Chapitre 10 : l'enterrement de Pauline
Sophie se tenait à l’écart sous un petit chêne, assez loin pour rester discrète tout en prenant soin d’être assez proche pour voir la cérémonie funéraire quand celle-ci débuterait. Munie de ses lunettes de soleil et d’un petit chapeau, elle espérait ne pas se faire remarquer par les membres de sa famille rassemblés devant les portes du crématorium. Pour l’instant, sa stratégie fonctionnait plutôt bien car personne ne semblait avoir relevé sa présence.
Une centaine de personnes étaient présentes et attendaient patiemment que le cortège funéraire arrive et que les portes s’ouvrent. Elle reconnut quelques oncles, tantes ou cousins éloignés qu’elle n’avait pas vu depuis plusieurs années, mais ses propres parents où la famille proche de Pauline n’était pas encore là. Elle vit quelques visages se tourner dans sa direction, mais ils détournaient rapidement leurs regards, ce que Sophie interprétait comme une confirmation qu’ils ne la reconnaissaient pas de là où elle se trouvait. Au-dessus d’elle, dans les branches du petit chêne, elle entendait deux oiseaux gazouiller gaiement. Ses jambes étaient encore légèrement endolories : elle avait oublié de s’étirer après sa folle course deux jours auparavant et des courbatures étaient apparues. La tiédeur ambiante (le ciel était bleu et les températures agréables), la fit somnoler car elle n’avait pas beaucoup dormi ces deux dernières nuits.
Il y eut tout à coup de l’agitation parmi la foule rassemblée devant les portes à l’approche d’un corbillard et de quelques autres véhicules. A travers les fenêtres de ces derniers, Sophie aperçut les visages de ses parents ainsi que ceux de Pauline qui se stationnèrent non loin d’elle. Sophie rabaissa davantage son chapeau devant ses lunettes, espérant ne pas être démasquée. Quand ils sortirent de leurs véhicules, ils furent aussitôt rejoints par les autres membres de la famille. De là où elle était, Sophie voyait que sa tante avait les yeux gonflés tandis que son oncle, très pâle, semblait se retenir de pleurer de toutes ses forces. Poignées de main, accolades, embrassades, tout le monde y allait de son petit geste de réconfort. Sophie hésita à se joindre à eux : cette journée était suffisamment triste comme cela et l’enterrement de sa cousine pouvait lui permettre de se réconcilier avec le reste de sa famille et nuancer la morosité que chacun ressentait. Elle se disait aussi que, connaissant Pauline, elle aurait été heureuse de savoir que ses propres funérailles servent à quelque chose de positif. Mais quand elle fut sur le point de faire un pas en avant, six porteurs ouvrirent le corbillard pour en extraire un cercueil de bois clair, magnifiquement verni à l’intérieur duquel reposait sa cousine et elle fut coupée dans son élan. Un silence complet s’abattu que même les oiseaux qu’elle entendaient jusqu’ici semblaient respecter. Les porteurs soutenaient le cercueil sur leurs épaules et les gens s’écartèrent pour les laisser passer jusqu’aux portes du crématorium où un employé leur ouvrit la porte afin de les laisser entrer et d’inviter la foule à s’engouffrer à leur suite dans le bâtiment. Sophie attendit que la dernière personne soit entrée avant de s’y diriger à son tour.
A l’intérieur, un couloir menait vers une grande salle où les différentes personnes terminaient de prendre place sur des bancs de bois massifs. Les parents de Pauline, ainsi que les siens, étaient assis sur celui qui se trouvait le plus proche d’un pupitre réservé au maître de cérémonie à proximité duquel le cercueil de Pauline avait été déposé sur un catafalque. Elle fut tentée de rester debout, mais voulant rester discrète, elle décida finalement de s’asseoir sur un des derniers bancs où se trouvaient seulement quelques personnes qu’elle ne connaissait pas. Elle retira son chapeau, (le garder aurait pu provoquer une remarque de quelqu’un, attirant l’attention sur elle) mais elle garda ses lunettes de soleil après avoir constaté que d’autres ne les retiraient pas. Elle aperçu Marc, son ancien employeur qu’elle avait rencontré deux jours plus tôt ainsi que Jérémy le cuisinier. Ils avaient chacun une expression sombre, en particulier Marc, qui semblait en grand manque de sommeil. Il discutait à voix basse avec une femme assise à sa droite, d’une quarantaine d’année. Lorsque celle-ci l’embrassa sur la joue, Sophie en conclut qu’il devait probablement s’agir de sa femme.
