Un monde par fée

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Je suis une créature de l’ombre, une fée de la nuit. Mes ailes me cachent des humains et peuvent me confondre s’ils se réveillent. Bien que toute petite, certains mortels sauraient me voir grâce à leurs yeux avisés et habitués aux peuples enchantés. Les dessins animés, les films d’aujourd’hui et leur grande imagination sont fertiles et repèrent parfois la vérité. Ces Terriens m’amusent avec leurs expressions ridicules et leurs émotions incontrôlables. Ils me fascinent quand l’amour devient leur maître et que seule l’autre âme chérie compte. Ils m’intriguent par leur intelligence certaine, quoiqu’incomplète, et m’attirent inexorablement sans que je puisse comprendre pourquoi.

Nous sommes deux entités bien différentes, mais liées à jamais. Nés ensemble, nous ne faisons qu’un et vivons en symbiose sans que l’hôte s’en rende compte. La création nous a offert un étrange cadeau en nous associant pour l’éternité et en nous dissimulant à la vue de nos doubles terrestres. N’ayant pas conscience d’être habités, ils continuent leur vie maussade ou merveilleuse comme si de rien n’était. Les légendes racontent que lorsqu’ils nous aperçoivent, par mégarde de notre part, leurs réactions surprennent toujours. Effrayés, abasourdis, moqueurs, assassins, joviaux ou amicaux, les humains restent imprévisibles, on ne peut leur faire confiance. Mes amis et moi préférons ainsi ne pas avoir affaire à eux et ne tenter aucune confrontation, même si cela ajoute de la distance. L’obscurité est notre amante la plus fidèle, celle qui nous évite bien des malheurs et qui nous nourrit.

Je me souviens d’un triste événement qui avait anéanti notre coven, des dizaines de lunes auparavant. L’une de nos sœurs ne réapparaissait plus, la peur avait touché la communauté entière. L’inquiétude avait poussé tout le monde à enquêter auprès de son binôme mortel, un jeune garçon plein de fougue qui arborait des t-shirts représentant la mort. Ces têtes osseuses que les humains aiment dessiner et brandir me font frémir. Naëlhe n’était pas revenue. Son corps mutilé et dévasté avait constitué une vision terrible à supporter, évaporée par le feu rouge sacré. Notre groupe avait été détruit et la peur de se montrer aux Hommes s’était décuplée. Leur cruauté parvient souvent à égaler leur bonté, je ne connais aucune fée qui ait réchappé à la mort une fois son identité dévoilée. Heureusement, tous ne chérissent pas le mal, comme celui qui m’est attaché.

J’aime dormir près du cœur de mon protecteur. Les battements réguliers de cet organe forment autant d’indicateurs que les troubles et émois que j’aperçois parfois captifs dans ses yeux. Sa peau m’évite la morsure du soleil et ses bruits intérieurs me paraissent de jolies mélodies qui m’occupent lorsque l’ennui me tient. Le corps de nos hôtes ressemble à un mécanisme ingénieux que j’aime redécouvrir dès que l’envie m’en prend. Mes pouvoirs ne peuvent altérer son fonctionnement, car ils ne servent pas à cela. Je ne suis qu’une humble spectatrice à l’utilité tout autre.

Nous survivons à nos jumeaux et habitons différentes maisons, différents corps. Le choix ne nous incombe pas. Attirés par une force incontrôlable, nos petits membres se dirigent d’instinct vers leur prochaine destination, qui ne cesse de brailler et de pleurer. Ces bébés n’impressionnent guère, épuisent et se fragilisent vite. Heureusement pour eux, leurs facultés d’attendrissement et de mignoncité atteignent des sommets inimaginables. Ces humanoïdes à quatre pattes possèdent un potentiel charmeur intéressant et grandissent, notre Mère soit louée, en seulement quelques années.

Arthur, mon deuxième affilié, à bientôt quatorze ans, ne s’en sort pas si mal pour son âge. J’avoue avoir préféré Amanda, ma première gardienne, une femme tout bonnement incroyable qui s’évertuait à sauver des vies dans des hôpitaux. Elle ne dormait pas beaucoup la nuit et ne me permettait pas de l’aider comme je l’aurais voulu. Cette expérience a été difficile, mais très enrichissante, jouant avec mes nerfs et me rendant parfois folle. Sa mort ne m’a pas laissée de marbre et demeure un point douloureux enfoui au fond de moi. Les souvenirs n’expirent jamais de nos enveloppes, même une fois notre renaissance enclenchée. Seul notre corps redémarre son cycle, abandonnant notre esprit aussi alerte qu’il l’était, prêt à affronter une nouvelle destinée. Notre âme s’endurcit et devient chaque fois plus forte.

