42. Birthday Time

9 minutes de lecture

Clémentine

— Je peux entrer ?

— Je peux avoir encore quelques minutes de paix dans ma salle de bain ? bougonné-je.

— Tu pourrais oui, mais on va être en retard !

Et alors ? Je m’en fous un peu, personnellement. Je ne voulais pas que Mathilde organise mon anniversaire, mais elle a lourdement insisté. Il paraît que j’ai besoin de vivre un peu, que je deviens une grand-mère, que je vais pourrir dans mon restaurant si je continue à enchaîner les services sans avoir de vie sociale. Je n’ai pas le temps pour une soirée d’anniversaire sur le seul soir de fermeture du restaurant. Je n’ai pas envie de voir mon restaurant en bordel, parce que mes amis sont des tornades ambulantes. Je n’ai pas envie d’avoir devant les yeux la preuve que je n’ai plus de famille, hormis un oncle qui cherche à couler le seul bien de mes défunts parents.

— La soirée ne peut pas commencer sans l’invitée d’honneur, donc techniquement on ne sera pas en retard, Mathilde.

— Bordel, Clem, bouge ton joli cul de la salle de bain avant que je n’entre moi-même ! J’ai ta robe en otage !

— Ne touche pas à ma robe ! m’affolé-je.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? bougonne Alexei en entrant dans la pièce comme si de rien n’était.

— Fais comme chez toi, surtout, soupiré-je alors que ses yeux parcourent mon corps sans aucune gêne.

Oui, bon, ok. Techniquement, il a déjà tout vu, alors, moi en sous-vêtements, ce n’est pas si important que ça, si ? Je suis quand même plus habillée que je ne l’ai déjà été en sa présence. Mais bon, j’aurais pu être en train de m’épiler ou je ne sais quoi, un peu d’intimité, c’est trop demander ?

— Clem !

La tornade Lisa entre à son tour et j’ai droit à un câlin. Je ne dis pas non, jamais. J’aime trop cette petite pour la repousser. Papa-Thor nous observe et je ne saurais dire ce qui passe dans ses yeux. Des regrets ? Tu peux. De la jalousie ? Envers laquelle de nous ? De la peine ? Bien fait, j’entends encore mon cœur se briser au sol. Bref, j’ai toujours autant envie de le fracasser, mais une part de moi aimerait qu’il nous rejoigne et nous enserre toutes les deux dans ses grands bras forts.

— Pourquoi t’es maquillée que d’un œil ?

— Heu… Parce qu’on me dérange toutes les dix secondes ? ris-je alors que Lisa m’observe d’un œil critique absolument adorable.

— Papa, laisse Clem tranquille !

Je souris en la voyant tenter de pousser son père hors de la salle de bain. Son accent est tellement craquant, et je parle de la fille ! Alex bougonne et ne se laisse pas faire, avançant vers le lavabo et donc vers moi.

— Mathilde a raison, on va être en retard et ce sera ta faute, Zatchik.

Mon épiderme frémit lorsqu’il me frôle pour récupérer sa brosse à dents. Mes sens sont en éveil total. Je sens son odeur me caresser les narines, son bras contre le mien pendant que je le vois à travers le miroir s’atteler à la tâche, torse nu. Est-ce qu’il s’habille, parfois, en dehors des services ? Se dit la nana en sous-vêtements…

Ses yeux goguenards en disent long sur la conscience qu’il a de l’effet qu’il me fait. Foutu Russe ! S’il veut jouer, il me connaît mal. Je me penche devant lui, frôlant sa virilité de mon avant-bras pour récupérer mon eye-liner sur le rebord du lavabo. C’est ce moment que choisit Mathilde pour ouvrir la porte qui donne sur mon appartement. Elle éclate d’un rire bruyant, presque forcé, et je la vois reluquer le postérieur d’Alexei à travers le miroir.

— Ah oui, je comprends pourquoi tu ne sors pas de cette salle de bain.

— C’est ça, bougonné-je, j’adore tellement qu’on m’emmerde pendant que je me prépare que j’y reste des heures durant.

— Ça veut dire quoi, “m’emmerde” ? demande Lisa alors que je fais déjà une moue d’excuse à Alexei.

