Chapitre 31 : Tensions et Découvertes

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Mon corps est comme pétrifié. Je suis là, contemplant la présence surprise de ma collègue, sans pourtant être en capacité de raisonner de façon rationnelle. Après de longues minutes à chercher mes mots, je finis par briser le silence.

— Non pas que je ne sois pas ravie de te voir mais, que fais-tu ici, Leya ? questionné-je, en la rejoignant sur le palier.

Je ferme la porte derrière moi, espérant que cela la dissuade de demander à entrer. Il y a des moments où j'ai l'impression d'être vraiment une piètre personne. C'est fou ce que l'on est prêt à faire pour conserver un mensonge intact.

" Tout ça pour un mec et une histoire vouée à l'échec depuis le début " s'insurge ma conscience.

Je la balaye d'un revers de la main et me concentre sur la jolie brune, qui affiche un sourire gêné.

— Je voulais reparler avec toi de Robin, commence-t-elle, visiblement déterminée. Mais loin des oreilles qui traînent dans le service, car il est inutile de colporter davantage de ragots.

Je lui souris rapidement et l'invite à s'asseoir sur le petit canapé en osier.

— Je ne vois pas ce que je peux te dire de plus que tout à l'heure, commencé-je décontenancée, ...

Elle prend une grande inspiration et me coupe dans mon élan.

— Je voulais simplement te dire de faire attention à toi. Dans un an, Robin repartira aussi vite qu'il est arrivé dans le service, te laissant seule avec tes larmes et ta peine, sois-en-sûre. Je sais combien un bel interne fait toujours rêver, mais la médecine n'apprend aux étudiants à être loyaux qu'envers le serment d'Hippocrate. Pour le reste, ils se fichent bien souvent de ceux qu'ils laissent derrière eux.

Ses yeux qui s'embuent et l'émotion perceptible dans sa voix me laissent penser qu'elle ne me dit pas tout. Au risque d'être un peu maladroite, je compte bien avoir le fin mot de cette histoire.

— C'est moi, ou bien tu parles de ton vécu ?

Elle se ressaisit rapidement.

— Pas du mien, corrige-t-elle, de celui d'une amie. Elle a beaucoup perdu dans une histoire similaire. Elle s'était attachée à un jeune homme qui était venu faire son internat en cardiologie. Ils avaient été en couple plusieurs mois avant que celui-ci ne doive partir. Il lui avait fait tout un discours sur la sincérité de ses sentiments et l'importance qu'elle avait pour lui. Deux mois après son départ, elle avait appris qu'il la faisait cocue avec une stagiaire infirmière de son nouveau service. Cela a été très dur pour elle de s'en remettre, je ne voudrais pas qu'il t'arrive la même chose.

Je comprends que l'expérience de Leya soit douloureuse. Moi aussi j'en ai connue des histoires similaires avec des filles de ma promotion qui se sont entichées du joli coeur de leur service en stage et qui sont revenues en clamant qu'elles avaient le coeur brisé. Cependant, en mon fort intérieur, je ne peux m'empêcher de penser que Robin n'est pas comme ça.

"Qu'en sais-tu ?" questionne ma conscience. " N'oublie pas qu'avant toi, il avait une escorte à son bras ! "

Pourquoi faut-il sans cesse qu'elle me rappelle tout ce que je souhaite oublier de mon bel amant.

— On ne vit pas la même chose, m'empressé-je de répliquer.

Ce n'est qu'en entendant les mots sortir de ma bouche, que je prends conscience des aveux indirects que je viens de faire.

De façon immédiate, le visage de ma collègue change. La colère semble maintenant l'habiter, alors qu'elle se lève d'un bond.

— Alors il y a bien quelque chose entre vous, conclut-elle, en faisant les cent pas devant moi. Depuis combien de temps ?

Je baisse la tête, honteuse, incapable de répondre. Je me retrouve telle une petite fille face aux conséquences de sa bêtise. Comment avouer à ma collègue, qui me dévisage glacialement, que ce petit jeu à commencer dès l'arrivée de notre interne.

Je cherche interminablement comment me sortir de cette mauvaise passe, quand la porte d'entrée s'ouvre. Malheur à moi !

— Dis, Roxane, nous interrompt Robin, où ranges...

Il s'arrête net en prenant conscience de la personne qui me tient compagnie. Leya, de son côté, semble sous le coup de la surprise car elle s'est arrêtée en plein mouvement, la bouche grande ouverte. La stupeur dont fait preuve ma collègue me permet de prendre quelques secondes pour tenter de formuler une explication cohérente.

" Tu vas lui dire quoi ? Que tu lui donnes des cours de cuisine ?" rigole ma conscience qui se délecte de cette situation. " Mais arrête un peu et sois honnête."

