Des couleurs et des hommes

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Gris clair

J’avais à peine quinze ans, pas d’amis, des parents taciturnes, discrets, exilés de la vie sociale, imbibés de principes et de morale, soucieux de mon bien-être, et plus encore de mon avenir. Tout leur amour m’était destiné mais je ne le comprenais pas.


Jaune d’or

Un vendredi après-midi, je quittai la salle de classe bon dernier, juste devancé par Lena, aussi blonde que sa mère suédoise. Elle me souhaita « bonne soirée et à demain ! ». J’ai sans doute écarquillé les yeux, parce qu’elle a complété « tu n’as pas oublié, Agathe invite toute la classe dans son jardin demain soir ». J’ai avoué avoir oublié, mais en réalité je ne me souvenais pas avoir été invité. Elle m’a donné l’adresse, et a précisé « tu peux apporter quelque chose à boire ou à manger, mais pas de gâteaux, il y en aura bien assez ! Le rendez-vous, c’est à partir de vingt heures, mais si tu n’as rien de prévu, tu peux arriver un peu plus tôt pour aider à préparer ». J’ai répondu « on verra » et j’ai hâté le pas. J’avais besoin de me retrouver seul.


Bleu

Première invitation !

J’aime bien Lena, tout est clair en elle, ses cheveux, ses yeux, sa peau, et ses paroles aussi. Elle s’intéresse à tous les élèves, elle est accueillante, souriante.

Je suis étonné qu’Agathe ne m’ait rien dit, elle est un peu hautaine, mais je n’étais sans doute pas là quand elle a invité toute la classe.

Pourvu que mes parents me laissent sortir ! Ce sera une délicieuse soirée d’été sans vent et sans nuage. Un ciel tout bleu et un air qui reste chaud la nuit.

J’apporterai une bouteille de rosé.


Rouge coquelicot

Je mettrai mon bermuda rouge. Je sais que le noir et le bleu marine sont plus élégants mais je ne veux pas porter un pantalon de classe. J’ai aussi une chemisette à fleurs très colorée. Je sais qu’elle plaît à ma mère, elle lui rappelle son village, les tissus et les couturières. Un jour, Lena m’a dit que les couleurs me rendaient gai. J’ai souri sans rougir mais j’étais gêné.


Vert

J’ai regardé la pendule tout l’après-midi ! Mes parents acceptaient de me laisser sortir, mais je devais rentrer à minuit. J’ai pensé à Cendrillon. Je respecterai l’horaire. Ils me font confiance, je les estime. J’ai finalement décidé de ne pas prendre part aux préparatifs, parce que je ne savais pas du tout ce qu’on attendrait de moi. Pour éteindre l’impatience qui me rongeait en profondeur, je suis parti quand même avec un peu d’avance sur l’horaire officiel. Je m’étais coiffé avec une laque empruntée à ma mère, et parfumé à l’eau de Cologne de mon père. L’espoir d’une soirée amicale et joyeuse dansait dans mon ombre.


Blanc

J’entendais les rires s’échapper du jardin d’Agathe bien avant d’arriver. J’avais reconnu la voix forte et impertinente d’Arnaud et les rythmes entêtants de David Guetta. Une ambiance décontractée s'annonçait, bien loin de l'austérité de mon quotidien.

Le portail blanc était grand ouvert. Des parasols blancs étaient disséminés dans le grand jardin, des chaises longues et blanches ouvraient leurs bras encore solitaires. Un massif de gypsophiles et un parterre de rosiers rivalisaient de blancheur.

Je souris timidement à l'approche d'Agathe, qui s'avançait vers moi de sa démarche assurée, silhouette longiligne soulignée par une longue robe vaporeuse et blanche.

« Bonjour Nelson, Je suis vraiment désolée de ne pas avoir pu t'inviter, c'est gentil d'être passé dire bonjour »

Mon regard croisa celui de Lena, en retrait, une main blottie dans celle d'Arnaud. Elle baissa les yeux puis sourit à son amoureux, et l'entraîna vers la maison.

Agathe attendait ma réponse, une réaction ou un mot de ma part. Mais ma gorge était trop occupée à repousser, elle, un sanglot en formation, ou bien une profonde nausée, en réponse à cet accueil humiliant.


Marron

« Je vous souhaite une très bonne soirée entre vous ! ».

Je n'attendis pas, je n'entendis pas ses mots fourbes. J'avais subi un affront d'une telle intensité que je sentais mon sang bourdonner dans mes oreilles, mes mains se recouvrir de sueur, mes yeux s'embuer, mes jambes vaciller.

Je m'assis sur le bas-côté, la tête entre les mains. La flèche m'avait transpercé, la douleur était violente. Une voiture remplie de jeunes gens alcoolisés ralentit à mon niveau. Une vitre se baissa et un garçon hurla « salut négro, alors t'as livré le gâteau au chocolat ?»

Les autres ont pouffé de rire, grassement.


Arc-en-ciel

Je suis rentré chez moi, et mes parents ont tout de suite compris.

Maman a pris mes mains avec tendresse et a plongé ses yeux dans les miens. Mon père s'est levé et m'a parlé comme à un homme.

« On ne se bat pas avec des larmes, on ne construit rien non plus. Souviens-toi que tu portes le prénom de Monsieur Mandela. Il a toujours rêvé d'un monde arc-en-ciel. Il faut persévérer pour le construire ».


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