Le maître de cérémonie arriva bientôt derrière son pupitre et les quelques chuchotements cessèrent aussitôt. Une musique douce, paisible, s’éleva alors dans la pièce. L’homme parla alors d’une voix grave et apaisante, créant une harmonie parfaite avec la mélodie.
« Mesdames et messieurs, si nous sommes aujourd’hui rassemblés en ce lieu, c’est pour rendre un dernier hommage à Pauline, qui nous a quitté, trop tôt, à l’aube de ses vingt-cinq ans. Vous qui êtes venu, parfois de loin, vous partagez tous, avec chacun d’entre nous ici, un point commun. Celui d’avoir compté pour Pauline, au moins autant qu’elle comptait pour vous »
Quelques reniflements se firent entendre. Sophie elle-même fut prise d’un sentiment de nostalgie, mais elle s’était jurée de ne plus pleurer et comptait bien tenir sa promesse. Elle se raccrochait à la certitude que chaque jour la rapprochait du moment où elle trouverait le vrai coupable de ce drame. Elle avait fait beaucoup de progrès ces deux derniers jours…
La cérémonie se déroula de façon assez classique, les parents de Pauline s’exprimèrent chacun leur tour, entrecoupés de musique triste qu’ils avaient choisi pour leur rendre hommage.
« Pauline, ma chère Pauline ! Mon amour, ma chair, mon sang ! disait son père. Tu ne sais pas à quel point tu vas nous manquer, à ta mère et moi. Pourquoi a-t-il fallu que tu croise cette horrible personne ? Qu’as-tu fait pour mériter une telle fin ? »
Un profond sentiment de peine et d’injustice émanaient de ses mots et dans son intonation. Il poursuivi
« J’ai échoué dans mon rôle de père, j’aurais du davantage te protéger, veiller sur toi, venir te chercher à ton travail et te ramener chez toi, tous les soirs. Si tu savais comme je regrette et comme je m’en veux… »
Il se mit alors à sangloter. Sa femme posa sa tête contre son épaule en lui caressant le bras, les yeux pleins de larme également. Rares étaient ceux à ne pas pleurer parmi l’assemblée. Sophie avait beaucoup de mal à retenir les siennes, mais elle devait tenir, il le fallait. Elle avait l’impression que si elle rompait sa promesse, elle ne parviendrait jamais à trouver qui se cachait derrière le faux-profil. Son oncle termina tant bien que mal son discours, répétant tout l’amour qu’il portait à sa fille et combien elle allait leur manquer. Puis ils retournèrent s’asseoir. Le maître de cérémonie invita alors les personnes à se recueillir, à se remémorer des souvenirs que chacun possédait en lien avec Pauline. De tout ceux qu’elle possédait, Sophie pensa fortement au jour où, après s’être disputé avec ses parents, sa cousine était apparue sur le seuil de sa porte et l’avait pris dans les bras pour la réconforter. Elles avaient ensuite passé de longues heures sur son canapé à dévorer des chips et du pop-corn tout en maudissant l’ancienne génération et leurs valeurs décalées avec le monde actuel. Elle était repartie au milieu de la nuit, après une dernière embrassade et lui avoir donné assurance qu’elle pouvait l’appeler à n’importe quel moment si elle en ressentait le besoin. Cette soirée, pensait Sophie, représentait le mieux le genre de personne que Pauline était, une personne à l’écoute des autres, qui les comprenaient sans les juger et surtout, une personne d’une profonde gentillesse.