— C’est un gros mot, Lisa, pardon, soupiré-je. Il ne faut pas dire ça. Elle est jolie cette robe, tu vas être la plus jolie de la soirée.

— Merci, s’extasie-t-elle en faisant un tour sur elle-même. Papa m’a emmenée l’acheter hier.

— Bien joué, Papa-Thor, tu as bon goût.

— Je sais, me répond-il, la bouche pleine de dentifrice, son regard se promenant sur mes formes.

— Bien ! Lisa, tu viens avec moi ? Je te propose de te prêter des boucles d’oreilles. Clem en a plein dans sa boîte à bijoux, intervient Mathou alors que les yeux de la jolie petite blonde pétillent de joie.

— Trop bien !

Ok, finie la peur de Mathilde, elle s’engouffre dans mon appartement sans même demander l’autorisation à son père.

— Faudra dire à ta fille de ne pas monter dans la voiture d’un inconnu, même s’il lui propose des boucles d’oreilles.

— J’y penserai oui. Mais je crois que Mathilde me fait plus peur qu’un inconnu en voiture.

Je secoue la tête en souriant et me penche sur le lavabo pour faire mon deuxième trait d’eye-liner. Du moins j’essaie, parce que le regard d’Alexei m’empêche de me concentrer. Ma main tremble légèrement et je sursaute lorsqu’il pose la sienne sur ma hanche, foirant totalement ma ligne.

— Putain, marmonné-je sans pour autant bouger, trop consciente du plaisir de sentir sa peau contre la mienne.

— Pardon, je ne voulais pas te faire sursauter. J’ai bien des envies, mais celle-là n’en fait pas partie. J’ai besoin du lavabo avant de cracher du dentifrice partout.

Je recule en levant les yeux au ciel, et seulement après avoir récupéré un coton pour effacer la preuve de mon incompétence en matière de make-up. Alexei se rince la bouche et j’observe ses muscles bouger au gré de ses gestes, ainsi que le lynx tatoué entrer en mouvement sur son omoplate comme s’il était vivant et bien réel.

— Je te laisse tranquille, Clem, finit-il par dire en me laissant la place devant le lavabo. Très jolie, cette coiffure.

Un frisson me parcourt lorsque je sens ses doigts se poser sur ma nuque dégagée. Oh bordel, le chignon haut était définitivement une bonne idée. Je m’efforce de ne pas fermer les yeux, de ne rien montrer du plaisir que je ressens à son contact, mais sa paume chaude finit par glisser le long de mon dos pour venir à nouveau presser ma hanche, puis elle glisse sur mon ventre alors qu’il vient se coller dans mon dos.

— Tu es superbe et tu n’as pas besoin de ce maquillage, jolie Clémentine.

Ses beaux yeux d’un bleu clair similaire à aucun autre sont plongés dans les miens à travers le miroir et j’ai une conscience aiguë des réactions de mon corps au contact du sien. J’ai l’impression d’avoir envie de me fondre dans cette étreinte, que ma température corporelle vient de grimper de dix degrés en quelques secondes au contact de cet iceberg russe qui n’en est définitivement pas un. Son souffle chaud vient caresser mon cou avant qu’il n’y dépose un doux baiser qui me fait frissonner. Il frotte ensuite doucement son menton barbu sur mon épaule, créant ainsi une nouvelle vague de frémissement de mon épiderme. Ce mec me connaît définitivement trop bien, il sait comment faire réagir mon corps sans même en venir à des gestes plus osés. Il lui suffit de se presser contre moi, de s’attaquer à mon cou, de promener sa main sur mon ventre, de me faire sentir toute son excitation. Foutu Russe et foutu traître de corps.

Alexei me lâche en soupirant et sort de la salle de bain sans un mot de plus. Ma température corporelle redescend brusquement au profit d’une montée vertigineuse de ma frustration. Je me demande qui a finalement gagné ce round, parce que nous finissons tous les deux frustrés plus qu’autre chose.

Je finis de me préparer machinalement, et laisse la salle de bain à Mathilde alors que Lisa regagne l’appartement de son père toute guillerette. J’enfile ma robe et mes sandales, m’observe dans le miroir et me trouve plutôt jolie, malgré mes complexes. Ce soir, je vais essayer de tout mettre au placard pour profiter, même si je sais que ça ne sera pas facile.

