XI
Notre Ramirez commençait tout juste à regretter de ne plus avoir Luzi à ses côtés. Son cher et fidèle ami, Luzi. Car vide de ses pouvoirs, il était comme qui dirait vulnérable, immortel certes, mais vulnérable. Et ce moment, Ramirez saisit sa veste pourpre qu’il boutonna et plongeai son regard au travers de la baie vitrée de son bureau et vit son reflet, celui d’un homme, un homme sans force magique. La réponse venue d’Elvis Down le laissait toujours dans cet état second ou, dirait-on, cet état où le mépris et la haine le dominaient, le tout saupoudré d’une pincée d’impuissance. Et c’était ce dont il avait besoin en ce moment, de force, plus que de son mépris et bien plus encore que de sa haine. Et il se rappela alors l’instant où il avait convoqué le démon qui était en train d’affronter Destinée.
Il apparut dans son bureau comme souffle le vent, c’est-à-dire de nulle part, faisant ainsi voler tous les documents préalablement rangés. Ramirez se retourna, et quand il vit que l’immortel Daïnin avait répondu à sa lettre et surtout d’y avoir répondit si tôt, il fut pris de stupéfaction. Daïnin, vêtu d’une vieille tunique noire, n’avait pas de visage et cela surprit Ramirez qui déglutissait à ce même instant.
Daïnin tendit sa main vers Ramirez :
— Toi… pourquoi m’avoir invoqué et surtout pourquoi avec des lettres ancestrales ! Ramirez se reprit, les yeux brillants, et sourit :
— Je voulais juste m’assurer que Destinée ne puisse jamais à nouveau s’enflammer. Cette réplique, il l’avait empruntée à Henri Deville. Et Daïnin évoqua :
— Alors, il est vrai que Destinée est immortelle, et ce même si nous étions persuadés qu’elle ne reviendrait point. Toi, dis-moi qui elle est et donne-moi son sang !
— Un quartier plus loin se trouve papa et maman de Destinée et je ne t’indique pas le chemin, tu le trouveras bien assez vite.
Aussitôt-dit il disparut comme il était venu en soufflant plus encore. Ramirez observait les feuilles voleter comme si de rien n’était, seul un sourire en coin pouvait laisser exprimer son émotion du moment.
Et cette jubilation, Ramirez commençait tout juste à la ravaler, elle lui laissait une certaine amertume. Il était à des lieux de savoir si Luzi était mort ou vivant. Cette pensée le mit soudain en colère et il fit valser son bureau d’un violent coup de pied. L’instant d’après, dans ses yeux réapparut cette lueur braisée en plus faible. Essoufflé par son acte, il semblait en ce moment évoluer comme avait évolué Lars, mais dans la noirceur. L’un comme l’autre sombraient dans la folie et l’inconnu, mais était-ce bien différent ?
Pour cela, il faudrait voir et pouvoir comprendre celle du dirigeant du pays d’Idrézia avait pas bougé de son trône et semblait voyager dans un monde inconnu. Ce même monde qu’était en train voir d’une autre manière encore Ramirez. Aussitôt ses forces réamorcées, il ressentit comme la magie de son défunt frère qu’il avait tué de ses propres mains. Mais il n’en reconnut qu’un dixième de la source, et dès qu’il comprit de qui lui était venue cette grâce, il éclata de rire. Ce même éclat de rire qu’avait eu Lars quand il avait percé à jour ce monde parallèle.
***
Et Rakièl était perdu dans un monde onirique d’un passé maintenant révolu, qu’allait-il devenir ? Les forces divines qui l’avaient dirigé ici-bas dans le sombre pays de Gridès voulaient qu’il parvienne à faire l’impossible. Rakièl voyageait dans ce continent à la Cité sans nom et était accompagné de l’ombre, ou plutôt du spectre, qui lui avait donné la chance de se retirer de son pays. Pendant ce temps, son corps se dirigeait dans l’avenue principale du pays de Gridès. Des ombres alignées en file indienne l’observaient toutes avec un filet de bave. Ce même filet de cette salive que l’on pourrait avoir lorsqu’on trouve un plat savoureux. Et les yeux dans le ciel de jais
clivèrent du jaune ou rouge de manière aléatoire, comme si les dés du destin avait été lancés par un jeu morbide dont la finalité ne serait qu’un pur suicide.