La cérémonie continua encore quelques minutes, d’autres personnes se levèrent, notamment ses parents (Sophie baissa davantage la tête pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de sa présence) ainsi que d’autres membres de la famille. Puis le maître de cérémonie invita ensuite chaque personne à se lever pour adresser un ultime adieu à Pauline. Sophie hésita car elle ne voyait pas comment elle pouvait se joindre à la file d’attente sans que personne ne la reconnaisse mais elle se leva malgré tout : après tout, c’était sa dernière occasion de dire « au revoir » à sa chère cousine. Elle attendit néanmoins que la queue ne soit constituée que de personnes qu’elle ne connaissait pas, ou très peu, supposant que les autres prêteraient moins attention à ce moment-là. Mais la file avançait lentement, très lentement même, si bien qu’elle resta debout une vingtaine de seconde à côté du banc où était assise son oncle et sa tante, et juste à côté d’eux ses propres parents. Elle se sentie observée mais elle n’osa pas tourner les yeux dans leur direction, se contentant de regarder ses chaussures. Quand elle arriva enfin auprès du cercueil, elle observa la photo de Pauline qui avait été posée dessus. C’était une belle photo d’elle qui se tenait debout, souriante, devant un paysage vallonné et verdoyant. Le regard de Sophie pénétra celui de sa cousine si profondément qu’elle fut persuadée que, où qu’elle puisse se trouver à ce moment précis, elle entendait parfaitement la promesse qu’elle hurlait au fond de son âme :
« Je vais le retrouver, j’avance bien, ce n’est qu’une question de jours, je te le promets ! »
Sophie posa sa main délicatement sur le cercueil et se recueillit quelques secondes avant de laisser sa place a ceux qui attendaient encore. Elle prit soin de fixer son regard droit devant, afin de ne pas voir si ses parents l’avaient reconnu et de marcher en ligne droite comme si rien ne la perturbait avant de retourner à sa place. Une fois que tout le monde se fut rassit, le maître de cérémonie prit la parole une dernière fois. Il invita les parents de Pauline à se lever et ouvrit une porte coulissante qui se trouvait sur le mur situé en face de l’assemblée. Derrière se trouvait une petite salle sans autre issue, tapissée d’un tissu bleu indigo, et où de toutes petites ampoules donnaient l’impression d’un ciel étoilé. C’est alors que son oncle et sa tante poussèrent le catafalque dans la pièce dans un sanglot partagé avec toute l’assitance puis refermèrent lentement et symboliquement la porte coulissante, dans un ultime « au-revoir ».
Le maître de cérémonie invita ensuite tout le monde à se retrouver dans une salle mitoyenne de celle où il se trouvait pour partager un verre et manger quelques gâteaux. Sophie voulut sortir en première mais d’autres personnes ‘étaient déjà levée, créant un petit embouteillage au niveau de la sortie. Quand elle parvint à s’en extirper, une voix qu’elle avait déjà entendue l’interpella.
-Excusez-moi ?
Elle se retourna et vit Jérémy, le cuisinier avec qui elle avait échangé lors de sa venue au restaurant. Marc et sa compagne se trouvaient juste derrière lui, il semblait mal à l’aise et se contenta de la saluer d’un signe de tête. Sans doute, se dit-elle, qu’il savait qu’il ne s’était pas bien comporté avec elle lors de leur précédente rencontre et qu’il ne souhaitait pas que le sujet soit abordé devant sa femme. Sophie les salua de la tête également puis s’adressa à Jérémy.
-Oh bonjour, désolée je ne peux pas rester, dit-elle avec un peu d’empressement.
Elle ne distinguait pas encore sa famille, laquelle devait attendre que la foule sorte avant eux dans la salle de cérémonie, mais elle tenait à sortir du bâtiment avant d’être aperçue.
-En fait, vous m’avez demandé de vous dire si j’avais des détails qui me venaient en tête…
-Vous vous êtes rappelé quelque chose ?
-Rappelé, non on ne peut pas dire ça, répondit Jérémy, mais j’ai une hypothèse qui m’est venue ces derniers jours.
-Quelle hypothèse ?
Jérémy fut sur le point de commencer son explication mais les dernières personnes étaient en train de passer les portes et Sophie reconnut la chevelure de sa mère.
-Attendez, dit-elle, nous n’allons pas parler de ça ici au milieu de ses proches, suivez-moi !
Elle leur tourna rapidement le dos et se dirigea vers la sortie. Jérémy, mais également Marc et sa femme la suivit. Ce qui l’étonna vu l’air particulièrement fatigué, voir impatient, de celui-ci. Après avoir franchi les portes, Sophie continua quelque pas au dehors, préférant discuter devant le mur du bâtiment que devant ses portes transparentes. Quelques personnes se trouvaient déjà à l’extérieur pour fumer leur cigarette mais ils se tenaient à une distance raisonnable pour en pas être entendus.
-Je vous écoute, dit Sophie en se retournant vers Jérémy.
Jérémy sembla chercher ses mots quelques secondes. L’hypothèse qu’il était sur le point de formuler paraissait compliquée.
-Et bien voilà, en fait je me demande si le responsable de tout cela ne pourrait pas être Ludo ?
-Son copain ? s’étonna Sophie. Et qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Derrière lui, Marc semblait également surpris et la mauvaise humeur qui se lisait sur son visage avait laissée place à une expression de curiosité.