Quand nous arrivons dans la salle de restaurant, je constate que les tornades sont passées par là. Toutes les tables ont été placées le long d’un mur et de gros bouquets de fleurs bleues y sont déposés, ainsi que des verres et des bouteilles. La terrasse a été débarrassée du mobilier, ne restent que quelques chaises et le barbecue. Les filles sont déjà là et je les remercie pour la soirée, même si j’ai encore un doute quant au plaisir que je vais prendre à être ici, dans ce restaurant qui m’a vue grandir, où j’ai fêté plusieurs de mes anniversaires, d’abord avec mes deux parents, puis juste avec mon père. Aujourd’hui, aucun membre de ma famille ne sera présent. Aujourd’hui, ne reste que leur souvenir et malgré les gens qui viennent m’entourer petit à petit, la solitude est imprégnée en moi.

J’adore comme Alexei bugge en me voyant. C’est bon pour la confiance en soi, c’est clair ! Il faut dire que j’ai dû choisir ma robe la plus décolletée. Asymétrique, l’arrière est arrondi et descend sur mes mollets quand le devant est fendu et remonte haut entre mes jambes. Elle est plutôt moulante, et les bretelles fines découvrent mes épaules. Elle est un peu comme une seconde peau, de couleur écrue et j’ai flashé dessus, j’avoue. Ce n’est pas le genre de robe qu’on met quand on complexe, d’ordinaire, mais je ne regrette pas, vu sa tête.

Bon, est-ce utile de préciser que lui est carrément canon ? Il a enfilé une petite chemise blanche dont il a remonté les manches sur ses avant-bras. Il a laissé quelques boutons ouverts et je n’ai plus envie que d’une chose, à cet instant : ouvrir les autres et retrouver son torse nu pour me perdre dans une étreinte en tête à tête avec ce dieu russe qui me manque atrocement malgré sa présence au quotidien à mes côtés. Oui, je sais, il suffirait d’un signe, d’un geste de ma part pour que nous retrouvions notre proximité d’avant. Mais c’est difficile pour moi. Il m’a trahie, j’ai encore du mal à l’encaisser. Comment lui faire confiance à nouveau ? Comment, quand on manque déjà de confiance en soi, peut-on s’appuyer sur sa propre intuition ? Parce que, clairement, la petite voix en moi me dit qu’Alex ne me trahira pas à nouveau, qu’il a fait ça pour Lisa et que maintenant qu’elle est là, il n’a plus de raison de s’acoquiner avec mon oncle. Elle me dit aussi qu’il n’a pas fait grand-chose, au final, même si saboter ma sauce a été une torture psychologique pour moi et un bon coup de couteau dans ma confiance professionnelle. Pour autant, chaque fois qu’il a saboté quelque chose, il m’a aidée par la suite. Pour ne pas se faire repérer ? Par culpabilité ? Je n’en sais rien, et c’est ce genre de questions qui me taraudent constamment et m’empêchent de tourner la page.

Alexei approche, le sourire aux lèvres, Lisa à ses côtés, quand on m’interpelle depuis l’entrée.

— Voilà la plus belle ! Joyeux anniversaire ma Clem-chérie !

Thomas approche rapidement et vient me prendre dans ses bras. Son parfum fruité qui me faisait autant d’effet que son sourire charmeur envahit mes narines et je sens ses mains se poser sur mes reins quand tout son corps se presse contre le mien. L’effet n’est pas du tout le même que tout à l’heure, dans la salle de bain, quand mon Russe m’offrait une petite minute d’un répit tout doux dans cette guerre froide que je lui mène.

Qui a eu l’idée stupide d’inviter Thomas ? Ah oui, moi… Mais pourquoi est-ce que j’ai fait ça ? A quel moment est-ce que je vais arrêter d’être aussi impulsive ? Je voulais juste montrer à Alexei que rien n’est gagné d’avance, qu’il n’est pas assuré de me voir à nouveau un jour dans son lit. Et peut-être aussi que je voulais lui rendre la monnaie de sa pièce. Le faire souffrir un peu pour lui montrer ce que ça fait. J’ai honte… Surtout quand je vois son regard, là, maintenant. Merde...

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