Chapitre 10
Les jours défilent, et mon avocat revient me chercher pour mon deuxième jour de procès. Dès que nous pénétrons dans cette salle que je connais désormais trop bien, nous nous installons en silence, attendant l’arrivée du juge. Pendant que le public s’agite à l’arrière, je me penche vers mon avocat et murmure : « Alors, cette preuve du dossier… vous l’avez bien ? »
« Oui, je l’ai, répond-il calmement. Le directeur a été très coopératif. »
Un sourire me traverse l’esprit. Mon plan a fonctionné. Il a cédé, bien sûr, mais c’est un piège malgré tout. Pourtant, en observant mon avocat, son expression lasse, presque indifférente, je ne perçois aucune surprise. Comme s’il était normal que le directeur possède cette preuve, alors que seuls quelques initiés en avaient connaissance.
C’est à ce moment-là que les doutes m’envahissent. J’analyse chaque détail de mon plan, cherchant la faille. Plus j’y pense, plus une question me hante : Qu’a bien pu dire le directeur pour que tout s’effondre avant même que le procès ne commence vraiment ? Mais rien ne me vient. Et déjà, la séance s’achève.
Quand je reviens à moi, je fixe mon avocat. C’est lui qui rompt le silence : « Une question… Vous n’avez pas trouvé étrange que le directeur, un outsider dans ce dossier, détienne cette preuve ? »
Il hausse les épaules, impassible. « Pas vraiment. À peine m’avait-il transmis le document que les médias en publiaient une version mise à jour. Personne ne sait qui les a informés. »
Je reste sans voix, abasourdie. Comment a-t-il pu deviner ? Cela signifie qu’à un moment donné, le directeur a percé notre stratagème à jour. Pire : il a anonymement prévenu les médias pour neutraliser mon piège avant même que je ne puisse l’actionner. Quelle intelligence ! Je n’aurais jamais cru qu’il irait aussi loin. Je savais qu’il ne fallait pas sous-estimer mon adversaire… mais anticiper un coup pareil, c’est du génie.
Bon. Peu importe. On s’adaptera. Le vrai problème, c’est que le temps file entre mes doigts. Les heures s’écoulent, les jours se succèdent, et l’échafaud se rapproche. Officiellement, je dois mourir avant la fin du mois. Procès ou non, la sentence sera exécutée — sauf si une preuve miraculeuse surgit pour m’innocenter.
Mais je tourne en rond. Toujours les mêmes questions, les mêmes impasses. Rien n’avance, ni dans mon enquête, ni dans cette histoire. Et chaque minute qui passe me rapproche un peu plus de la fin.
De retour en prison, j’annonce la nouvelle à Rock, Vague et Petit. Leurs regards se croisent, lourds de résignation. « Peut-être est-il trop tard… Tu vas vraiment mourir, et on aura tout tenté. » Leurs mots résonnent comme un glas dans ma tête. Mais je refuse cette fin tragique, même si le doute commence à ronger mes certitudes, tel un acide lent et implacable.
Le soleil se noie derrière les murs de la prison, laissant place à une nuit épaisse, seulement troublée par la lueur blafarde de la lune. Alors que je m’apprête à fermer les yeux — pour dormir, pour réfléchir, pour fuir ne serait-ce qu’un instant —, un bruit de clé retentit.
Pas n’importe quel bruit. Celui qu’on ne confond jamais en prison : le grincement métallique qui peut sceller votre destin… ou vous libérer. La serrure tourne, lentement, comme si chaque cran était une hésitation, une menace suspendue.
Je garde les paupières closes, mais tous mes sens sont en alerte. Derrière moi, un robinet fuit. Goutte après goutte, un son cristallin, presque hypnotique, qui se mêle à l’angoisse grandissante. Puis des pas. Des pas furtifs, traînants, comme si leur propriétaire redoutait d’accomplir l’irréparable.
