39. Une lueur d'espoir

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Alexei

Le service de ce midi a encore été compliqué à gérer. Beaucoup de monde et ça peine à suivre en cuisine. Même en ayant diminué la carte et en faisant des promotions sur le plat du jour pour inciter les gens à le prendre, je vois bien que Clémentine est en grande difficulté pour tout gérer. Je meurs d’envie d’aller lui donner un coup de main, mais mes différentes tentatives se sont soldées par des aboiements et des grognements. Bien loin des gémissements que je lui inspirais il y a quelques jours encore ! Alors, je n’insiste pas, mais je fais tout ce que je peux pour faciliter les choses. Je n’ai pas pris mes jours de repos afin d’épauler Sonia et Jérôme, mais Clem, absorbée par sa cuisine, n’a même pas remarqué. Ou alors, elle s’en fout. Peut-être qu’elle s’en fout de tout ce que je fais désormais et ça peut se comprendre, même si ça fait mal. Pour quelqu’un comme elle, une trahison, c’est comme un tatouage : ça fait mal quand ça s’inscrit et c’est indélébile.

Je remonte dans mon appartement une fois tout terminé. Lisa est encore à l’école, même si elle ne devrait plus tarder. Je prends mon téléphone pour appeler le vieux cuistot.

— Bonjour Paul, je t’appelais pour prendre de tes nouvelles. C’est Sonia qui m’a donné ton numéro.

— Oh Alexei ! Content d’avoir de tes nouvelles ! Comment ça va au restaurant ? Je n’ai pas eu de nouvelles récentes de Clém, on dirait qu’elle est débordée.

— C’est pas terrible au restau, et c’est un peu de ma faute.

— De ta faute ? Pourquoi donc ? demande-t-il, un peu étonné.

— En fait, c’est plutôt Hervé qui est responsable. Pour tout te dire, il m’a embauché, comme il l’a fait avec ton remplaçant pour couler le restaurant. Mais ne me juge pas trop vite, entre deux, je suis tombé amoureux de Clem et j’ai arrêté mes bêtises. Maintenant, j’ai besoin de ton aide…

— Attends, c’est quoi cette histoire ? Qu’est-ce qu’il a fait, Hervé ? Tu plaisantes, j’espère ? On se croirait dans un mauvais film, là !

— Clem ne t’a rien dit alors ? Parce que non, ce n’est pas un mauvais film, c’est juste la triste réalité. Ton remplaçant a essayé de foutre le feu au restaurant, et il a tout lâché à Clem. Je ne suis pas tout blanc, Paul, mais je me suis arrêté dès que j’ai vu ce que valait Clem. Je te jure que je n’ai pas fait grand-chose.

— Clem ne m’a rien dit, non, soupire-t-il à l’autre bout du fil. Comment va-t-elle ? Qu’est-ce qui t’a pris de bosser avec ce connard ?

— J’avais besoin de fric pour sauver ma fille d’une des mafias russes. J’avais pas le choix, Paul. Et je te promets que j’ai arrêté dès que j’ai compris que le restaurant comptait autant pour Clem.

— La triste réalité, hein ? Je réitère, comment va Clem ? Et… Comment va ta fille ? Si tu as arrêté...

— Clem est au bout du rouleau. Elle refuse mon aide. Quant à ma fille, elle a été délivrée par un ami et… Elle vit avec moi, ici. Clem l’adore, je crois que c’est pour ça que j’ai pas été viré encore. J’ai tout gâché, Paul. J’ai besoin de tes conseils. Je veux vraiment aider Clem, mais elle me laisse pas approcher. J’ai merdé, je sais, mais là, je veux l’aider. Vraiment.

— La confiance se gagne, Alexei. Si tu l’as brisée, il va falloir du temps à Clémentine pour la retrouver. Elle a beau s’en défendre, elle tient de son père pour ça.

— C’est de Hervé qu’elle doit se méfier, pas de moi ! Tout ce que j’ai fait, c’était pourrir sa sauce et foutre en l’air l’électricité. Je sais que ce n’était pas cool, mais je devrais pouvoir me faire pardonner, non ? Paul, je te jure que maintenant, je serais prêt à tout pour l’aider. Même si après, je dois me barrer, comment je fais pour l’aider ? Tu as une idée ?

— J’en sais rien moi, soupire-t-il avant de se racler la gorge. Son père m’a fait la gueule pendant trois mois parce que je lui avais conseillé d’y aller mollo sur les recettes au fromage, tu sais.

— Trois mois ?

