Chapitre 35 : Un mois et demi

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Je suis toujours entrain de cogiter devant l'entrée du service, quand tout le monde sort précipitamment.

Je n'ai absolument pas vu le temps passer et il semblerait que la réunion se soit terminée sans moi. La majeure partie de mes collègues passent à mes côtés, sans un mot ou un regard. Enfin, c'était sans compter sur cette plaie de Marina, qui semble bien décidée à finir ce qu'elle a commencé un plus tôt dans l'après-midi.

— Oh regarde, lance-t-elle fortement à Paul, pour que tout le monde s'intéresse à leur conversation. Je crois qu'il y en une a qui n'a pas jugé utile de participer à la réunion jusqu'au bout. Je trouve cela incroyable de se sentir intouchable juste parce qu'on couche avec l'interne du service.

La coupe est pleine. Le volcan qui sommeillait en moi se réveille en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Abracadabra".

— Espèce de ... Commencé-je à hurler, tout en me jetant sur elle.

Je n'ai le temps de finir ni ma phrase, ni mon action, que l'on m'attrape par la taille pour me porter le plus loin possible de la foule. Je me débats comme une forcenée mais, les bras qui m'enserrent semblent plus solides que mon corps tout frêle qui gesticule dans les sens.

— Allez, petite furie, on se calme maintenant.

Immédiatement, et sans même lui faire face, je reconnais la voix calme et rassurante de Robin. Même dans cet état second, j'arrive encore à lui trouver des qualités.

"Pauvre fille que tu es !" me lance ma conscience totalement en désaccord. "Il t'a apporté plus d'ennui, qu'il n'a de qualités !"

Il me faut un moment avant de réaliser que je n'ai plus de raison de m'agiter et que Marina n'est plus à ma portée. Lorsque je reprends enfin possession de mes moyens, je me rends compte que je suis complètement plaquée de dos, contre le torse musclé de l'interne.

— Lâche-moi, l'intimé-je, en me débâtant pour me libérer de lui, manquant de justesse de lui asséner un coup de coude dans les côtes.

Un demi tour sur moi-même et me voilà prête à lui faire face. Avec tout ce que j'ai balancé tout à l'heure, je pensais trouver une certaine animosité chez lui. Au contraire, son visage est détendu, ses yeux me regarde avec bienveillance et un léger sourire le rendrait presque amical.

Sauf que de mon côté, la colère est bien présente et il faudra plus qu'un sourire ridicule pour réussir à me faire remonter des enfers dans lesquels je me suis embourbée. Je recule de plusieurs pas, les avant-bras serrés contre ma poitrine, afin de mettre une distance suffisante entre nous.

— Ne me touche plus jamais, c'est compris ?

Ses sourcils se plissent en signe de contrariété.

— Je t'en prie, rétorque-t-il d'un ton cinglant. C'est avec plaisir que je t'ai évité une plainte pour agression d'une collègue sur son lieu de travail.

— Tu aurais très bien pu venir au secours de ta nouvelle copine, Marina, répliqué-je en épelant bien les syllabes de son prénom.

— Attends, tu me fais vraiment une scène de jalousie alors que tu viens toi-même de dire à tous nos collègues que l'on couche ensemble ?

— On couchait ensemble, rectifié-je amèrement.

— Ouais, si tu veux, acquièce t-il sans conviction. Enfin quoi qu'il en soit, concernant Marina, on était d'accord.

Son air innocent me met hors de moi.

" On était d'accord sur la forme ! Monsieur a choisi le contenu tout seul " s'impatiente ma conscience, elle aussi irritée.

— Tu aurais pu choisir n'importe laquelle de mes collègues pour aller boire un verre, m'exaspéré-je, en tentant de contenir mon volcan interne qui entre en ébullition. Mais non, j'ai dû subir, pendant une semaine complète, la vision de l'homme qui me plaît draguant la nana qui me met plus bas que terre depuis mon arrivée dans ce service. Tu t'es demandé, ces derniers jours, ce que cela pouvait me faire de croiser son regard satisfait d'avoir eu ce qu'elle veut ? Ce même regard qui me rappelle à chaque fois que je ne suis qu'une moins que rien, qu'une plaie ouverte dans l'équipe.

