5 LOST & TOURMENTE

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1996, Louisville, Kentucky

Une fois dans le bâtiment, les enfants ressentirent toujours la même tension palpable, sinistre qu’à l’extérieur.

— Tu as entendu, Kevin ? s'exclama Matthew, soucieux à cause de l'étrange bruit qu'ils avaient entendu dehors. Toutes les lampes torches étaient braquées vers l'escalier qui menait au troisième étage. L'obscurité régnait dans tout l'édifice abandonné, laissé à l'identique depuis sa fermeture définitive en 1981. Emmy, morte d'inquiétude, s'agrippait au bras de son petit ami, Matthew, qui, le bras tendu avec sa torche, inspectait chaque recoin du lugubre couloir menant à l'escalier. Des chariots en métal traînaient un peu partout ; ils devaient servir aux infirmières. Sur certains, il y avait encore des flacons de streptomycine.

— Regardez, vous croyez que c'est de la morphine ? interrogea Kevin, curieux.

Le jeune homme attrapa le flacon et le tourna dans tous les sens.

— Tu sais lire, idiot, il y a marqué "Streptomycine" et pas morphine. On touche pas on sait pas ce que c’est ! rétorqua Emmy du tac au tac, d'une voix peu rassurée.

À cette époque, les téléphones portables n'existaient pas et l'on ne pouvait pas faire "Ok Google" pour faire des recherches rapides.

Peter, derrière, scrutait les environs, tremblant de tous ses membres.

— Les gars, je ne suis pas rassuré, partons !

Malheureusement, Kevin et Matthew étaient bien décidés à savoir d'où provenait ce son étrange. Ils avaient clairement entendu une voix d'enfant.

— Rassure-moi, Math, tu as bien entendu la même chose que moi ? "Viens jouer !", annonça Emmy en serrant la main de Matthew de plus en plus fort.

En le répétant, tout le groupe ressentit simultanément un grand souffle dans le dos, glacial et oppressant. Emmy se raidit face à ce phénomène sinistre qu'elle ne parvenait pas à expliquer et qui dépassait sa nature pragmatique. Kevin, en tête, grimpa les marches en bois, grinçantes, couvertes de poussière. Un bruit d'objet tombant déchira le silence pesant et palpable. On aurait dit un objet qui rebondissait. L'écho se dispersait dans tout l'étage, donnant par la même occasion la chair de poule aux enfants.

— Venez jouer avec moi ! déclina une voix d'enfant qui ne pouvait pas émaner d’un membre farceur du groupe.

Elle avait un timbre fluet, semblable à une voix féminine, pourtant il s'agissait bien d'un garçon. Celui-ci apparut, le temps d'un instant, en haut de l'escalier, le regard vitreux, mort, et au teint cireux. Kevin, Matthew, Emmy et Peter hurlèrent de toutes leurs forces en courant en tout sens dans le bâtiment. Pris de panique, ils n'eurent pas le bon sens de rester groupés et de suivre le même chemin qu'à l'arrivée. Emmy, dans la précipitation, lâcha accidentellement le bras de Matthew. À ce moment-là, il n'y avait plus de petit ami, ni d'amour, mais juste la survie ! La panique s'emparait inexorablement de tout son être. Tremblante, transpirante, frigorifiée par l'horreur de ce petit garçon aux allures fantomatiques et difformes. Le rebond de ce qui semblerait être une balle, résonnait sans cesse dans son esprit, ainsi que cette voix surgie du néant : "Venez jouer avec moi !". Sentant qu'elle arrivait à bout de souffle, elle dut aller chercher au plus profond d'elle-même le peu d'énergie qui lui restait pour s'extirper de cet enfer. Sa lampe torche vacillait, l'ampoule clignotait, signe d'une panne imminente ?

— Ce n'est pas le moment de me lâcher, merde !" s'époumona Emmy en parvenant à sortir du bâtiment.

Dehors, l'air était glacial, lourd, chargé d’une menace surnaturelle. Au troisième étage, elle aperçut une ombre qui passait d'une fenêtre à l'autre. Sans perdre une seconde, elle quitta la propriété sans se retourner. Kévin, quant à lui, était toujours dedans, sprintant au deuxième étage. Il cherchait la sortie en espérant la trouver rapidement. Il entendit d'autres bruits, lointains, qui devaient provenir des paliers voisins : des grattements contre les parois des murs, des bruits de pas, sûrement de ses amis se dit-il pour se rassurer. D'autres voix d'enfants se firent entendre, ils avaient l'air de chanter. La mélodie était à peine audible.

"Ring a Round the Rosie,

A Pocket Full of Posies,

Ashes, Ashes,

We All Fall Down!"

Des rires sardoniques accompagnaient la chanson aux airs macabres et glauques. Kevin, qui pourtant ne se laissait pas facilement impressionner, sentit son estomac se nouer et son cœur battre à tout rompre. Il fut pris d'un haut-le-cœur mais s’interdit de s'arrêter de peur d'être happé par cette situation d’horreur qu'il ne parvenait pas à définir. Sa lampe s'allumait et s'éteignait régulièrement, à croire qu'il y avait un phénomène électromagnétique dans le bâtiment qui parasitait les appareils électriques.

Alors qu'il regagnait enfin le rez-de-chaussée, il se heurta à Peter qui laissa échapper un cri strident.

— Mince, tu m'as fait peur, Pet! Où est Matthew ? J'espère qu'il est dehors, lança Kevin en poussant Peter vers la sortie. Les portes se refermèrent aussitôt dans un vacarme assourdissant.

— C'était quoi ce bordel, bon sang ?! vociféra Kevin en reprenant son souffle.

— Où sont les autres ? bafouilla Peter, le souffle court.