— Ouais, ils ont un foutu caractère dans la famille. Je sais pas… De petites attentions, j’imagine ? Je t’ai vu l’aider à refaire une sauce le soir où elle l’a… Enfin non, le soir où tu l’as sabotée. Tu sais cuisiner, alors, j’imagine que tu peux lui piquer quelques recettes et t’entraîner pour finir par l’avancer un peu dans ses services ? Ou, va savoir… Des bouquets de fleurs bleues tous les jours ? Des excuses quotidiennes ? Peut-être que tu peux ramper à ses pieds pendant trois mois, finit-il par rire.

— Je n’ai pas vraiment besoin de m’entraîner, tu sais… J’ai travaillé en tant que chef dans le restau de ma femme. J’ai plus que quelques bases.. Tu crois que les fleurs, ça pourrait vraiment marcher ?

— Foire sa sauce au Pont-l’Évêque et tu es mort, Alexei, même la mafia Russe te fera moins flipper que Clémentine en colère, rit-il encore. Je ne sais pas, pour les fleurs. Elle t’a déjà dit pourquoi il faut des fleurs bleues sur chacune des tables du restaurant ?

— Je ne crois pas, non. Tu sais pourquoi, toi ?

— C’est sa mère qui fleurissait les tables tous les jours. Il n’y a pas un jour de l’année où elles n’étaient pas bleues, ces fleurs. Enfin, il n’y a pas eu de fleurs pendant quelque temps, après la mort de Laurence, mais François a fini par reprendre cette habitude.

— Oh, c’est romantique, ça. Elle n’en met plus, là, depuis quelques jours. Et Paul, pour ton accident, c’est Hervé qui en est à l’origine. Si tu veux porter plainte, je pourrai témoigner. Je veux vraiment me faire pardonner.

Il reste un instant silencieux pour assimiler cette nouvelle information puis reprend, la voix presque éteinte.

— Je ne veux pas t’attirer d’ennuis… Je vais mieux, c’est l’essentiel. Alexei, fleuris les tables si elle ne le fait plus. Ce sera une première étape.

— Oui, oui, j’ai déjà noté de faire ça. Mais j’ai pas envie qu’Hervé remporte la partie. Je dois trouver le moyen de le faire plonger pour ce qu’il a fait. Ce gars est fou, Paul…

— Il risque de t’entraîner dans sa chute, tu es complice quand même. Rien de grave, certes, mais ça, c’est ta parole contre la sienne.

— Je m’en fous, sans Clémentine, la vie n’a pas de saveur. C’est un peu comme si je mangeais mes plats sans sel ou sans épices. Rien pour révéler la saveur des choses… Bref, merci Paul. Et rétablis-toi vite. Elle va avoir besoin d’un deuxième chef rapidement !

— C’est romantique aussi, ça. Je vois que tu es accro, le Russe. J’essaie, mais ça prendra du temps. Si elle m’aménage un poste de travail où je peux bosser couché, pourquoi pas, mais ça me paraît compliqué. Allez, tiens-moi au courant !

— A bientôt Paul. Et encore merci.

Je raccroche et réfléchis à ce qu’il m’a dit. Je vais m’occuper des fleurs, c’est ce qui semble le plus simple dans l’histoire. Mais comment on fait pour trouver des fleurs bleues ? Je ne suis pas fleuriste, moi ! Je fais une petite recherche sur Internet et je trouve les coordonnées du fleuriste du village. Je l’appelle et tout de suite, quand j’explique que c’est pour le Plaisir Normand, elle comprend ce que je lui demande et me dit qu’elle va reprendre les livraisons dès ce soir. J’adore cette efficacité ! Elle est juste un peu surprise quand je lui dis de me le facturer à moi et pas au restaurant. Mais bon, si je veux les offrir, c’est pas pour que ça apparaisse dans les factures de Clem !

Je soupire et sors prendre l’air sur la terrasse. Je m’appuie sur la balustrade et repense à ce que m’a dit Paul. Je suis content de voir qu’il m’a écouté et que, lui, ne m’en veut pas plus que ça. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un qui ne me juge pas plus que je ne le fais déjà. Si seulement il pouvait revenir ! Il faudrait que j’imagine un truc. Un lit ambulant devant les feux de cuisine ? Folle idée, non ? Impossible ? Sûrement.

Lorsque je me retourne pour retrouver mon appartement, après avoir bien profité de la magnifique vue, mes yeux se posent sur Clémentine qui est installée là, sur un transat, et qui me regarde, amusée que je ne l’ai pas vue à mon arrivée, mais le petit sourire s’efface rapidement quand elle réalise que c’est de moi qu’il s’agit. Moi, le traître. Moi, l’homme de l’ombre.