-Et bien, commença Jérémy qui cherchait toujours ses mots, je trouve étrange qu’il ne soit pas là aujourd’hui. C’était censé être sa petite amie quand même.
-Cela ne prouve pas grand-chose, répondit Sophie, il est en Amérique pour ses études, et vu la période de l’année où nous sommes, les examens doivent approcher, s’ils n’ont pas déjà commencé. Vous avez d’autres arguments qui pourraient confirmer votre théorie ?
-Des arguments… chercha Jérémy, et bien c’est plus un ressenti général. Il est venu manger une ou deux fois au restaurant avant son départ et il est resté après le service pour boire un verre avec nous, mais il nous a donné l’impression de s’ennuyer, de ne pas être heureux et d’être pressé de partir.
-Ce n’est pas parce qu’on s’ennuie que l’on a des envies de meurtres, répliqua Sophie. Et puis il devait simplement vouloir passer un peu de temps seul avec elle, si son départ était prévu pour bientôt.
-C’est justement ce que je trouve bizarre, répondit Jérémy, à chaque fois, il est reparti seul. Comme si quelque chose n’allait pas.
-Bon sang, mais oui, c’est possible ! intervint Marc pour la première fois. Il se sentait malheureux, et son départ lui a permis d’apprécier à nouveau la sensation d’être célibataire. Mais son retour approchait et il n’avait pas envie de reprendre sa relation avec elle, mais n’ayant pas le courage de rompre, il a utilisé une solution drastique !
Sophie soupira intérieurement. Qu’il était pénible de discuter d’une enquête avec des personnes qui n’avaient justement jamais enquêté auparavant ! En tant qu’ancienne policière, elle savait qu’aucun élément n’était à négliger dans une histoire de meurtre, en particulier l’entourage proche de la victime, mais leur discours tenait plus du roman policier amateur qu’autre chose.
-Ecoutez, dit-elle calmement, j’ai pu rencontrer son assassin il y a quelques jours. Il n’a jamais évoqué avoir fait ce geste pour le compte d’un autre. Il m’a simplement confirmé ce que la télévision nous a tous appris, il a cru reconnaitre Pauline suite a de nombreux échange en ligne, et il est devenu fou quand, ne le reconnaissant pas, elle a repoussé ses avances.
-Que savez-vous d’autres ? demanda Marc.
-Je n’ai pas à vous le dire, répondit-elle d’une voix neutre. La police cherche, je ne sais pas quoi, mais elle cherche. De mon côté, j’effectue mes recherches également. Je ne pense pas que partager mes informations soit dans notre intérêt si nous voulons faire la lumière sur cette histoire.
-Nous connaissions Pauline mieux que vous, riposta Marc, nous savons sûrement des choses qui vous seraient utiles !
-Dans ce cas, pourquoi ne pas me les dires ? Ou encore, pourquoi m’avoir envoyé me promener l’autre jour ?
La femme de Marc, qui se tenait silencieusement dans le dos de son conjoint, les regardais d’un air surpris. Apparemment, elle n’avait pas entendu parler de leur récente rencontre.
-Oui bon, s’impatienta Marc, si ce sont des excuses que vous voulez, je m’excuse ! Voilà, vous êtes contente ?
-Cher monsieur dit une voix féminine derrière Sophie, si vous pensez pouvoir un jour obtenir quoique ce soit de ma fille, je vous arrête tout de suite, il n’y a pas plus têtue qu’elle.
Sophie tressaillit en entendant la voix de sa mère. Elle se retourna lentement, et la vit, seule, une cigarette à la main, une expression désagréablement neutre sur le visage.
-Bonjour maman.
-Ah, je suis surprise de voir que tu m’appelles encore « maman ». Tu comptais repartir sans me saluer j’imagine ?
-C’était mon plan oui, avoua Sophie d’un ton de défi.
L’atmosphère, déjà morose, s’était soudainement tendue. Jérémy, Marc et sa femme prirent alors congé, laissant Sophie et sa mère seules, pour la première fois depuis de nombreuses années. Elles se faisaient face, en silence.
-Comment vas-tu ? demanda sa mère au bout d’un moment.
-Je vois que tu as recommencé à fumer, dit Sophie en faisant exprès de ne pas répondre à sa question.
-Comment faire autrement ? Ce qui est arrivé à ta cousine est si horrible.
-Oui…
Elle ne savait pas quoi ajouter. Que pouvait-on se dire après tant d’années à s’être cordialement ignorer.
