14. Suite de mauvaises idées

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Clémentine

Soutenue par Alex, aux petits soins avec moi, nous traversons la cour et montons les marches, suivis de près par les filles. Je regarde mon voisin nous saluer et disparaître rapidement dans son appartement. Il a été un parfait gentleman, sur cette fin de soirée, au moins. Surprenant dans sa gestion de mon agresseur, mais si rassurant et protecteur. Quelle force et quelle détermination il a montrées. J’en frissonne encore.

Je récupère des vêtements dans la penderie et vais m’enfermer dans la salle de bain. J’ai besoin d’un peu de calme avant de retrouver mes amies, et d’une bonne douche. J’entends Mathilde qui file dans le coin cuisine et se met à la confection du chocolat chaud, en vraie amie. Je me glisse sous l’eau chaude et prends le temps d’évacuer ce trop plein d’émotions, puis enfile mon jogging trop grand, le spécial soirée cocooning et dépression et, une fois remise de mes émotions, je ressors de la salle de bain. Je suis prête à dormir et je ne porte rien dessous, mais quand je réalise que toutes mes amies vont sûrement passer la nuit chez moi, je me dis que ce n’est pas forcément l’idée du siècle.

Mathilde ramène le plateau avec les chocolats chauds fumants. Elle a rajouté de la crème chantilly pour les gourmandes. J’écoute distraitement les filles reprendre leur vie comme si de rien n’était, dégustant leur boisson en papotant de la soirée alors que mon esprit carbure à vive allure pendant que je respire l’odeur de ce doux breuvage. J’aurais pu me faire violer ce soir, ce type était complètement dingue. Déjà, dans le bar, il a commencé à me tripoter et j’ai eu un mauvais pressentiment. Mais bon, Mathilde se faisait tripoter de son côté et cela n’a pas fini en agression. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que je tombe sur un taré ?

Je n’aurais jamais dû me lâcher comme ça sur la boisson, porter cette robe trop sexy. En fait, ça m’agace de me dire ça, qu’il faut que ce soit nous, les femmes, qui fassions attention à ce que l’on fait, mais c’est une triste vérité. Le gars a dû voir que je manquais de confiance en moi et il en a profité, jouant le gentleman, le lover pour mieux tenter d’abuser de moi ensuite. Foutus mecs !

Et puis, on en parle du spectacle qu’ont donné les filles, sérieusement ? Depuis quand on se bat pour un mec comme ça ? Depuis quand Mathilde est aussi entreprenante ? Bon, entendons-nous bien, Mathilde est le genre de nanas bien dans sa peau, à l’aise avec sa sexualité, du genre à prendre les devants sans problème. Mais, à ce point ? Je suis sûre que si Alexei lui avait proposé de la prendre sur la table, elle aurait dit oui. Putain, elles lui ont toutes sauté dessus comme si c’était le seul repas disponible après quinze jours de jeûne !

Et moi, mal dans ma peau, pas à l’aise dans mes bottes, je me suis dit que si Mathilde en était capable et réussissait à conclure, il était hors de question que je ne puisse pas faire de même. Qu’est-ce que je suis conne, je le concède. Il faut vraiment que j’arrête de me comparer à mes amies et que je vive pour moi, en fonction de moi, avec mes propres envies, mes valeurs, mes faiblesses. Dit la nana qui a repris le restaurant de son père pour lui faire plaisir.

Je me sens partir en vrille quand Noémie fouille dans mon meuble télé pour en sortir le Rummikub. Vraiment, ce soir, là, maintenant ? Sarah dépose un support devant moi et je le repousse du bout du pied.

— Pas envie de jouer, merci.

— Oh allez, juste une petite partie Clem ! Ça va te changer les idées !

— J’ai pas envie, je t’ai dit, il faut te le dire en russe pour que tu comprennes mieux, peut-être ?

— Ah non, le russe, c’est pour ton voisin sexy ! Quel bel homme ! se pâme Noémie.

