Kondo

6 minutes de lecture

un technicien militaire Narween

201223-015443

Il se fait tard, la nuit tombe sur cette partie de Najol, mais je ne me lasse pas d'écouter la voix de Narina contant les exploits de son arrière-grand-oncle.

    Dans l'obscurité de sa demeure, j'entends sa voix m'illuminer
    Dans la clarté de sa voix, je vois l'Histoire se composer
    Dans la justesse de son histoire, je sens la vérité éclater

    Dans ces mots sortis de ses lèvres, je ne peux que me noyer
    Dans les sourires entendus, je n'entends que la complicité
    Dans la délicatesse de son timbre, je ne peux que m'abandonner

--- Il fonctionne ! s'exclama Kondo d'un air joyeux.

Son tempérament était des plus jovial ces derniers temps, ce qui s'expliquait assez facilement d'une part par l'avancée de ses travaux, et d'autre part par la présence continue de Kamelia à ses côtés. Certains diront que cette phase euphorique lui était aussi nécessaire pour pouvoir faire face à ce qu'il avait vu lors de son expédition sur Ween. Bien qu'il n'évoquait que très rarement ces événements, il est clair que cette mission l'avait affecté au plus haut point.

Il avait beau être le dernier Narween à avoir quitté la planète à la suite de l'invasion Myride et avoir une idée assez précise de ce à quoi s'attendre là-bas, il n'en fut pas moins choqué. Les atrocités commises par les monstres légendaires avaient laissé des traces profondes dans tout ce qui se portait à la vue de Kondo. Et pour dire vrai, il s'était beaucoup plus préparé à faire face aux Myrides eux-mêmes qu'aux restes de la civilisation Narween.

Mais les jours passant, Kamelia aidant et le travail l'occupant, il finit par retrouver de l'espoir, et même une certaine joie de vivre. Il se peut que, finalement, le fait de n'avoir pas rencontré réellement l'ennemi y soit pour quelque chose. En tout état de cause, nous pouvons nous en réjouir, car, sans le départ des Myrides avant l'arrivée de Kondo, l'histoire de notre famille, et peut-être même de la galaxie, aurait probablement été écrite différemment.  

Ce jour avait donc particulièrement bien commencé lorsque Kondo eut confirmation du succès des derniers tests de son conduit de téléportation. Je dis son conduit, car c'est réellement ainsi qu'il le concevait, considérant que le premier conduit était celui de son oncle et que celui-ci avait été fabriqué de toutes pièces par une équipe dont il était l'ingénieur en chef. Certes, les nombreux allers-retours à la grotte de Cipos ne furent pas innocents dans la réalisation rapide et sans faille de ce nouveau prototype, mais Kondo en gardait néanmoins une certaine fierté.  

--- Le conduit fonctionne parfaitement ! répéta-t-il, presque sautillant. Te rends-tu compte ? demanda-t-il en se tournant vers celle qui, ne l'oublions pas, était la seule réellement responsable des succès de l'ingénieur en chef, depuis sa remémoration des détails techniques grâce au stylo bleu jusqu'à la découverte de la cachette de Cipos grâce à leur balade vespérale.

Kamelia le félicita néanmoins comme s'il était lui-même l'inventeur le plus extraordinaire de la planète, car elle était bien trop modeste pour se rendre compte de son propre rôle dans tout ceci, et probablement aussi quelque peu subjective à l'égard de Kondo. S'ensuivirent quelques marques d'approbation et d'affection sur lesquelles il n'est pas nécessaire de s'attarder. Il suffit de dire que c'est au beau milieu de ces réjouissances que surgit le directeur du centre, qui fut aussitôt informé du mémorable succès et invité à célébrer la nouvelle avec les ingénieurs autour d'un verre.