-Sophie, dit sa mère, ton père et moi nous nous faisons beaucoup de soucis à ton sujet. Nous sommes passés au commissariat où nous pensions que tu travaillais encore avec ta tante, nous espérions rencontrer l’assassin de Pauline. Mais nous avons appris que tu n’y étais plus depuis longtemps.
-En effet, j’ai été viré confirma-t-elle.
-Pourquoi ne pas nous l’avoir dit ?
-Oh je ne sais pas, lança-t-elle d’un ton ironique. Pour ne pas vous donner la satisfaction de me dire « on avait raison » peut-être ?
Le souvenir de leur dernière confrontation remonta alors dans ses pensées. C’était il y a cinq ans, lorsque Sophie leur avait annoncé au cours du même repas qu’elle abandonnait ses études de droit (après avoir déjà abandonné ses études de médecine l’année précédente) et quelle avait passé et réussi sans leur en parler, le concours de police. Ses parents, plutôt que de se réjouir pour elle, s’était alors énervés, estimant que leur fille valait mieux qu’une misérable carrière dans la police municipale. Son père particulièrement, avait une très mauvaise opinion des policiers qui n’étaient là que pour « emmerder les honnêtes gens tout en laissant tranquille ceux qui méritaient d’être en prison ». Quant à sa mère, elle avait été à la limite de l’insulte quand elle prétendit que sa fille n’avait pas les épaules pour réussir dans ce milieu très masculin. Il s’en était suivi une violente dispute où Sophie avait reproché à ses parents de ne jamais tenir compte de ce qu’elle souhaitait vraiment, et que les métiers de médecin et d’avocat n’étaient pas les seuls métiers honorables qui existaient. Quelques heures après, Pauline l’avait retrouvé chez elle pour la réconforter.
-Allons, tu crois que c’est vraiment ce qui nous importe ? Nous sommes tes parents, nous nous inquiétons seulement pour toi.
Sophie émit un grognement d’incrédulité. Elle savait que ce qui inquiétait surtout ses parents, c’était leur réputation au sein de leur propre famille. Tous ses oncles et tantes occupaient des postes considérés comme valorisant. Certains étaient notaires, d’autres gravissaient lentement les échelons dans leur carrière politique et d’autres encore étaient de hauts fonctionnaires d’état. Mais des coiffeurs, des boulangers, des agriculteurs, ça non, ce n’était pas concevable ! On tolérait à Pauline son emploi de serveuse car c’était un poste provisoire (bien qu’elle l’exerçait depuis plusieurs années) en attendant de terminer et de publier des romans.
-Je ne sais pas ce qui vous importe le plus, répondit enfin Sophie. L’orgueil, la réputation, l’argent, je n’en sais rien. Mais je ne te crois pas quand tu dis que ma sécurité est votre priorité.
Elle avait haussé la voix, si bien que les autres fumeurs tournèrent leur visage vers elles, le regard interrogateur. Elle eut une certaine satisfaction quand elle vit que sa mère, qui n’aimait pas être le centre de l’attention, si ce n’était dans le cadre d’un procès très médiatisé, particulièrement mal à l’aise, au point de ne pas chercher à répondre.
-Ecoute, dit-elle à voix basse, ce n’est pas la peine de me faire une scène, ce n’est ni l’endroit ni l’occasion ! Je voulais simplement te proposer un travail. Je connais plusieurs bons avocats en ville, l’un d’entre eux cherchera sans doute une assistante. Je peux t’aider si tu veux.
-Merci maman, trancha Sophie mais j’ai déjà un travail.
-Ah bon ? Et qu’as-tu trouvé ?
-Je suis policière, répondit-elle. Et ce n’est pas pour mes compétences que l’on m’a viré, c’est une injustice, que j’entends bien réparer ! Quand j’aurais retrouvé le responsable de la mort de Pauline, tout rentrera dans l’ordre. Et vous ne pourrez pas dire que ce métier ne me correspond pas, tu verras.
Sa mère la contempla avec une expression de franche incrédulité.
-Mais enfin, le meurtrier a été arrêté ! Que veux-tu prouver ?
-Le meurtrier peut-être, mais le responsable lui, court toujours. Et si tu crois que cette affaire est terminée, alors tu te trompes complètement. Tu vois maman, j’ai appris beaucoup de chose pendant que vous restiez à vous larmoyer. Peut-être que ce boulot me va bien finalement non ?
Et sans lui dire « au revoir », elle lui tourna le dos et s’en alla.
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