
MaximedeStrasbourg
Les plus lues
de toujours
Les crises économiques actuelles ont-elles provoquées un retour vers l'idée d'une société plus traditionnelle en France ? C'est une question étudiée par Emmanuel Todd dans son essai Le mystère français, paru en 2013 aux éditions du Seuil.
Le projet "Bulle de réflexion" a pour objectif le développement de pistes interprétatives sur des morceaux d'ouvrages aussi divers que possible (sociologie, philosophie, narration, etc). A partir de ces "noyaux" de réflexions déposés sur l'Atelier des Auteurs, s'affirmera, par les développements continus proposés par les membres du site, un espace intellectuel de plus en plus pertinent.
Le projet "Bulle de réflexion" a pour objectif le développement de pistes interprétatives sur des morceaux d'ouvrages aussi divers que possible (sociologie, philosophie, narration, etc). A partir de ces "noyaux" de réflexions déposés sur l'Atelier des Auteurs, s'affirmera, par les développements continus proposés par les membres du site, un espace intellectuel de plus en plus pertinent.
3
20
9
2
Voix-off de doubleur trentenaire : (Il fait beau dehors il fait frais, le petit Tartelette sort et danse, joyeux, un épi sur la tête.)
Tartelette : Youhouh, bonjour Soleil ! Bonjour les arbres ! Bachir c’est une journée idéale pour s’amuser allons au parc Bachir !
Bachir : Attends fils, l’ancien il fait quoi ?
Tartelette : Hâte de faire du toboggan avec Pépé ! Pépé il nous rejoindra Pépé il se tire la barbe allez viens !
Bachir : Se tire la barbe ouais il s'est encore enfermé dans le placard dans le salon tout à l’heure, t’est trop naïf gamin.
Tartelette : Bon ben moi j’y vais à moi le toboggan !
Bachir : Vas-y.
Voix-off de doubleur trentenaire : (Tartelette part en roulés de roulade sur l’herbe) (Bachir voit un massif de marguerite à côté de lui)
Bachir : Woh. Les ptites fleurs, ça se fume ça. (Bruit de briquet) Woh sa mère j’ai la tête qui tourne.
Voix-off de doubleur trentenaire : (Ils sont tous au parc, les pigeons volent, l’herbe danse) (Tartelette fait du cheval à bascule)
Tartelette : Oui ! Pas de monde le parc rien que pour nous !
Bachir : C’est pas une mentalité la solitude fiston, tu verras quand t’auras l’âge des grands.
Tartelette : Moi je veux jouer ! Sans ces bandes de bâtards !
Bachir : Ah nan j’suis ton grand frère et j’suis pas d’accord, pas de gros mot gamin. Même le vieux n’est pas content. Hein Pépé ?
Le vieux : (renifle bruyamment et marmonne) Vieux.
Bachir : Tu vois tu le rends triste. Hé, Pépé ! Fait beau aujourd’hui !
Le vieux : (ton triste) Hihihihihi.
Tartelette : Oooh qu’est ce qui t’arrives mon pauvre petit Pépé ?
Le vieux : Pourquoi j’ai des petits-fils aussi cons hihihihi snif…
Bachir : Aaaah mais ça lui passera z’étiez comment vous jeune…
Le vieux : Mais tout se perd boouh c'est ça qui va me payer ma retraite boouh…
Tartelette : Pépé, tu as vraiment besoin de t’amuser.
Bachir : Ah bah Pépé j’suis peut-être au RSA depuis deux ans mais j’ai de la débrouille hein.
Le vieux : (s’agite) Fermez-vous gueules bande de petits cons, à vos âges j’avais une maison un travail et une femme et ça filait droit !
Tartelette : Ha Pépé t’es trop rigolo, tu avais une maison quand tu étais bébé ?
Le vieux : Je t’emmerde le jeune ! Et toi qu’est ce t’attends pour cotiser le métèque !
Tartelette : Ooooh c’est pas très gentil ça Pépé !
Bachir : Ha l’ancien la vieillesse vous fait du mal mais je sais ce qu’il vous faut.
(Bachir saisit le vieux par les bras et l’emmène vers le tourniquet)
Le vieux : Noon ! Laisse-moi tranquille le barbare ! Vieeeux !
Tartelette : Hahaha, Bachir fait tourner Pépé tourner tourner !
Bachir : Alors le vieux t’es prêt à voir tes points de retraite défiler devant tes yeux ? Le vieux : Naaan ! Lâche-moi !
Voix-off de doubleur trentenaire : (Bachir fait tourner le tourniquet de plus en plus vite. Le vieux est recroquevillé, barbe et cheveux au vent, dans le manège.)
Tartelette : Oui Pépé il voooole !
