Roxane, réveille-toi c'est ton collègue et en plus tu le détestes. Tu devrais plutôt être ravie qu'il ait trouvé une autre proie, au moins il te lâchera les basques !" me sermonne ma conscience, installée sur un sofa, bouquinant en toute tranquillité.

— Robin, mais que fais-tu là ? l'interroge Astrid avec un sourire franc.

À vrai dire, je suspecte qu'elle en pince légèrement pour notre jeune interne. Toute la semaine, elle n'a eu de cesse de nous parler de son joli fessier bien rebondi.

— Le Cassiopée est un bar réputé, les filles. Vous n'en avez pas le monopole pour vos soirées, ironise-t-il.

La blonde, toujours à son bras, se racle la gorge, comme si elle se sentait exclue de la conversation.

— Excusez-moi, se rattrape l'homme brun, je manque à mon devoir. Voici, Abby, ma petite-amie, Abby voici Astrid, Leya, Vanina et Roxane, des collègues de boulot.

" Petite... quoi ?" répète ma conscience tellement abasourdie par ces informations récentes, qu'elle en a fait tombé son bouquin.

Mais quel enfoiré, et dire qu'il m'a fait du rentre-dedans, pas plus tard que cet après-midi, alors qu'il est casé. Le sang me monte à la tête et je vais finir par exploser si je reste sur place. Il est clair que cette histoire m'affecte bien plus qu'elle ne le devrait mais, après ce qui s'est passé avec l'autre pervers, je suis à fleur de peau et mes sentiments sont complètement détraqués.

Alors que la conversation bat son plein entre Robin, la blonde plastique et mes collègues, je décide de m'éloigner prendre l'air.
Ressassant encore et encore les événements de la soirée, je slalome entre les voitures, tel un lion en cage, quand on me saisit par le bras.

— Tu vas bien ? me questionne Robin, en m'obligeant à lui faire face. Leya m'a raconté pour le type.

L'inquiétude est clairement palpable dans son regard alors qu'il me toise de la tête aux pieds comme pour vérifier que je n'ai aucune marque. J'ignore à quoi il joue, mais son comportement ne fait qu'accroître la colère que je contiens depuis le début de cette soirée.

— Je ne vois pas en quoi cela te concerne ! répliqué-je sèchement. Maintenant, tire-toi ou je rappelle les flics pour que tu subisses le même sort que l'autre dingo.

Mon ton est ferme et mon regard rivalise avec le sien. Ses yeux me pénètrent intensément et je perds tout contrôle de moi-même. Sa main, toujours cramponnée à mon bras, m'électrise de tout mon être.

"Non, non , non et non !" se fâche ma conscience. "Il est en couple".

Bien que ces informations parviennent à mon cerveau, mon cœur ne cesse de tambouriner de plus en plus fort dans ma poitrine. C'est finalement le klaxon d'une voiture qui me ramène à la réalité.

— Lâche-moi, sommé-je en me défaisant de son emprise.

— Mais...

— Mais quoi? le coupé-je violemment. Au lieu de t'inquiéter pour moi, va expliquer à ta blonde comment tu t'y prends pour draguer tes collègues.

Son visage se décompose, laissant place à de la tristesse. Sérieusement, il croit m'avoir comme ça ? Avec tout ce qui s'est passé ce soir, je n'ai ni l'envie ni la force d'être empathique avec lui.

— Écoute, Roxane, commence-t-il doucement. Je suis désolé si mon comportement t'a offensé, ce n'était pas le but. J'ai été maladroit.

— Ok ! Donc on est d'accord pour dire que tu te contenteras d'être simplement professionnel lorsque l'on se croisera au boulot. Fini les gestes déplacés, autrement j'appelerai moi même ta blonde pour lui expliquer ton comportement. J'ai toujours eu horreur des mecs infidèles.

Le visage pâle, il valide d'un hochement de tête. Alors que je tourne les talons pour aller retrouver les filles, il me retient dans ma course. D'un mouvement ferme mais délicat, je me retrouve de nouveau face à lui. Je me perds dans la spirale d'émotions contraires qu'il crée en moi. Comment se fait-il qu'il fasse ressortir ce que j'ai de plus faible ? Je n'arrive même pas à lui tenir tête plus de cinq secondes.

On dit souvent que de la haine à l'amour il n'y a qu'un pas, mais jusqu'à aujourd'hui je pensais cela impossible.

"Beurk, amour ? Non n'abuse pas, Roxane" intervient ma conscience, verte de dégoût. " Crois moi, ce n'est pas de l'amour. C'est juste la folie du début d'une rencontre. Dans deux semaines, il t'aura oublié et, si tu lui cèdes, tu pleureras toutes les larmes de ton corps."

C'est finalement l'interne qui me ramène à la raison.

— Pour Abby, ce n'est pas ce que tu crois.

Son regard abattu pourrait presque m'attendrir, mais, pour protéger mon petit cœur, je préfère rester sur mon élan de colère.

— Tu vas me dire que tu n'es avec ta blonde que depuis ce soir, car ton orgueil de mâle en avait pris un coup d'avoir été jeté par une pauvre petite infirmière de psy ? Ne te fous pas de moi ok !

— Alors c'est ce que tu penses ?

Son orgueil blessé est trahi par sa voix éraillée. Je poursuis de plus belle.

— Absolument ! Je ne les connais que trop bien les types dans ton genre qui draguent tout ce qui bouge du moment que ça porte une jolie blouse blanche. Comme je te l'ai dit, toi et moi c'est strictement professionnel.

Je tourne les talons, le laissant en plan au milieu du parking. Les filles sont déjà en voiture et m'attendent, le moteur vrombissant.

— Je ne savais pas que vous étiez si proches avec l'interne, constate Astrid alors que je prends place à l'arrière au côté de Vanina.

— On n'est pas proche, il voulait juste, en bon médecin, savoir si je n'étais pas blessée.

— Ah, bah, de loin, ça ressemblait fortement à une dispute de couple sans le son, se moque Leya.

— Il n'en est rien ! Il est interne dans l'unité où je travaille comme infirmière. Rien ne se passera.

Je regarde la ville défiler à travers la vitre arrière de la voiture. Avec la vitesse et les lampadaires qui défilent, j'ai l'impression d'être accompagnée dans le couloir morbide d'un vieil hospice. Je ferme les yeux et laisse le marchand de sable faire son job.

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