Kondo

7 minutes de lecture

un technicien militaire Narween

201222-234108

Suite du témoignage conté avec précision et dévouement par la charmante arrière-petite-nièce de l'individu, dont nous découvrons ici des talents d'imitation capables de nous faire vivre les événements comme si nous y étions.

Vous l'aurez probablement déjà deviné, Kondo et Kamelia retrouvèrent l'oncle Cipos dans cette immense salle souterraine du site de Wekar, qui servait depuis quelque temps de second laboratoire secret au savant.

--- Nom d'une bobine de cuivre déroulée ! Kondo ! Tu m'as retrouvé ! s'exclama alors Cipos avant de prendre son neveu dans les bras. Et qui est donc cette personne qui t'accompagne ?

--- C'est Kamelia, une ingénieure du Centre de Recherche numéro 3 de Najol. En vérité, c'est elle qui m'a aidé à déchiffrer l'énigme de la grotte.

--- Ah ! Voilà donc une charmante personne en effet. Mais dis-moi plutôt, comment es-tu arrivé ici, enfin, je veux dire, sur Najol ?

--- Tu ne me croiras pas, mais j'ai utilisé ton invention.

--- Le conduit spatial ? Par les lunettes astronomiques de Dieu ! Il fonctionne !

--- Oui, mais justement, nous aurions quelques questions à son sujet.

--- Nom d'un transistor dépolarisé ! Voilà que mon neveu s'intéresse à la science !

--- Oui, enfin, non, pas vraiment, mais, peut-être que si... En fait, je... je suis l'ingénieur en chef du projet CT1, chargé de mettre au point un conduit de téléportation permettant de sauver la planète Ween. Et j'avoue que... sans toi, je ne pense pas pouvoir y arriver.

--- Kondo, ingénieur en chef, en voilà une idée !

--- Ce n'est pas la mienne...

--- Une excellente idée ! Je n'aurais pas imaginé l'administration capable d'autant d'ingéniosité, déclara Cipos en posant solennellement sa main sur l'épaule de son neveu avant de l'embrasser. Toutes mes félicitations !

Kondo ressentit alors une vague de joie le submerger, due non pas tant aux retrouvailles avec son oncle qu'à l'estime que celui-ci lui portait. Il était heureux pour ce qui lui semblait être la première fois de sa vie, à tel point qu'il ne se rendit pour ainsi dire même pas compte de l'inconvenance de la situation lorsqu'il changea de partenaire d'embrassade pour serrer Kamelia d'une manière peu professionnelle tout en riant.

--- Quelle est la situation à l'extérieur ? demanda alors Cipos.

Et Kondo se retrouva comme pétrifié et à nouveau honteux de son propre bonheur. Kamelia s'empressa de lui porter secours en relatant pour l’ermite les faits survenus récemment sur Ween. Son neveu en profita pour reprendre quelque peu ses esprits et pu lui-même expliquer pourquoi l'aide de Cipos était si importante :

--- Ton conduit spatial est notre seule chance de retourner sur Ween et tenter de sauver ceux qui pourraient encore l'être.

--- Mais pourquoi ne l'avez-vous pas déjà fait ? Qu'attendent donc les militaires ?

--- Mais... mon oncle, nous ne savons tout simplement pas comment fonctionne le conduit à cette extrémité !

--- Eh bien, il ne faut pourtant pas avoir inventé la fusion froide pour cela ! Il suffit d'entrer dans le conduit comme tu l'as fait sur Ween !

--- Mais... la machine semble totalement inerte de ce côté...

--- Évidemment ! Le coeur du système se situe dans mon laboratoire sur Ween, mais à moins qu'il n'ait été détruit, ou que l'alimentation électrique ait été désactivée pour une raison ou autre, ou... qu'un morceau de roche ne se soit effondré sur le mauvais commutateur... eh bien, il devrait fonctionner !

Kondo et Kamelia n'en croyaient pas leurs oreilles. Toutes ces tentatives pour réactiver la machine ne s'étaient révélées infructueuses uniquement car elles étaient totalement inutiles : la machine était déjà activée... et prête à l'emploi ! Il fallait à tout prix prévenir le centre des opérations de Najol, ce qui restait impossible depuis ce lieu isolé du reste du monde. Les deux jeunes gens partirent dans une course destinée à remonter à la surface, mais qui s'arrêta brusquement avant même d'avoir réellement commencé lorsque Kondo nota l'immobilité de son oncle.

--- Ne viens-tu pas avec nous pour nous aider ?

--- Je crains que non mon cher Kondo, cela m'est impossible, d'autant plus après ce que vous venez de m'apprendre.

--- Mais justement, nous allons avoir plus que jamais besoin de ton aide et de tes connaissances, non seulement pour utiliser ce conduit, mais aussi pour en développer d'autres !

--- Par l'hydrogène de notre soleil ! C'est bien trop risqué, tu le sais, je ne peux me raccorder au réseau, je dois rester ici ! déclara Cipos d'un ton ferme qui laissait peu de place à la discussion.