Après tout, qu'ai-je à perdre de plus ? C'est bien elle qui m'a dit, pas plus tard que tout à l'heure, qu'elle sera présente si la situation évolue.

— Avec Robin, on est ensemble, lancé-je, rompant ainsi le silence mordant qui s'était installé.

Mon regard se pose sur mon beau brun, dont les yeux se sont arrondis de surprise. Il semblerait même que mon élan de courage, lui ait coupé le sifflet, pour une fois. Puis, je m'intéresse à la réaction de ma collègue, qui est tout aussi muette. Son regard noir et ses sourcils foncés n'annoncent rien de bon.

— Tu comptais me le dire un jour ? m'interroge-t-elle sèchement.

— Pas vraiment, avoué-je désolée.

Je vois bien que cet aveu la secoue d'autant plus. Elle danse d'un pied sur l'autre et tient fermement son sac, comme si elle s'apprêtait à partir furtivement.

— C'est tout récent, ajoute Robin, qui sort enfin du silence. On ne voulait pas précipiter quoi que ce soit et puis ça n'aurait pas été bien vu au travail.

— Parce-que s'inventer une vie c'est mieux peut-être ? le contre Leya, d'un ton cinglant. Je te rappelle que samedi on est censé aller au restaurant avec ta "petite amie " Abby. Ou bien, tu comptais annuler à la dernière minute et nous faire le coup du " elle est malade".

— À vrai dire je n'avais pas même pensé à cette option, ironise Robin. Mais ça aurait été une bonne idée et, surtout, ça m'aurait évité de devoir la recontacter.

— Alors tout ça te fait rire, s'agace la jolie brune ? Tu te joues, ou plutôt, vous vous jouez de nous, tous les deux, et tu trouves ça drôle ? Mais laisse-moi te dire que si tu prenais un tant soit peu soin des autres, tu te serais vite rappeler qu'Abby est un être humain et non un objet .

Depuis que je la connais, je ne l'ai jamais vu si enragée. Je savais qu'elle a de nombreux principes, il semblerait que je puisse rajouter féministe à la liste.

— En fait, ajoute l'interne, visiblement décidé à ne pas laisser le dernier mot à Leya, Abby est une escorte que je paye depuis des années pour se faire passer pour ma petite amie. Donc non, je ne la traite pas comme un objet, elle fait juste son job.

Depuis mon arrivée dans le service, je n'ai jamais vu Leya aussi choquée. Il semblerait que la révélation de Robin ait mis un terme définitif à la conversation avec ma collègue, qui fait un demi-tour très mécanique pour entamer son trajet jusqu'à sa voiture.

Alors qu'elle presse le pas dans la grande allée de cyprès, je la talonne , bien décidée à ne pas la laisser repartir dans cet état.

— Leya, attend, la supplié-je. On en va tout même pas se quitter comme ça ?

— Je n'ai plus rien à te dire, répond-t-elle, sans même se retourner. Je t'ai offert ma confiance, tu ne t'en ais pas saisi. Maintenant, débrouille-toi.

Elle avance si vite, que pour la suivre, je dois trottiner.

— Ah ! Et autre chose ! lance-t-elle, en se retournant brusquement. Je ne mentirais pas pour toi. Donc prends tes responsabilités et ce, dès demain.

Je n'en reviens pas de l'ultimatum qu'elle ose me poser. Si jusque-là j'ai fait carpette, consciente que je l'ai blessée, il est hors de question que je la laisse me menacer.

— Parfait ! répliqué-je aussi sec. Je peux bien prendre une sanction pour une coucherie avec un collègue puisque je ne compte pas rester dans le service. Tu ne te souviens pas ? Trois mois et bye bye.

Elle me dévisage, incrédule, suite à l'annonce que je viens de faire.

— Attends, quoi ? C'est toujours d'actualité cette connerie ?

Son regard vrille. C'est rouge de colère, qu'elle se précipite vers Robin.

— Et toi tu vas la laisser faire alors que dans un an tu seras affecté ailleurs ?

Je la sens prête à exploser telle une cocotte minutes remplie de pommes de terre.

— C'est mon choix, avoué-je, bien décidée à reprendre en main la conversation. Je n'ai pas renoncé aux soins généraux. Mes recherches continuent et j'espère bien aboutir à quelque chose. J'ai essayé, mais la psychiatrie ce n'est définitivement pas pour moi. Et vu la situation, c'est plutôt arrangeant finalement.

— La psychiatrie n'a, en effet, pas besoin de soignants qui la dénigre tel que toi ! Ce sera sans regrets.