Ses iris, habituellement noisettes, ce sont assombries. Le regard reluisant, je peux y lire toute la tristesse que cette constatation lui provoque. Seulement, j'arrive à un point de non retour et, il pourrait bien s'effondrer en larme devant moi, que je poursuivrais mon laïus.

— Bien sûr que tu ne t'étais pas posé la question ! Tu avais le rôle le plus simple ! En bon dragueur d'escorte que tu es, tu n'as pas eu de mal à te mettre la Dragonne en poche. La prochaine fois, demande-toi ce que tu ressentirais si je draguais ouvertement Liam sous tes yeux. Si tu devais subir nos rires, nos embrassades et nos petites taquineries de ton embauche à ta débauche.

Ma voix s'enraille, mes yeux me piquent et un flot de larme a déjà pris possession de mes joues. Je le vois pâlir, et je comprends que j'ai visé juste.

— Roxane, je...

Il semble chercher ses mots, ce qui est bien rare de le voir aussi décontenancé.

— Je suis désolé, sort-il finalement, comme si le mot était coincé au fond de sa gorge. Je ne pensais pas que cela te blessait autant.

— En même temps, tu n'as pas pris de mes nouvelles de toute la semaine, réponds-je amèrement.

— Arrête! lance-t-il le regard noir. Dans le genre reine de l'esquive tu es championne toutes catégories. Parler à ton répondeur c'est bien sur trois appels mais après c'est chiant. Et pour t'avoir dans mon bureau, il faut que j'invente une urgence vitale sinon tu me fuis. Alors quoi ? Il fallait que je débarque chez toi, pour que tu me fermes la porte au nez une nouvelle fois. Que je t'envoie des fleurs, pour qu'elles finissent à la poubelle ? Que je t'inonde de textos que tu n'aurais pas lu ? Je ne suis pas ce genre d'homme, Roxane. Avant toi, je n'avais même jamais eu à courir après une femme. Je n'ai jamais eu à peser mes mots ou mes actes par peur de les froisser, car je savais qu'elles reviendraient quoi qu'il arrive. C'est avec toi, que j'ai découvert tout ça.

Il passe une main dans ses cheveux, en faisant les cents pas sur lui-même. La situation le dépasse, je le sens. Son mal-être est perceptible dans la façon qu'il a de se mordiller la lèvre inférieure en cherchant ses mots. Dans un autre contexte, j'aurais trouvé ça tellement sexy mais, depuis, l'eau à couler sous les ponts. Il s'avance.

— Mais merde, Roxane !

Il pose ses mains sur chacune de mes épaules et me regarde fixement. Un combat interne est perceptible dans son regard alors qu'il cherche ses mots.

— Comment j'aurais pu savoir que tes sentiments... ? Comment j'aurais pu me douter... ? Je suis désolé mais...

Il me lâche et reprends sa course dans un cercle sans fin. Je sais où il veut en venir, je l'ai compris sans même qu'il ait à me dire quoi que ce soit. On y est ! Il est là ce croisement où nos chemins se séparent, fautes d'être tracés dans le même sens. Malgré ses belles paroles, j'ai toujours su que Robin n'était pas prêt à s'enfermer dans une relation sérieuse. Je ne lui en veux pas, car je me suis moi-même auto convaincue que je suis celle qu'il lui faut. Quelle infirmière n'a jamais espéré faire de son bel interne un homme honnête ?

— Ne t'en fais pas pour ça. Ce n'est pas comme si je nous imaginais déjà mariés, hein.

Un petit rire m'échappe.

— D'ailleurs, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille cette histoire d'anti-mariage, finis-je.

Contre toute attente, je me sens apaisée. La perspective que cette spirale infernale est entrain de prendre fin, allège mon cœur et mon esprit. Il va pour répliquer, lorsque mon téléphone se met à sonner. Un numéro inconnu s'affiche sur l'écran. Je m'excuse et prends l'appel.