— Vois-tu la réalité, Rakièl ? souffla l’ombre dans le creux de son oreille.
Rakièl observait la beauté du continent Erizhaé et se perdait dans le mensonge de toute une vie, la sienne. Elle qui n’avait été qu’un pâle mensonge et lui n’en savait rien.
— Viens avec moi et allons retrouver nos terres perdues.
Sur Gridès, Rakièl fut enveloppé d’une magie noire comme une nuée de chauve-souris qui lui volerait autour de lui et ses pieds décollèrent du sol. Rakièl s’envola vers ces yeux bicolores qui commençaient à disparaître lorsqu’il s’en rapprocha.
— Rakièl, dis-moi, veux-tu retourner à Erizhaé ?
Il était en ce moment pris dans l’étau entre deux forces divines et ne savait que répondre. — Réponds-moi, Rakièl. Veux-tu enfin revenir chez toi ?
De nouveau dans le ciel de Gridès, il mit ses mains sur le sommet de son crâne en poussant un hurlement terrifiant. Les forces du destin avaient trop misé sur les épaules d’un seul homme dont la douleur était telle qu’elle allait le faire sombrer dans la psychose.
— Rakièl…
— Je ne s-sais pas... mais, je crois que ou...
Quand sorti de cette terre noirâtre, le corps à moitié dévoré de Luzi apparut au milieu de ces créatures, et de sa force kinétique, il attira Rakièl à lui. Et les ombres se ruèrent aussitôt sur eux deux, dévorant en premier le corps de Rakièl. Mais avant qu’elles n’aient pu se nourrir davantage, tous deux disparurent au travers d’une lumière incandescente aveuglant toute noirceur céans.
***
Liban jeta un dernier regard au pays d’Idrézia et disparut dans le tunnel. Il n’avait plus rien à faire ici même, alors il repartit vers Raya. Et dès qu’il fut assez proche d’elle, il capta ses pensées récurrentes qui lui sommèrent de revenir, et de toute urgence, il usa de son pouvoir de déplacement instantané, pouvoir qui lui demandait une réserve conséquente de sa magie, et il ne put apparaître qu’à quelques centaines de mètres de l’affrontement entre Daïnin, Angelo, Ross, sa Flamme et Destinée.
Anaëlle commençait à avoir peur, cette même peur transmise plus tôt par sa maîtresse, Raya. Et la couleur de ses flammes régressa pour passer de l’indigo au rouge carmin. Détail que capta aussitôt Raya, en pleine concentration pour les protéger. Et même si son pouvoir était impressionnant, chaque assaut répété des dragons de Daïnin absorbait son pouvoir, alors elle devait puiser plus encore dans sa réserve magique qu’elle avait accumulée durant des siècles. Anaëlle ne comprenait pas son changement d’état et quand elle regarda Ross prêts à se préparer au pire, elle ferma les yeux comme guidée par une force :
Anaëlle, tu dois avoir confiance, mais surtout en toi. Alors, ne laisse plus personne l'influencer d’une manière ou d’une autre. Je ne peux rester longtemps maintenant. Tout dépendra de toi.
Anaëlle ne reconnut pas cette voix mais elle comprit qu’elle devait croire en l’impossible et elle amorça un pas devant l’autre. Son corps se recouvrit soudain de flammes. Des flammes bleuâtres déformaient son corps et elle sortit sous le regard de Ross qui voulut la retenir, mais dès qu’il s’approcha d’elle, la puissance qu’Anaëlle dégageait en ce moment le repoussa d’une vague de chaleur. Face à ce changement d’état, plus haut, Daïnin sut. Il rappela ses dragons et absorba la magie dérobée.
L’instant où elle sortit, Anaëlle devint Destinée.
Fin de la première partie
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