Un courant d’air glacé effleure ma peau. Mon corps se fige. Il est là. Une silhouette se penche au-dessus de moi, invisible mais palpable, une présence qui pèse comme une condamnation. Je suis piégé, cloué sur ce lit de planches prêt à craquer sous le moindre mouvement.
J’entrouvre un œil, juste assez pour distinguer la silhouette qui s’est glissée dans ma cellule. Ce n’est pas un gardien — ceux-là, je les reconnaîtrais immédiatement à leur brutalité, à leurs cris, à leur façon de vous traîner hors du lit comme un sac de linge sale. Non, cet homme est différent. Un détenu, peut-être ? Mais lequel ? Je n’ai jamais eu d’ennemis ici. Je reste avec mon groupe, et la brute, mon alliée, veille sur moi. Tout le monde le sait dans cette prison. Alors, pourquoi m’attaquer ?
Mon sang se glace quand je distingue, dans l’une de ses mains, une arme. Pas n’importe laquelle. Cette arme. Son contour, sa forme… quelque chose en elle me semble étrangement familier.
Je rouvre les yeux en grand, fixant la silhouette dans l’obscurité. Son bras se lève, prêt à frapper. Je suis coincée, paralysée. Si je bouge, il me rattrapera — son autre main se tend déjà vers mon épaule, comme pour m’immobiliser.
Mais soudain, un craquement sec déchire le silence. Mon lit pourri, ces planches tenues par des cordes usées, cède sous mon poids. Le bois se brise, s’effondre, et je me retrouve projetée vers l’avant. Sans hésiter, je me relève d’un bond et me mets à courir. Cours, cours ! Les couloirs défilent, sombres et hostiles. Je hurle intérieurement, espérant croiser un gardien, n’importe qui, même si une partie de moi sait déjà qui me poursuit.
En pleine course, mon regard accroche un trousseau de clés accroché près d’une porte. Identiques à celles des cellules. Sans hésiter, je les arrache au passage et fonce vers l’aile où sont enfermés Petit et Vague. Mon souffle est court, mes pas résonnent dans les couloirs déserts. Après quelques minutes d’une recherche fiévreuse, je trouve enfin leur cellule. D’un geste brusque, j’enfonce la clé dans la serrure et pousse la porte.
Ils se redressent d’un bond, les yeux écarquillés, comme si j’étais un spectre. « On m’a attaqué dans ma cellule, haleté-je. Il faut qu’on parte. Maintenant. »
Aucune question. Ils comprennent instantanément. En un éclair, ils sont debout, à mes côtés. Nous rebroussons chemin vers mon aile, le cœur battant. Mais en arrivant, rien. Plus de trace de la silhouette. Seuls les ronflements des détenus endormis brisent le silence.
Pourtant, par précaution, nous libérons Rock. Sa porte grince à peine qu’il nous rejoint, aussi silencieux qu’efficace. Sans un mot, nous nous engouffrons tous les quatre dans la cafétéria, le seul endroit où nous pourrons peut-être souffler… et comprendre ce qui vient de se passer.
Tapis derrière le comptoir de la cafétéria, nous retenons notre souffle. Des bruits étranges nous parviennent, comme un rire étouffé, presque jouissif, comme si notre terreur nourrissait une joie malsaine. Puis l’arme. Elle grince contre les murs, racle les radiateurs, frappe tout ce qui peut résonner dans ce silence de mort. L’homme ne cherche même pas à se cacher. Il veut qu’on l’entende. Qu’on sache qu’il est là.
Pourtant, où sont les gardes ? Même la nuit, la prison est surveillée. À moins qu’ils soient complices… ou pire, neutralisés. Mais c’est impossible. Alors pourquoi personne ne réagit ? Pourquoi personne n’entend ce grincement métallique, ces coups sourds, cette présence qui hurle sa menace ?
Les bruits se rapprochent. Trop près. Puis, soudain, le silence. Un silence si lourd qu’il en devient insoutenable.
Et c’est là que son visage apparaît au-dessus du comptoir.
