Je suis la pâle Acanthe

L'Acanthe ivoirée.

Qui dans sa marche vacante

La peine vit germer.

Je suis l'Ancolie

L'Ancolie rose ou bleue.

Prise d'une maladie

Éclose d'un sol fangeux.

Je suis la Bardane

La Bardane violacée.

Dont tous les organes

Finirent importunés.

Je suis le Chrysanthème

Le Chrysanthème rose.

Et avec moi je sème

Je sème ces pauvres proses.

Je suis le Crocus

Je suis le Crocus rouge.

Enfant de Vénus

Empalée sur sa vouge.

Je suis le Cytise

Le Cytise en robe d'or.

Celle qui s'est assise

A la table du remord.

Je suis l'Églantine

L'Églantine vermillon.

Et qui fait triste mine

Face à ses doux poisons.

Je suis la Gentiane

La Gentiane jaune.

Derrière moi se fanent

Mes vers au bord des lônes.

Je suis l'Hélénie

L'Hélénie flamboyante.

Hantée des nénies

De douleurs soupirantes.

Je suis le grand If

Le grand If verdoyant.

Auquel un vent vif

Arracha ses piquants.

Je suis la Jonquille

La frêle Jonquille vernale.

Mélancolique fille

Aux larmes et au coeur pâle.

Je suis le gai Lupin

Le Lupin bleuté.

Qui dissimula bien

La gaieté faussée.

Je suis la grande Mauve

La grande Mauve empourprée.

Aux secrets d'alcôve

Toujours redoutés.

Je suis la Millefeuilles

La Millefeuilles diaphane.

Aux milles pleurs et deuils

Pour le jardin qui fane.

Je suis l'humble Ortie

L'humble Ortie d'or pâmée.

Celle qui pleure et rit

Et prends conseil des Fées.

Je suis la sombre Pensée

La Pensée obscure.

Soldat ô tourmentée

De cette guerre sans cure.

(Je suis le Romarin.

Assise sur un frêle trône

Je suis le Romarin

Qui mourra sans aumône).

Je suis la tendre Rose

La tendre Rose éternelle.

Sa métamorphose,

Cette verbeuse aquarelle.

Je suis la Tulipe

La Tulipe mordorée.

Qui porte les grises nippes

D'une âme rapiécée.

Je suis le Zinnia

Le Zinnia alerté.

Qui au jardin sema

Des graines de pitié.