Kondo implora cependant son oncle tant et plus, mais en vain, et repartit le coeur lourd malgré la présence à ses côtés de celle qu'il aimait (il en était maintenant certain) et l'espoir de permettre aux Narween de reconquérir leur planète natale.

C'est dans cet état semi-déterminé qu'il arriva jusqu'au centre numéro trois pour exposer la situation au directeur, que Kamelia avait pris soin de réveiller sur le trajet du retour. Celui-ci convoqua immédiatement l'ensemble de l'équipe, ainsi que tous les membres de l'état major de l'armée disponibles sur Najol. La réunion qui s'ensuivit fut plus longue que de raisonnable et je vous en épargnerai la majeure partie. Bien qu'il fut assez rapidement clair qu'envoyer toutes les forces armées dans le conduit le plus promptement possible n'était pas l'approche la plus avisée, la méthode d'intervention optimale restait indéterminée. Certains soutenaient qu'il fallait dès maintenant envoyer une équipe d'ingénieurs et techniciens par le conduit pour lancer la construction d'un tunnel d'une taille suffisante pour transférer un bataillon entier en quelques minutes. D'autres arguèrent que l'ampleur d'un tel projet ne permettrait probablement pas d'en voir la conclusion assez tôt pour sauver qui que ce soit. D'autres encore estimèrent qu'il fallait immédiatement se saisir de Cipos pour l'obliger à travailler sur le projet et ainsi espérer le compléter dans les temps. Tout cela, et bien plus encore, fut discuté, argumenté, étayé par des projections, contré par d'autres observations et ainsi de suite jusqu'au petit matin.

À cette heure-là, Kondo en était réduit à dormir dans un coin de la pièce, sa tête posée sur l'épaule de Kamelia, plongé dans des songes qui, pour une fois, n'avaient rien de catastrophiques et, au contraire, auraient plutôt pu être qualifiés de romantiques. Bien que je ne connaisse pas le détail de ses rêves, il est au moins clair qu'il n'avait pas été assez attentif pour percevoir le contenu des dernières heures des discussions stratégiques.  C'est donc assez naturellement qu'il sursauta sur sa chaise lorsque le général en charge des défenses planétaires hurla son nom et qu'il tomba des nues lorsque celui-ci se tut au terme de sa tirade :

--- Technicien de maintenance de défense planétaire Kondo !  Vous serez donc à la tête de l'escouade d'intervention tactique chargée d'infiltrer la base secrète de Cipos sur Ween via le conduit spatial de ce dernier. Votre mission principale sera la reconnaissance, l'évaluation de l'état de nos défenses, l'estimation précise des pertes et des rescapés qui pourraient être sauvés, la remise en service du système de défense, le rapatriement de tout Narween susceptible de l'être et le soutien technique et opératoire du conduit spatial à l'autre extrémité. Compte tenu de votre affinité avec la machine, votre connaissance des lieux et vos états de service en tant que technicien de défense, vous êtes notre meilleur élément pour cette opération. Avez-vous des questions ?

Bien incapable de parler, Kondo se contenta de serrer la main de Kamelia, ce que le général comprit néanmoins comme une réponse négative. Les préparatifs de la mission purent donc rapidement être mis en place, les troupes étant prêtes depuis plusieurs jours dans l'attente d'un prototype de conduit fonctionnel. Kondo se vit ainsi confier une escouade de dix militaires Narween, chargés d'assurer sa sécurité. Cela peut paraître dérisoire quand on connaît l'inefficience de nos corps pour les efforts physiques et le peu de renommée de notre armée, mais ce serait oublier nos prouesses technologiques, dont les exosquelettes NEXS-3 font partie et dont les dix militaires en question étaient équipés. C'est précisément ce type d'arguments qu'employait à cet instant Kamelia pour rassurer notre pauvre ancêtre envoyé au combat malgré lui, arguments qui se révélèrent d'un poids bien faible face au souvenir de la masse noire et des atrocités qu'elle avait engendrées. Par ailleurs, le chef d'escouade improvisé qu'il était se sentit obligé de remarquer que lui ne portait pas d'exosquelette résistant aux balles et aux flammes et permettant de courir à une vitesse laissant espérer un dénouement heureux en cas de fuite. Mais rien n'y fit, les militaires étaient formels : un tel concentré de technologie demandait un minimum de cinquante-six heures d'entraînement avant de pouvoir être maîtrisé.

Au-delà de sa mission qui tenait presque du suicide et de son manque d'équipement rassurant, ce qui retira à Kondo sa dernière parcelle de courage fut son inconsolable apitoiement sur lui-même quand il se prit à penser qu'il lui faudrait plus probablement une centaine d'heures étant donné ses capacités intellectuelles et physiques limitées.
Néanmoins, poussé par le devoir, et par Kamelia, il s'allongea dans le conduit spatial qui avait tant occupé ses jours et ses nuits dernièrement, prêt à ramper vers son destin. Il se promit alors de faire tout ce qui était en son pouvoir pour construire un conduit suffisamment large pour permettre aux soldats d'affronter leurs peurs, et accessoirement l'ennemi, debout. Puis, il releva la tête pour regarder droit devant lui, vers ce mur à l'aspect aussi sombre que solide et peu attirant, et s'avança.

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