« Je vous tiens ! »
Son cri déchire la nuit. Nous sursautons comme un seul homme, un hurlement de terreur jaillit de nos gorges. Sans réfléchir, nous bondissons, bousculant tout sur notre passage, et filons hors de la cafétéria, paniqués, désordonnés.
Cette fois, c’est clair : si nous voulons survivre, ce ne sera pas en attendant sagement notre exécution. Il est temps de s’évader. Par tous les moyens.
Nous filons vers les gardes, désespérés, le directeur toujours à nos trousses. Ses pas résonnent derrière nous, trop proches. Rock, en tête, repère un garde affalé sur son poste, endormi devant son écran. D’un geste vif, il lui subtilise les clés sans un bruit. Nous bifurquons alors vers la porte principale, le cœur battant à tout rompre.
Essoufflés, nous nous arrêtons net devant l’issue. Rock, d’un calme déconcertant, insère la clé dans la serrure. Ses mains ne tremblent pas. Il tourne lentement, méthodiquement, comme s’il déverrouillait bien plus qu’une porte : notre survie. Chaque cliquetis de la serrure semble durer une éternité.
Derrière nous, à quelques mètres seulement, le directeur s’immobilise. Son regard est glacial, presque inhumain, comme si quelque chose d’obscur l’habitait. Sa voix, rauque et chargée de haine, brise le silence :
« Enfin. Je vais vous avoir. Tous. » Il marque une pause, un sourire tordu aux lèvres. « Ces trois-là ne m’intéressent pas vraiment, mais qu’importe… Je saurai bien arranger les choses. Vous retardez mes projets, et ça, je ne le tolère pas. Tu aurais déjà dû mourir depuis longtemps. J’ai même eu la bonté de te laisser jouer au détective. »
Je me retourne vers lui, malgré la peur qui me glace les veines. Une dernière question me brûle les lèvres : « Attends… Avant qu’on ne disparaisse pour de bon — parce qu’on va s’en sortir —, dis-moi : pourquoi tout ça ? Quel était le but ? Et comment as-tu fait ? »
Il éclate d’un rire sec, presque amusé. « Ah, les explications de fin… Très bien. Puisque tu ne t’en sortiras pas de toute façon, autant te satisfaire. » Son ton se fait plus sombre, presque rêveur. « Depuis toujours, j’ai fantasmé sur la mort. Le pouvoir de l’offrir. Pourtant, tout le monde voyait en moi un futur cadre brillant, un homme de succès. » Il hausse les épaules, comme si cela n’avait aucune importance. « Finalement, j’ai découvert que la prison était l’endroit parfait. En tant que directeur, j’assiste à chaque exécution. En interne, en public… peu importe. » Ses yeux brillent d’une lueur malsaine. « Et grâce à mes… talents, j’ai gravi les échelons plus vite que prévu. Mais ne vous inquiétez pas. » Un sourire carnassier étire ses lèvres. « Ce n’est que le début de mon histoire. »
Le directeur poursuit son monologue, presque rêveur, tandis que Rock achève d’ouvrir la porte avec une lenteur calculée. Chaque grincement de la serrure semble synchronisé avec les mots glacés qui s’échappent de sa bouche.
« À la fin, j’en avais assez. » Sa voix se fait plus douce, presque nostalgique. « Toujours les mêmes exécutions, toujours les mêmes visages. Alors j’ai décidé de créer mes propres règles. »
Il marque une pause, comme pour savourer l’effet de ses mots.
« Il me suffisait de feuilleter le journal. Un nom, choisi au hasard. Et c’est là que j’ai trouvé cet article… délicieux. » Son sourire s’élargit, presque enfantin, mais ses yeux restent vides, froids comme la mort. « Vous vous souvenez ? Cette rubrique où les voisins faisaient l’éloge de leurs amis, pour leur souhaiter une bonne journée. Une initiative de la rédactrice en chef, une tentative pathétique de promouvoir l’amour et la paix. » Il rit, un son léger, presque joyeux, qui contraste avec l’horreur de ses aveux.