— C’est bon, on a compris que vous étiez en kif, ça va. Évitez de tacher mon canapé, merci, bougonné-je en me renfrognant.

— Tu n’es pas en kif, toi ? Tu as vu comment il a foutu la raclée à l’autre con ?

— Oui, j’ai vu, je te remercie. Il l’a empêché de me violer, difficile de rater ça.

— Il m’a fait un peu peur, à moi, quand même, intervient Mathilde. Mais heureusement qu’il est intervenu. Tu devrais peut-être porter plainte demain, non ? Il y a eu tentative quand même ? soupire ma meilleure amie, toujours aussi perspicace.

— J’ai qu’un prénom, c’est un mec en vacances. Je ne sais même pas où il loge, soupiré-je en les regardant commencer leur partie. Je préfère avoir peur avec un mec violent pour me protéger qu’avec ce dingue qui m’a montré sa queue avant sa bagnole.

— Que c’est romantique quand même, reprend Noémie toujours rêveuse, Alexei, il était prêt à le tuer. Juste pour toi. C’est un passionné…

— Heureusement que tu as une culotte toi, lui dit Sarah en riant. Sinon, Clem pourrait râler, encore ! Et joue, c’est à toi !

— Sarah, je t’adore, mais je suis pas d’humeur à me prendre tes réflexions, là, tout de suite, soupiré-je.

— Oh, si on ne peut plus rigoler un peu. On a quand même passé une bonne soirée, non ? continue Sarah sans se rendre compte de ce que j’ai vécu de mon côté.

— Oh oui, bien sûr, m’agacé-je. Et à ton avis, c’était quoi le meilleur moment de la mienne ? Quand vous êtiez en mode chaudasses devant mon serveur ? Quand l’autre taré m’a collée au mur ? Ou non, attends, peut-être le moment où il m’a embrassée sans mon consentement, ou celui où il m’a mis la main au panier ? J’hésite, franchement ! Putain, t’es pas blonde pour rien, toi !

— Eh, Clem, ton serveur, tu avais dit qu’on pouvait y aller, on s’est juste fait un peu plaisir. Et tu l’as bien chauffé le mec, non ? C’est toi qui es allée le rejoindre, personne ne t’a forcée à ça au moins ! répond Sarah, visiblement fâchée.

— Ouais, je lui ai même demandé d’essayer de me violer, bien sûr, grogné-je en me levant. Je vais faire un tour. Vous avez de la chance d’avoir trop bu pour prendre une voiture, parce que j’ai envie de tout sauf de vous voir mener vos petites vies comme si de rien n’était alors que, moi, j’ai encore l’impression d’avoir ses mains dégueulasses sur mon corps.

Je sors sans attendre une quelconque réponse et dévale les escaliers avant de me diriger vers la plage. J’adore Sarah. Enfin, je les adore toutes les trois, vraiment, mais elles sont parfois totalement déconnectées de la réalité. Là, j’ai juste envie de les secouer pour leur dire ce que ça me fait d’avoir vécu ça. Oui, j’en fais peut-être trop, mais on ne maîtrise pas ses émotions, ses ressentis, et elles ne font preuve d’aucune empathie. Enfin, pour elles, un chocolat chaud et un jeu de société vont suffire. Bordel, moi, tout ce que je veux, c’est du silence, un oreiller et une couette. J’aurais voulu qu’on se couche, toutes les deux avec Matou, et qu’elle me serre dans ses bras. Point. C’est tout ce qu’il me fallait.

Je soupire en m’asseyant sur le sable frais. Ce soir aurait pu très mal finir. Ce Marc avait vraiment beaucoup de force. J’ai bien essayé de me libérer de sa prise, j’en ai encore les poignets douloureux, d’ailleurs. Honnêtement, je ne sais pas si les filles auraient pu me filer un coup de main. Peut-être qu’à quatre, on aurait pu en venir à bout. Mais la gifle que je lui ai balancée ne l’a même pas fait grimacer. Le poing d’Alexei, en revanche, c’est autre chose. J’espère qu’il ne s’est pas blessé, d’ailleurs. Je comprends que Mathilde ait pu avoir la trouille, c’est vrai qu'il semblait… Un peu possédé ? Non, je ne dirais pas ça, mais il était vraiment ivre de rage. Et si Matou ne l’avait pas arrêté, que serait-il arrivé ? Malgré cet élément, j’ai confiance en lui. Je ne sais pas, je sens qu’il n’a aucune volonté de me faire du mal. J’ai un bon feeling, dirons-nous.

