6h du matin un mardi dans le métro
Je suis née et j’ai grandi en proche banlieue avec la chance inestimable de vivre à cinq cents mètres du terminus de la ligne 9 ce qui n’aurait pas grand intérêt si ma maman ne m’avait pas fait prendre régulièrement cette dite ligne 9 pour enrichir ma culture générale et mon sens aiguisé de l’orientation souterraine. Il me semble assez juste de me permettre une remarque ou deux sur nos transports en commun parisiens surtout qu’ils sont à la genèse de ce recueil. Les trajets sont longs, les attentes entre deux trains semblent interminables et les incidents techniques et voyageur sont nombreux ce qui m’offre un temps considérable pour observer et réfléchir. Je reviendrai très probablement sur le sujet plus d’une fois mais pour l’heure je m’en tiendrai à une seule question : Qui sont ces gens assis sur le quai qui ne montent pas dans le train ? Soit vous voyez exactement du type de non-voyageurs dont je parle soit vous ne voyez pas et cela soulève une théorie qui mérite sa place dans mes réflexions. Posons tout d’abord le décor. Il est 6h du matin donc pas encore l’heure de pointe mais plutôt l’heure du demi-sommeil encore présent masqué par un veston impeccable et un gobelet de café filtre Pomme De Pain. C’est généralement l’heure de la journée où vous pouvez observer une grande quantité d’actes manqués au sens littéral comme au figuré. Vous êtes dans votre métro qui je le note pour les non-initiés ne fait qu’aller d’un terminus à l’autre sans jamais changer de trajectoire. C’est une ligne droite allant d’un même point A à un même point B sans détour, sans « je vais prendre la nationale pour éviter les bouchons du périph », desservant jours après jours les mêmes arrêts dans le même ordre. Le voyageur choisit une station proche de sa position initiale afin de se rendre à une autre station prédéfinie le plus souvent à l’avance pour rejoindre une destination qui à 6h du matin n’est probablement pas de son choix. A moins bien sûr que ce soit dans vos habitudes de vous lever à 5h pour aller nulle part et ne rien faire. Il n’est pas idiot de penser qu’à cette heure-ci les gens qui attendent sur le quai d’une ligne unidirectionnelle vont tous monter dans le train pour effectuer un trajet. Et bien non ! Regardez bien, prêtez attention à l’arrière-plan de cette scène de bétails se ruant à contre sens de leurs congénères qui descendent du wagon. Vous verrez alors une petite poignée d’individus qui, pour une raison qui m’échappent encore, restent assis sur le quai. Lorsque j’ai remarqué ce petit détail j’ai regardé autour de moi, peut être que le wagon est plein et que je suis trop ensommeillée pour sentir l’after-shave des cadres sup’ compressés dans douze mètres carré ? J’ai pourtant une vision périphérique claire, des places assises vides, il n’y même personne d’installé sur les strapontins. Alors pourquoi ? Et plus important encore, qui ? Qui sont ces gens qui ne vont visiblement nulle part, apprêtés pour démarrer la journée et non entrain de finir la précédente avec deux grammes dans le sang, dans une tranche horaire que bien des hommes ne souhaitent jamais avoir à expérimenter, et qui regardent arriver puis repartir un train lequel à coup sûr aurait rentabilisé leurs efforts. Alors de deux choses l’une, peut-être qu’il y a eu découragement. Peut-être que les cinq minutes entre l’instant où ils sont arrivés sur le quai et l’ouverture des portes du métro ont suffi pour aboutir à l’idée tenace qu’aucune raison n’est assez bonne pour se lever aussi tôt et que la réu’ compta peut bien attendre 9h. Et ils restent assis parce que « franchement Michel tu joues à quoi là ? Tu es un pro Michel et un pro se pointe à l’heure à une réunion, avec ou sans tête dans le derch ! ». Ce qui expliquerait le bref air absent qui s’affiche dans leurs yeux lorsque les portes se referment… C’est une hypothèse tout à fait plausible qui éveillerait en moi presque un semblant de compassion pour Michel si, et je mets l’accent sur ce conditionnel, s’ils n’étaient pas une dizaine de Michel à rester vissés sur leurs sièges jaunes ou rouges ou on s’en fiche de la couleur vu que de toute façon la peinture se barre sur plus de la moitié d’entre elles. Ils sont trop à ne pas prendre ce fichu train. Et bien que le taux de dépressifs parisiens augmente chaque année, je préfère émettre une seconde théorie nettement plus créative et crédible. La RATP dispose depuis 1997 d’un numéro vert afin d’accompagner les témoins de violences et de suicides sur les voies qu’on compte en moyenne à 25 000 personnes affectées par an. Je donne ce chiffre pour appuyer le fait concret que prendre les transports en commun c’est déprimant et usant pour une majorité d’usagers quotidiens. Je pense donc à juste titre que nos petits non-voyageurs sur le quai un mardi matin 6h sont en réalité des comédiens engagés par notre tout puissant réseau pour réguler le quota ou du moins le fausser. Avec le taux de suicide, l’ultime train qui n’arrivera jamais en gare suite à un incident de signalisation ( entre nous je vois pas bien de quelles signalisations on parle, a priori c’est toujours tout droit … ) les heures de pointe redoutées de tous autant en hiver où le wagon est une véritable boite de pétri bactériologique que l’été où l’on baigne dans les chemises humides et les odeurs de pieds qui même sanglés dans une sandale de campeur trouvent le moyen d’atteindre nos narines, enfin avec tout ça, le ratio voyageurs mécontents dans une société de satisfaction immédiate est forcément en hausse, tellement en hausse que l’Etat pourrait supprimer la RATP ou pire encore leur imposer une réduction budgétaire ! DONC ! La RATP embauche des comédiens dans un panel de caractéristiques très vaste afin de compenser la perte de voyageurs et faire croire que personne ne fuit les transports en commun parisiens et que tout va bien.
Le contrat est le suivant : montrer qu’attendre son train n’est pas une tare, convaincre les usagers que rien ne presse afin de diminuer les plaintes dues aux retards, et soutenir les plus courageux d’entre nous qui se demandent chaque matin pourquoi diable être debout à une heure pareille tout en les rassurant sur le fait qu’ils ne sont pas tout seul à le faire.
Alors ? Probablement qu’en observant ce phénomène du moins mystérieux, vous trouverez une bonne raison de vous lever à 5h pour aller nulle part…
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