— Oui allô ?

— Mademoiselle Touerya ?

La voix inquisitrice d'une femme se faire entendre à l'autre bout du fil.

— C'est moi-même.

— Madame Lepignate, DRH du Centre Hospitalier Universitaire de Bordeaux. Je me permets de vous contacter car je viens de prendre connaissance de votre CV et j'aimerais savoir si vous êtes toujours intéressée pour venir travailler chez nous ?

Mon cerveau est en pause. Les informations me parviennent au fur et à mesure que je prends conscience de la situation.

— Mademoiselle, vous êtes toujours là ? s'inquiète mon interlocutrice.

Après un moment d'absence, s'est avec un enthousiasme nouveau que je retrouve la raison :

— Oui, bien sûr. Je suis toujours très intéressée, bien évidemment, seulement il faut que je vous informe que j'ai un CDD qui traîne jusqu'à décembre.

Je tente de cacher ma joie du mieux que je peux pour ne pas paraître hystérique. Robin, qui est toujours face à moi, participe à la scène l'air sceptique.

— Ce ne sera pas un problème, le poste ne sera vacant que début janvier. Ce qui nous laisse le temps pour nous rencontrer et organiser votre arrivée chez nous.

Combien de chance y avait-il pour que cela tombe aussi bien ? Intérieurement, ma conscience fait la danse de la joie alors que je tente de faire de mon mieux pour ne pas me laisser submergée par l'émotionm mais je ne peux m'empêcher de sautiller sur place.

— Et pour quel service ce serait ?

— Celui là même pour lequel vous avez postulé, les urgences.

Le pied. C'est comme si je me réveillais enfin d'un long et interminable cauchemar. Je vais pouvoir exercer cette passion qui m'anime depuis petite et quitter ce service d'infortune.

— Alors, cela vous conviendrait-il ? m'interroge la femme, a priori assez pressée par le temps.

— Oui, évidement que cela me convient.

— Parfait ! Je vous rappelle la semaine prochaine pour fixer ensemble une date d'entretien.

Elle me salue et raccroche sans même attendre de réponse de ma part. Je pousse un énorme crie de joie, oubliant complètement la présence de mon interne.

— Tu as décroché un autre poste, c'est ça ?

Son regard perçant est aussi sombre qu'une nuit de nouvelle lune. Je lui fais un simple hochement de tête.

— Où ça ?

Il me semblerait presque percevoir un grain de tristesse dans sa voix.

— Au Centre Hospitalier Universitaire de Bordeaux, pour leur service des urgences.

— Alors bravo, me félicite-t-il amèrement. Tu vas pouvoir aller exercer dans un domaine que tu as toujours voulu mais pour cela, il te va falloir tout quitter. Lourd sacrifice pour un « bon » service.

Il blague ou quoi ? Un aller Paris-Bordeaux se fait en deux heures maintenant. Et puis, ce n'est pas comme si lui et moi on allait garder contact.

— Mis à part mon père, je ne vois pas ce qui me retient ici. Et crois-moi, il sera plus que comblé d'apprendre que sa petite fille va quitter la psychiatrie.

Je lui tourne le dos, bien décidée à lui fausser compagnie. Ma journée, qui se déroulait si mal jusque là, peut au moins se terminer sur une note positive.

Je suis à quelques mètres de lui quand il ajoute.

— N'oublie pas de dire à tes futurs collègues qu'en psychiatrie on boit du café toute la journée.

Sa voix se brise, trahissant la tristesse et la colère qu'il cherchait à dissimuler depuis l'appel. Je me retourne pour répliquer et je le surprends à essuyer son œil du revers de la main. Je fais volte-face, faisant mine de n'avoir rien vu. Bien que mon petit cœur tout mou voudrait aller le réconforter, j'ai un mois et demi pour apprendre à me détacher de lui alors, autant commencer maintenant. D'autant plus que je sais à présent que nos perspectives d'avenir sont diamétralement opposées. Maintenant, rien ni personne ne m'empêchera de vivre ma carrière comme je l'entends.

À suivre...
Fin du tome 1

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