— Désolé, Clem, je n’avais pas vu que tu étais là. Je ne voulais pas déranger.

— C’est rien… Un problème ?

Je ne réponds pas tout de suite, mais j’admire la vue qu’elle m’offre. Elle porte ses lunettes de soleil sur son front pour mieux m’observer, et un petit ensemble bleu marine, avec un soutien gorge en forme de cœur et une petite jupe de maillot de bain qui révèle plus qu’elle ne cache ses formes pulpeuses. Je n’arrive pas à contrôler l’érection qu’elle provoque chez moi et je n’arrive pas à détacher mon regard d’elle.

— Euh, non, pas de problème, Clem… Enfin, si, mais rien que tu ne veuilles entendre.

— Rien que je ne veuille entendre ? Je ne suis pas un monstre, non plus, soupire-t-elle. J’ai un cœur, tu sais…

— Oui, je le sais. Je sais même que je l’ai brisé et que je suis un gros connard qui a grillé toutes ses chances de bonheur avec une femme formidable. Donc, oui, je suis au courant, dis-je, un peu amer. Je vais rentrer chez moi pour ne pas te gâcher ton après-midi.

— Je ne vais pas te plaindre, non plus… Désolée de manquer d’empathie, mais c’est le problème quand on a le cœur brisé, je crois. Bon après-midi alors.

— Clem ? Ça va quand même ? Tu tiens le coup ?

— Je… Heu, bafouille-t-elle, apparemment surprise par ma question. J’ai pas trop le temps de penser, avec le restaurant… Et je suis fatiguée, mais ça va. Enfin, ça finira bien par aller vraiment.

— Lisa voudrait venir chez toi, ce soir. Pour y dormir, entre filles. Tu crois que ce serait possible ?

— Bien sûr, mais j’espère qu’elle ne s’attend pas à une nuit blanche, parce que je ne suis même pas sûre de tenir un épisode de série.

— Elle veut juste parler avec toi, je crois. Je te préviens, elle veut défendre ma cause perdue. J’ai essayé de l’en empêcher, mais je n’ai pas réussi… Je n’ai aucune autorité sur elle.

— J’en prends note… La soirée promet d’être sympathique, alors.

— N’hésite pas à lui dire que quoi qu’elle dise, ça ne servira à rien. Moi, j’ai compris. Elle, elle espère encore.

— Tu as compris ? Je vois… J’espère que tu étais plus combatif à l’armée, marmonne-t-elle, si bien que je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu.

— Parce que le combat n’est pas perdu d’avance ? dis-je doucement, continuant à l’admirer, mon sexe bien à l’étroit dans mon jean.

— Un combat n’est jamais perdu d’avance… On ne t’a pas appris ça, à l’armée ?

— A l’armée, si, mais ma mère m’a aussi appris à ne pas forcer une dame qui n’a pas envie. En tous cas, si tu m’invites à combattre, sache que je suis prêt à le faire. Quelles que soient les conditions et les règles du jeu.

— Je t’invite à me prouver que je peux avoir confiance en toi, et ce n’est pas gagné.

— Je suis tout à ton service, Clem. Corps et âme. Jusqu’en enfer s’il le faut, même si je préfèrerais connaître le paradis avec toi.

— Si tu le dis… On verra ça.

Si je comprends bien, c’est une nouvelle ouverture qu’elle m’offre. J’ai l’impression qu’un rayon de soleil est apparu dans mon ciel rempli de nuages. Je sens une lueur d’espoir se rallumer au fond de moi et j’essaie de brider mon excitation face à ce revirement inattendu.

— Je vais te le prouver, Clem, merci de cette nouvelle chance.

— Remercie ta fille et ses petits mots dans la salle de bain surtout.

— Ses petits mots ?

— Oui, elle a de l’imagination, Lisa. Et elle est douée en Français.

— Je la remercierai aussi, alors. Je ne te décevrai pas, promis. Pas deux fois, sinon je me tue.

Je lui fais un petit sourire avant de me retirer dans ma chambre. C’est fou comme ces quelques mots m’ont remis du baume au cœur, comme j’ai retrouvé l’espoir. Il reste infime, une petite lueur dans le ciel, mais il est là. Entre ça et la discussion avec Paul, j’ai retrouvé foi en l’avenir. Ça n'a pas de prix, tout ça.

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