Le vieux : Haaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!
Bachir : Alors ça change de l’EHPAD hein le vieux ?
(Bachir fait tourner le tourniquet à toute vitesse.)
Le vieux : Sainte Marie je vais perdre mon dentier lâche moi !!! Jeanne au secoooours !!!
Voix-off de doubleur trentenaire : (Bachir ricane et arrête le mouvement du tourniquet)
Tartelette : Alors Pépé ? Ça fait du bien ?
Le vieux : Ha hey ho je me sens ivre.
Bachir : Ouais Pépé j’vais chercher mes clopes au tabac tu viens ? Ca te parle les clopes hein.
Tartelette : Je viens ! Je viens ! Je viens !
Le vieux : Ho mon petit, j’adore cet endroit, je veux rester un peu.
Tartelette : Mais Pépé, il va pleuvoir !
Le vieux : Je veux rester j’ai dit ! J’ai quelque chose à faire bon sang.
Tartelette : Ah bon, mais qu’est-ce que tu veux faire ?
Le vieux : J’ai envie de péter ! De faire des gros prout prout !
Voix-off de doubleur trentenaire : (Le vieux, saute partout dans le parc en lâchant des pets.)
Le vieux : Vieux ! Vieux ! Vieux ! Vieux ! Vieux !
Bachir : Wesh il part en couilles Pépé. Vas- y j’vais acheter mes clopes wallah c’est quoi ça.
Tartelette : Je te rejoins ! J’attends Papi !
4
12
3
10
Longtemps il y eut au pays de Panchala un roi comblé et aimé. Ses châteaux en marbre transparent reflétaient sa puissance ; ses manteaux s’étiraient jusqu’au pays des Scythes et étaient portés par l’ensemble de ses sujets ; enfin, ses serviteurs étaient des éléphants. Cependant, la quintessence de son pouvoir résidait dans sa longue et flamboyante barbe rose, et toutes les femmes, les jeunes et les vieilles, se querellaient constamment pour en arracher un poil. Par ailleurs, les femmes les plus belles du pays avaient tenté de demander la main du roi. Sans succès : car Barbe Rose, qui possédait un grand secret, ne consentira à se marier qu’avec la femme la plus discrète de la région.
Un jour, il croisa le chemin d’un gardien d’écurie qui lui proposa une de ses deux filles en mariage. Barbe Rose voulut rencontrer cette femme, qui se trouvait alors avec sa sœur ; jamais il ne fit connaissance de femmes aussi délicates et toutes en retenues ; or la première sœur attira davantage l’œil de Barbe Rose, qui lui demanda sa main. Elle mourut de joie ; le roi, sans être pour autant résigné, reformula sa proposition à sa sœur.
Elle accepta avec empressement ; un mois après ils conclurent le mariage en fanfare dans toutes les villes, sur de grands yaks taillés dans des émeraudes de la plus belle eau. Les premiers moments de leur relation furent tout de feu.
Vint un temps ou Barbe Rose dû rendre visite à un Maharaja séjournant dans la région voisine, pour des questions administratives. Il confia à sa femme la clé rouge et oblongue de la salle aux idoles du sourire, la clé épaisse et têtue de la prairie aux gazelles sceptiques, et la clé des archives écrites par les plus lointaines des étoiles. Lui fut seulement déconseillé d’user de la petite clé aiguisée et nerveuse, qui ouvrait sur la porte brune du petit cabinet, au premier étage du palais. « Car, précisa Barbe Rose, là s’arrête ce que vous entendez sur moi ». Sa femme acquiesça aussitôt ; Barbe Rose s’installa dans son palanquin, tiré par deux têtes de chevaux incrustées dans le véhicule, après avoir embrassé son épouse.
Peu de temps s’écoula entre le départ de Barbe Rose et la venue des amies de sa femme, dont les regards insatiables s’étanchaient avec peine devant les richesses du palais. On ne saurait dénombrer les allers et venues de la femme de Barbe Rose et de ses amies, de l’entrée au sol pavé de lait, aux chambres de séjour formées d’un seul lit rond, cerclé de de deux bras enlacés ; des salles de jeux toutes construites en pâte d’amande aux bains de vapeur formée par les murmures de toutes les veuves. La maîtresse de maison se félicitait des louanges et bénédictions que ses amies lui adressaient ; elle ne ressentait nulle jalousie chez elles. Mais, au gré de leurs passages, elle avait un petit pincement au cœur dès lors que ses yeux se posaient sur la porte brune interdite.
Lorsque ses amies s’en retournèrent, elle ne put contenir plus longtemps sa curiosité. Presque avec brutalité, elle appliqua la petite clef à la serrure, tout en pensant en son for intérieur qu’elle refermerait la porte aussitôt.