Je commence à avoir froid et décide de remonter à l’appartement. Quand je vois que les lumières sont éteintes, je soupire de soulagement, priant presque pour que les filles soient parties. J’ai été un peu trop rude avec Sarah, je m’excuserai demain, mais je n’ai pas envie de les avoir sur le dos cette nuit. Je constate malheureusement que Sarah est endormie sur le canapé, alors que j’entends chuchoter dans ma chambre. Merde !

Je me glisse silencieusement dans la salle de bain et manque de m’étaler sur le tapis de bain dans la manœuvre. Quelle idée de ne pas allumer la lumière pour ne pas attirer l’attention ! Je m’assieds sur le rebord de la baignoire et réfléchis aux options possibles pour pouvoir passer le peu d’heures de sommeil qu’il me reste, au calme. Le seul truc qui m’apparaît, à cet instant, est clairement une mauvaise idée. Pourtant, c’est la seule option qui me permettra de dormir seule, sans entendre chuchoter, sans avoir droit à aucune remarque. Après encore un moment d’hésitation, je me glisse doucement dans l’appartement de mon voisin. Tout est éteint et, en approchant du coin chambre, j’entends sa respiration lente. Il a laissé les rideaux de sa chambre ouverts, et la Lune me permet de distinguer sa silhouette. Putain de mauvaise idée, maintenant, tout ce dont j’ai envie, c’est d’aller me lover contre lui.

Un nouveau soupir sort d’entre mes lèvres et je fais demi-tour pour aller m’allonger sur le petit canapé. Pas très confortable, mais au moins, le silence prime sur la folie de mes meilleures amies. Je ne m’endors pas immédiatement, ruminant encore et encore ma soirée, mais Morphée finit par m’attraper.

Je pousse un petit cri lorsque je sens une main se poser sur mon visage endormi. On m’attaque à nouveau ? Marc m’a retrouvée ?

— Chut, Clémentine. Je suis juste venu te ramener une couverture, me dit le beau blond dont la silhouette se dessine à la lumière de la Lune.

Il ne porte que son petit boxer gris sexy et j’ai l’impression d’être en train de rêver. Je m’en veux un peu d’avoir eu peur de lui, mais il n’a pas l’air de s’en émouvoir. Au contraire, il s’assoit au bord du canapé et pose la couette qu’il a ramenée sur moi.

— Merci, fallait pas… Désolée de squatter, mais j’avais besoin de calme et j’ai des pots de colle à la maison.

— Ne t’en fais pas. Je te dois bien ça. Et pour les pots de colle, je confirme, rit-il doucement.

— Oui, tu en as eu un bel exemple, ce soir, soupiré-je en tirant la couverture jusque sous mon menton.

— Oui, ce n’est pas désagréable. Mais ça aurait été mieux si ça avait été toi, assume-t-il de me dire en me caressant doucement les épaules.

— Tu ne t’es pas fait mal à la main, au fait ? lui demandé-je pour changer de sujet. Tu as une sacrée droite.

— Ne t’inquiète pas pour moi. Ce n’est pas mon premier coup de poing donné. Il a eu plus mal que moi, je crois. Et c’était bien mérité.

— Je peux te poser une question ? Genre, je pense que tu vas te renfrogner parce qu’on va parler de toi, ris-je doucement, mais j’ai bien envie de tenter quand même. Faut croire que j’aime me faire rembarrer.

— Mauvaise idée, je pense, mais je ne peux pas t’en empêcher, si ?