Mais le directeur ne se laissa pas aller à de telles futilités, préférant replacer les choses dans leur contexte plus global sans attendre. C'est ainsi qu'après quelques félicitations rapidement expédiées, il informa l'équipe que l'objectif était maintenant de construire au plus vite un tunnel de téléportation permettant d'envoyer tout un bataillon de soldats au pas de course à l'autre bout de la galaxie. Après avoir exposé toute la situation et les détails du cahier des charges, il insista sur les trois points fondamentaux de sa présentation. Premièrement, le conduit devait être empruntable par un soldat se tenant debout avec une marge suffisante pour s'adapter au gabarit d'autres espèces. Deuxièmement, le tunnel devait être opérationnel rapidement, ce qui incluait une fabrication dans les plus brefs délais et une mise en route une fois déployé à l'autre extrémité des plus efficace. Troisièmement, jusqu'à preuve du contraire, l'avenir de la galaxie, et donc du peuple Narween, dépendait entièrement de la satisfaction des deux points précédents.

Toute la joie qui pouvait se lire sur le visage de Kondo quelques minutes plus tôt avait alors laissé place à une consternation totale et un sentiment d'impuissance. Il faut rappeler que le conduit dont l'ingénieur en chef était si fier en ce jour n'était pour ainsi dire qu'une copie de l'original de Cipos. Poussé par sa propre expérience, Kondo avait bien cherché à en agrandir l'ouverture, mais il ne permettait au mieux que d'y pénétrer à quatre pattes. Un certain nombre aussi incalculable qu'inattendu de problèmes techniques l'avaient en effet empêché d'aller plus loin dans sa démarche d'amélioration. Et il se sentait bien incapable de les résoudre en quelques jours.

Toute l'équipe tomba donc assez promptement et naturellement d'accord sur l'approche à adopter. Ils préparèrent leurs arguments, et allèrent exposer la situation devant la Commission des Sept (qui n'en comptait plus que quatre en réalité). La Haute Commission Scientifique délibéra longuement, au détriment de toute raison appelant au contraire à précipiter les choses en vue de, rappelons-le, sauver la galaxie. La sagesse finit néanmoins par rattraper les éminents scientifiques, qui émirent un avis globalement favorable, malgré d'impressionnants annexes contenant nombre de recommandations et commentaires peu encourageants.

C'est ainsi que, sans la grande cérémonie à laquelle on se serait attendu en temps normal, Cipos le Marginal devint Cipos le Grand, sortant de son ermitage pour être officiellement reconnu comme un des scientifiques narweeniens les plus productifs. Il put donc intégrer l'équipe en charge de sauver la galaxie, mais cela se révéla plus complexe que prévu et non exempt de complications. Bien que les membres de la commission aient accepté d'oublier le passé de Cipos et de le réhabiliter, ce dernier n'était pas prêt à oublier ses manies sécuritaires. Il fallut donc commencer par « désinfecter » (comme il disait) le laboratoire de toute trace informatique et de tout équipement potentiellement connecté au réseau extérieur.

Une fois cette condition nécessaire satisfaite, il put entrer dans les lieux et se mettre au travail. Officiellement, Kondo restait l'ingénieur en chef du projet, Cipos officiant en tant que conseiller scientifique. Ce trio, car Kamelia n'était jamais très loin de Kondo, formait une équipe de choc qui eut tôt fait de lever un à un tous les verrous techniques empêchant la construction d'un tunnel de taille satisfaisante. Tout le monde put donc rapidement reprendre son activité, les ingénieurs dessinant des plans (sur du papier), les scientifiques essayant d'appréhender les grands principes sous-tendant les solutions du trio (aidés uniquement de leur mémoire cérébrale), les techniciens de la pièce voisine modelant les prototypes et réglant le plus finement possible tout ce qui méritait de l'être (sur la base de leur instinct et de quelques calculs à main levée).

Tout cela mena, dans un temps tout à fait raisonnable et possiblement suffisamment court pour sauver la galaxie, à l'apparition du CTD1, le premier conduit de téléportation debout. Imaginez-vous ce que seraient nos vies aujourd'hui sans cette invention ?

[J'avoue avoir du mal à l'imaginer. Sans parler de mon mal, plus physique, de l'espace, devoir passer plusieurs jours à bord d'un vaisseau pour rejoindre l'autre bout de la galaxie paraît si archaïque que même un archéologue passant sa vie à la recherche de choses archaïques ne saurait l'apprécier.
NB : Et je ne préfère pas imaginer l'exaspérante lenteur des voyages interminables auxquels je devrais me soumettre pour rendre visite à cette conteuse chère à mon coeur...]

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