Kevin ne répondit pas, il était trop obnubilé par le bâtiment et cette ombre qui semblait l'observer du quatrième étage. Il était trop loin pour la distinguer, mais il savait au fond de lui qu'elle l'observait. Pris d'une chair de poule intense, il passa la grille et prit la fuite en laissant Peter seul.

— Matthew, où es-tu ? Nous sommes dehors ! hurla Peter d’une voix tremblante et sifflante.

Alors que tous les autres avaient pris la fuite, il resta là, à attendre son ami. Il n'était pas particulièrement vaillant, ni malin, mais il était fiable et fidèle. Depuis tout petit, il était la proie des quolibets et de blagues de mauvais goût. Chétif et maigrichon, il ne faisait pas son âge et passait souvent pour un frêle et fragile petit enfant à la mine maladive.

Il n'avait guère de choix que de retrouver son ami disparu, il s'en voudrait et ne pourrait jamais plus se regarder dans une glace sans avoir honte. Il prit son courage à deux mains et courut vers la porte d'entrée qui demeurait fermée. Il força autant qu’il put, mais l'imposante porte restait verrouillée.

— Matthew, es-tu là ? hurla Peter en tenant sa lampe d'une main tremblante.

— Je suis là ! se fit entendre la voix de son ami, plus loin.

Ragaillardi, Peter courut en direction de la voix, mais il ne parvenait pas à la situer précisément. Il longea le bâtiment en espérant trouver une porte ouverte. Il tomba sur une issue de ce qui semblait être un tunnel, accès au matériel sûrement.

Matthew, terrifié et seul, errait, perdu, dans un gigantesque bâtiment fantôme, cherchant désespérément une sortie. Il s’agrippait si fort à sa lampe qu'il en avait mal aux doigts. Il ne parvenait toujours pas à s’expliquer ce qu’il avait vu et entendu. Il serait mortifié que ce ne soit que son imagination et la bière. Les couloirs semblaient rétrécir à mesure qu’il avançait dans le sanatorium. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'il avait l’impression qu'il était au bord de l’implosion. Il n'avait jamais ressenti un tel sentiment, violent, dur et brutal, de toute sa jeune vie.

Un silence de mort s’abattit sur tout le bâtiment. Il n’y avait plus aucun bruit, pas même le vent qui s'insinuait par les fenêtres brisées.

— Peter, tu es où ? Je suis au sous-sol ! Je dois être au niveau du sol à peine, je vois des petites fenêtres au ras du sol, regarde !" hurla Matthew.

Malheureusement, Peter ne l’entendait plus, ou du moins très faiblement. Tandis que Peter tournait autour de la sortie du tunnel, quelque chose progressait derrière lui, une forme lointaine. A peine entré dans le bâtiment par cet accès dérobé dédié au personnel, il entendit de sinistres bruits.

— Je suis là ! murmura une voix qui semblait venir de très loin, peut-être d’un étage au-dessus.

Peter ne parvenait pas à la localiser, son front était couvert de sueur froide. Toujours aussi tremblant, il parcourut quelques mètres avant de s’arrêter net.

Une forme devant lui, l’obligea à stopper sa progression dans ce tunnel sinueux, sombre et oppressant. Les murs étaient ternes, faits de béton épais d'où probablement aucun cri ne saurait s’échapper. Peter tapotait sur sa lampe qui, elle aussi, faiblissait, tout en tentant de la faire fonctionner, il donnait des coups d’œil devant lui. Mais des yeux sombres, morts, vitreux, tapis dans l’obscurité la plus profonde, étaient toujours là, posés sur lui. Cette obscurité était si oppressante et opaque que nulle lumière ne pouvait la transpercer. Tétanisé, Peter sentit son estomac se tordre en lui, comme si une main invisible s’agrippait à ses entrailles pour les arracher de son petit corps. Il sentait sa chaleur corporelle se dérober de son sang, qu’il sentait se cristalliser dans ses veines. Tout en lui s’arrêtait, dépérissait presque. Il ne pouvait quitter son regard de ces yeux, là, que nul mot ne saurait décrire.

Plus les secondes passaient, plus la lampe torche s’abandonnait à l’obscurité, laissant Peter dans la tourmente.

— Maman, viens m’aider, je t’en supplie, j’ai fait une bêtise, je crois !

Mais il était trop tard, cette chose progressait subrepticement vers le jeune garçon, terrorisé, pétrifié qui, par de vaines tentatives, tentait de faire fonctionner sa lampe.

— Viens ! Viens, mon garçon ! susurrait la voix d’une voix tremblante, comme un râle d’agonie.

Un claquement sec retentit derrière lui. Peter s’effondra au sol, perdant totalement conscience. Il laissait son ami pris au piège, tout comme lui, il était dans les ténèbres.

Quelques minutes plus tard, des cris d’hommes retentirent de part et d’autre de la propriété. Les lumières des gyrophares bleus et rouges poignardaient l’obscurité et l’épais brouillard qui dominaient la colline. Un agent de police parvint à extirper du tunnel Peter, totalement abandonné dans ses bras. Tremblant, le pauvre garçon convulsait, pris d’épilepsie. Qu’avait-il vu dans cette obscurité pour être dans un tel état ?

— J’en ai trouvé un ! hurla l’agent Carter d’une voix puissante. Il me faut une ambulance sur-le-champ. Pauvre type, qu’as-tu fait ! lança l’agent de police en fixant le pauvre garçon inconscient.

Malheureusement, personne n’entendait les cris étouffés par l’épaisseur des murs et noyés de pleurs de Matthew qui, plongé dans le noir après avoir fait accidentellement tomber sa lampe torche et appelait désespérément à l’aide…

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