— Il n’est pas né, celui qui y arrivera. Je… En fait, hormis les muscles, le côté peu loquace, le côté organisé et j’en passe, j’ai un souvenir de mon grand-père qui m’est revenu ce soir. Tu vois, une fois, il s’est énervé contre un gars qui m’avait bousculée sur le marché, j’avais sept ou huit ans et j’étais en béquilles. Bref, quand je dis énervé, il était vraiment hors de lui et ils ont dû le maîtriser à deux pour le faire lâcher le mec. Je te jure, c’était impressionnant, et pourtant, il avait quasi soixante-dix ans ! Il avait l’air… Totalement ailleurs, parti dans un autre pays, un autre monde. Un autre contexte, sans doute. Mon papy, il avait fait l’Algérie, alors, je me demandais si tu n’avais pas été militaire, en fait.

Je marche totalement sur des œufs, et je ne sais pas si c’est la pire des idées possibles dans un tel contexte. Avec la chance que j’ai, il va me foutre dehors et je vais devoir retrouver les filles et avoir droit à l’interrogatoire suite à mon absence prolongée.

— Ça te dérangerait si c’était le cas ? me répond-il, toujours énigmatique.

— Non, pourquoi ça me dérangerait ? Peu importe ce que tu fais ou faisais, ça ne changerait rien, tant que tu n’es ni un violeur, ni un pédophile ou je ne sais quoi d’horriblement cruel.

— J’étais dans l’armée oui, soupire-t-il. Et c’est là la raison pour laquelle j’ai dû tout quitter et m’exiler ici.

— Je vois… Enfin, non, je ne vois pas, mais je vais faire comme si je comprenais, dis-je doucement.

— Il n’y a rien à comprendre à la folie des hommes. Il faut que tu dormes maintenant, demain, il faut être en forme, le restaurant est ouvert à midi, je te rappelle.

— Je sais, soupiré-je. Mais… C’est toi qui m’as réveillée, après tout !

— Oui, désolé, je ne voulais pas que tu attrapes froid. Bonne nuit, me dit-il en déposant un petit bisou sur mon front avant de repartir dans sa chambre, l’occasion pour moi de mater ses fesses musclées.

— Bonne nuit, Thor ! dis-je en lui lançant un coussin à travers l’arche qui sépare les deux pièces, visant assez bien son dos.

Il se retourne, attrape le coussin et le serre contre son torse.

— Eh bien, tant pis pour ton coussin. Si tu veux le récupérer, il faudra venir le chercher dans le lit du Dieu sexy qui te sert de serveur. A bon entendeur… me répond-il avec un clin d'œil.

— Sérieusement ? Tu oses ? Bon sang, j’y crois pas ! Thor est un Dieu bienveillant et toi tu me prives de mon coussin ? J’espère pour toi que tu as le sommeil lourd, ris-je.

— Je suis bienveillant. Si tu négocies bien, tu pourras repartir avec ton coussin contre un bisou ! Bonne nuit Patronne !

Foutu Russe ! J’y crois pas. J’ai autant envie de l’engueuler que de rire et, honnêtement, j’hésite à y aller. Je dois mettre cinq minutes à me décider avant de me lever doucement et de gagner sa chambre. Je soulève la couverture et me glisse sous les draps, posant ma tête sur l’oreiller à ses côtés en me retenant de rire.

— Si l’oreiller ne vient pas à toi, viens à l’oreiller, murmuré-je.

— Ça veut dire pas de bisou ? demande-t-il déjà à moitié endormi.

Je me tourne vers lui et pose ma tête contre son épaule, y déposant un léger baiser.

— Je suis gentille et bienveillante, Thor. Un peu casse-couilles, je le concède, mais pas méchante.

— Bonne nuit, Clémentine la gentille.

Il m’enserre dans ses bras et ferme les yeux sans chercher à profiter de moi ou de ma présence. Ce mec est vraiment incroyable. Il faudrait peut-être le faire cloner pour en fournir un à chacune de mes amies ? Parce que moi, finalement, je déposerais bien un véto...

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