« J’en ai profité. Un par un, j’ai éliminé ces voisins si chaleureux. » Il sort son arme, la brandit avec une fierté malsaine. « Voici l’outil de mon art. Un mélange de couteau et de pince, conçu pour un bricoleur. Parfait pour couper… et saisir. » Il caresse la lame du bout des doigts, comme s’il évoquait un souvenir précieux. « Elle appartenait à mon tout premier cobaye. Un détenu que j’ai exécuté de mes propres mains. Ma première vraie victime. »
Son regard se perd un instant, comme s’il revivait ce moment.
« Le plus beau ? À chaque fois que je tuais l’un d’eux et que j’incriminais son voisin, devinez où ils finissaient ? » Il éclate d’un rire sec. « Ici. Dans ma prison. Et une nuit, je leur rendais visite… pour leur offrir le même sort que leur cher voisin. Un cercle parfait, n’est-ce pas ? »
La porte s’ouvre enfin derrière nous, mais ses mots résonnent encore, lourds de menace. Il n’a pas terminé.
Alors que le directeur s’apprêtait à plonger de nouveau dans ses horreurs, Rock pousse enfin la grande porte. D’un geste sec, il nous tire tous vers l’extérieur. Ces quelques secondes de répit, pendant qu’il forçait la serrure, nous ont permis de reprendre notre souffle — et notre course effrénée.
Nous dévalons les rues, laissant derrière nous le quartier sinistre de la prison. Les ruelles étroites deviennent nos alliées, nous guidant vers un seul but : le tribunal. Derrière nous, la voix du directeur résonne encore, hurlant des promesses de mort, des menaces inachevées. Mais peu à peu, ses cris s’étouffent, avalés par la nuit et la distance.
Enfin, nous atteignons les portes imposantes du tribunal. Nous frappons désespérément, espérant qu’un gardien nous entende, qu’il nous ouvre, même si cela signifie être arrêtés sur-le-champ. Au moins, nous pourrions enfin raconter la vérité. Mais le bâtiment est désert. Vide. Un soulagement étrange nous envahit : personne pour nous arrêter, mais personne non plus pour nous protéger.
C’est alors que Petit, le plus silencieux d’entre nous, a une idée. « Le pont des Catalans, dit-il, essoufflé. Il y a une planque là-bas, un endroit où les SDF se réfugient. Des bénévoles y passent jour et nuit. On pourrait s’y cacher jusqu’à l’aube. » Une planque, un espoir. Après des heures de marche épuisante, nous y arrivons enfin, tremblants, mais vivants.
Le reste ? Vous l’avez probablement deviné. Le directeur a été arrêté peu après, son arme ensanglantée à la main — le sang de sa dernière victime, tuée dans la précipitation avant qu’il ne nous pourchasse. « Mon agenda était chargé pour les semaines à venir, avait-il avoué. Je ne pouvais pas me permettre de vous laisser gâcher mes plans. »
Quant à moi, j’ai été innocenté. J’ai pu retrouver une vie normale, ou du moins, ce qu’il en restait. Ma femme, entre-temps, avait déjà tout pris — l’argent, la maison, et même ma dignité. Mais peu importait. J’étais libre.
Rock, Vague et Petit, eux, ont été libérés en même temps que moi, récompensés pour leur aide et leur bonne conduite. Après tout, sans eux, je n’aurais jamais survécu à cette nuit.
Et le directeur ? Il a fini là où il méritait d’être : derrière les barreaux, cette fois en tant que prisonnier. Ironique, non ?
Et maintenant ? Frank et ses amis sont probablement attablés dans un bar mal éclairé de la ville, un verre à la main, en train de fêter leur liberté retrouvée. Les rires résonnent, les souvenirs de leur cauchemar s’estompent peu à peu dans l’alcool et les clopes… Mais vous, seriez-vous prêt à plonger dans leur histoire ?
Je vous lance un défi : Retrouvez-vous dans les murs sombres de la prison de Saint-Michel, là où tout a commencé. Votre mission, si vous l’acceptez : localiser la cellule de Frank.
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