Nous sommes des individus de la nuit et profitons de ces heures impies pour nous enivrer des rêves des humains que nous captons aisément grâce à nos pouvoirs. Ceux d’Amanda me faisaient peur tant ils regorgeaient de pensées sombres et négatives. Dignes des films de superhéros, les cauchemars de la jeune femme étaient palpitants. Mon ancienne protectrice s’imaginait causer la fin du monde, tuer des milliers de personnes ou devenir la criminelle numéro un. Elle semblait tant s’en vouloir quand elle ne parvenait à rien dans ses relations amoureuses ou quand elle ne sauvait pas tous ses patients, cela en était devenu maladif. Les mortels me paraissent pleins de contradictions.

Avec mes capacités, j’essayais de la calmer et de l’apaiser. Je posais mes fines mains sur son front, psalmodiais mes sortilèges et la regardais arrêter de trembler, satisfaite. Sa jeunesse avait été plus douce et pleine de joie, comme celle que vit Arthur actuellement. Mon travail, loin d’être harassant, ne remplit pas chacune de mes nuits. J’en profite pour m’imprégner des rêves de mon jumeau et, tout en les surveillant, je m’en sers pour en apprendre davantage sur lui. Très intelligent, ses notes en classe sont étonnantes et nombre de ses professeurs l’imaginent déjà comme un grand scientifique. Très fière de lui, j’entends tous les compliments et les blagues de ses amis quand il étudie au collège, alors que, blottie près de son cœur, je reste à l’abri du jour malveillant.

Quand je ne suis pas à l’affût du plus infime des cauchemars, je sors avec mes amis du coven. Nous chassons en compagnie des chauves-souris, qui acceptent bien volontiers de partager leur repas et de nous porter sur leur dos. Malgré nos ailes et notre capacité de voler, nous ne parvenons pas à nous maintenir en l’air bien longtemps. Peu nombreuses, nos ressources s’épuisent et mettent de longues heures à se renouveler. Les chouettes effraies, moins réceptives, préfèrent qu’on les attende au sol. Au contraire, les hiboux ne veulent pas du tout de nous. Ces vilains spécimens, d’une impolitesse manifeste, passent leurs nuits à nous insulter et nous considèrent comme de la vermine. Heureusement, les chouettes alliées aux harfangs nous protègent contre ces rustres. Les autres animaux de la forêt nous craignent et ne nous causent pas d’ennuis. L’aura que nous dégageons ne les rassure pas, notre physique doit leur déplaire. Les vampires et loups-garous nous dispensent également de leur présence. Les lycaons préfèrent leur meute et ne parlent pas beaucoup lorsqu’ils se transforment. Quant aux buveurs de sang, ils nous espionnent depuis notre apparition sur Terre et ne savent toujours pas comment nous aborder. Savoir que les chauves-souris nous apprécient les perturbe. Nous leur laissons du temps.

Loin des canons de beauté des livres de fantaisie humains, nous n’avons pas grand-chose en commun avec les belles fées marraines ou Clochette de Peter Pan. Nos petites ailes apparaissent trouées et n’ont rien d’élégant, nos visages ronds ne sont pas spécialement beaux ou attirants, pas plus que nos yeux et nos joues qui restent constamment ternes. Nos cheveux plutôt hirsutes rappellent ceux des sorcières et nos corps difformes font horreur. Nos moindres faits et gestes nous demandent une énergie incommensurable. Ce n’est qu’une fois pelotonnées dans notre hôte que nos jauges se remplissent et que nous ressentons enfin la paix intérieure.

Nos premières années, loin d’être intéressantes, nous apprennent à nous ménager et à respecter nos capacités qui ne se développent que la nuit. Le jour, alors que les rayons ardents du soleil vibrent dans chaque atome de notre jumeau, nous attendons sagement et nous revivifions avec attention. Je me balade souvent dans la région du cerveau, où de multiples neurones travaillent en équipe. Les mouvements synchronisés m’impressionnent, les farandoles d’éclats multicolores m’éblouissent et les branches mouvantes m’amusent comme dans un labyrinthe. J’aime tant cette vie mouvementée et pleine de surprise. Arthur ne sait pas que j’existe, mais cela ne me déplaît pas. Je m’occupe de lui et ne m’en lasse pas. Son sourire vaut tous les maux. Quand je le regarde ainsi apaisé, le bonheur m’envahit.

— Ylsiirha ! Ylsiirha !

J’entends quelque chose. Je me retourne et aperçois un Fée-Long s’acharner sur la vitre de la chambre, criant mon nom.

À suivre...

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