Les larmes aux yeux, elle tourne les talons et prend définitivement la fuite. L'incompréhension laisse place à la déception et mon cœur se serre d'avoir été malmené. De tous mes collègues, je l'aurais pensé bien plus ouverte d'esprit que ça. Je respecte son choix de rester en psychiatrie, pourquoi manque-t-elle de respect au mien de la sorte ?

Assise sur le perron, les larmes coulent machinalement sur mes joues alors que des bras bienveillants m'encerclent pour me porter un peu de réconfort. La soirée, qui s'annonçait pourtant si belle, a viré au cauchemar.

****

Le réveil de ce matin est très difficile. Bien que Robin ait passé la nuit avec moi, ne voulant pas me « laisser seule avec ma tristesse », je n'ai pas arrêté de ressasser les propos de Leya. Il est très clair que l'on n'a pas le même point de vue, j'espère cependant que cela ne l'incitera pas à tout révéler à propos de mon bel interne.

— On prend une seule voiture, me demande Robin du bas de l'escalier.

— Bien sûr, plaisanté-je, en le rejoignant. Et puis on leur annonce qu'on va se marier aussi.

— Certainement pas, je suis contre l'instance du mariage, sort-il très naturellement, en mettant sa veste.

Voilà qui est dit.

— Et je peux savoir pourquoi ? questionné-je, en lui faisant les yeux doux.

— Pourquoi débourser des mille et des cents dans un mariage, quand on sait que les trois quarts finissent par un divorce.

— Pas très originale comme réponse, le piqué-je malicieusement. Et puis, on est encore jeune pour y penser.

On n'a pas le temps de s'éterniser sur le sujet, alors je préfère clore le débat mais je note dans ma tête de revenir dessus un de ces jours. J'attrape mes clés, mon sac et emboîte le pas de mon amant, après avoir tendrement déposé mes lèvres sur les siennes.

Assise au volant de ma voiture, je repense à Leya et une boule se forme dans mon estomac. La journée s'annonce tendue.

Malgré l'avance prise avant le départ, et l'heure matinale, les embouteillages ont eu raison de ma ponctualité légendaire. Je débarque dans le bureau de soin, sans même passer par les vestiaires.

— Je suis désolée, je....

— T'en fais pas, me coupe Leya, amèrement. Il semblerait qu'on ne puisse pas être sexuellement active et ponctuelle.

Bon ok, je l'ai bien cherché celle-ci mais elle ne va quand même pas m'en vouloir éternellement. Je m'assoie, bien décidée à ne pas prendre part à cette petite querelle. Je constate rapidement la présence anormale de Marina (encore). Les transmissions se passent dans un calme olympien. La nuit semble s'être plutôt bien passée pour la plupart de nos jeunes. Alors que l'équipe de nuit s'apprête à tirer sa révérence, Robin entre dans le bureau. Marina qui passe derrière lui, lui claque les fesses, sous le regard choqué de tous les soignants présents.

— Salut mon beau, dit-elle d'une voix charmeuse. C'est toujours bon pour ce soir, vingt heures.

Attend, c'est quoi cette histoire ? D'abord il se laisse claquer le postérieur et maintenant il a un rancard avec elle ? J'ai pas loupé un wagon, mais le train entier là.

Malgré tout, je tente de rester le plus neutre possible pour ne pas éveiller de soupçons et je me pare de mon sourire le plus hypocrite.

— Vous êtes mignons, plaisanté-je faussement, en passant devant eux pour aller me changer. Vous m'inviterez à votre mariage ?

Je sors mon plus beau déhanché pour me rendre jusqu'au vestiaire, consciente que de nombreux regards sont braqués sur moi. Je sais que ça a eu l'effet escompté quand j'entends Marina demander à Robin de se concentrer sur leur conversation.

Non mais quelle peste celle-ci. Enfin, j'aimerais quand même tirer cette histoire au clair alors je profite d'être seule pour envoyer un message au beau brun.

Roxane :

« Alors, c'est quoi cette histoire de verre ? »

Sa réponse est immédiate.

Robin :

« Je voulais t'en parler, je te jure. Elle me l'a proposé hier avant que je ne parte, et au vu des idées qu'elle a, j'ai préféré accepter »

Je glisse le téléphone dans ma poche, bien décidée à ne pas répondre. J'ignore si je suis en colère, mais merde quoi, il en faut toujours une pour me pourrir la vie. Je fais claquer la porte de mon casier, respire un bon coup et sors de ma cachette. Comme si être en froid avec Leya n'était pas suffisant, il va aussi falloir que je me farcisse la Marina.

Plus les jours avancent et plus je trouve que ma situation s'améliore dans ce service, c'est dingue ! Vivement que tout cela ne soit plus qu'un mauvais souvenir.

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