Elle s’ouvrit.
Ce qu’elle put alors observer manqua de lui faire arracher un cri tel que son mari en serait devenu sourd. Devant elle se déploie une immense plaine d’un bleu farouche ou des myriades de femmes s’adonnent à des activités que sa pensée n’aurait jamais saisie : c’était un formidable début d’orgie. Des jeunes femmes, le buste appuyé et bombé contre un muret de pierres de lune, observaient de longs piquets bleus bourdonnants ; d’autres femmes voient leurs seins gonfler et s’écourter en continu sous leurs tuniques ; certaines femmes, couchées sur l’herbe, résistaient à l’emprise d’ombres mouvantes qui souhaitaient remonter leurs robes vers le haut. La femme demanda alors à une des femmes du mur la raison de tout ce spectacle, ce à quoi elle répondit : « Barbe Rose nous considérait comme la mère de son futur héritier. Nous avons trahi sa confiance par adultère. Par sa clémence, nous voilà toutes condamnées à ces jeux, pour une durée indéterminée. » La femme de Barbe Rose fut prise d’effroi, et serra très fort la petite clef dans sa main.
La voix familière de Barbe Rose tonna soudainement dans le couloir principal. Il avertit sa femme que la porte de la salle brune était ouverte.
Les jambes de sa femme étaient paralysées par la peur. Elle demanda secours aux femmes du mur mais ces dernières semblaient ne plus comprendre sa langue.
Barbe Rose réitéra son affirmation. Il promet à sa femme qu’il ne lui fera aucun mal. Elle fut prise de pleurs et s’imagina déjà rester emprisonnée ici pour le restant de ses jours. Mais elle ne souhaitait pour rien au monde donner de la colère et de l’impatience à son époux. Alors elle quitta sans un bruit la plaine.
Barbe Rose l’attendit avec un grand sourire, et, tout en lui demandant la petite clef, posa quelques questions à sa femme.
« - Pourquoi n’as-tu pas obéi à ton époux ?
- Ma curiosité m’a trahie. J’ai visité toutes les pièces de notre palais sauf celle-ci.
- Tu as brisé notre confiance. Ce que je vais te demander maintenant, c’est de retourner là d’où tu es sortie ; je refermerais la porte derrière toi. »
La femme de Barbe Rose lui demanda pardon, toute en pleurs, en embrassant mille fois ses mollets ; or, son mari ne relâcha pas son sourire et son intention.
« - Je te considérais avant cette heure comme la mère de mes enfants. Mais ce temps est révolu, tu as brisé notre confiance. Maintenant il faut régner, mais non plus en votre compagnie.
- Je ferai tout ce que vous voudrez pour racheter mon erreur, et ne plus vous désobéir.
- Il n’y a d’autre choix que celui proposé par votre époux.
- Il faut régner ; ce règne je peux vous le donner, et l’entretenir, malgré mon péché. »
Barbe Rose recula doucement.
« - Vous ne m’aviez jamais accordé cette confiance. Est-ce le cas ?
- Oui.
- Je vais te laisser quinze minutes pour y réfléchir. Ce après quoi ta décision sera la mienne, inéluctable.
- Entendu. »
Pendant ce laps de temps, elle rejoignit la compagne de sa sœur, dans la salle aux idoles. Elle apprit d’elle que deux de ses frères passeront au palais cette nuit pour une requête financière auprès du maître.
Elle n’eut le temps d’en discuter plus, car elle accepta alors l’invitation de Barbe Rose à sa chambre.
Elle ne l’avait qu’entrevue, habituée à coucher dans une des salles de séjour. Les rideaux des fenêtres, le jour, imitaient les rayons du Soleil ; la nuit, le lit octogonal entouré d’herbe folle regardait la Lune.
Assise, sur le lit, elle sut. Elle commença à prier.
Barbe Rose vint.
Elle se vit à lui.
Il se présenta à elle.
Elle lui donna son salut.
Ce fut un recueillement doux et chaud comme jamais un homme ne lui offrit. Son regard teinté d’amertume oubliait quelque peu les évènements du dehors.
Il la comble de sa mansuétude avec un peu plus de hardiesse comme pour lui dire merci de ce qu’elle a pu auparavant lui présenter.
Sous les bienfaits répétés qui dévoraient son cœur elle remarqua une traînée de poudre agiter le paysage mais, toute portée par l’élan de son époux, elle n’en fait pas un cas d’école.
A la ferveur de moins en moins espacée de Barbe Rose sa femme sentit que son âme allait s’entrouvrir à un autre soi. Ce ne fut qu’au moment où l’homme et la femme s’apprêtèrent à s’abandonner enfin l’un à l’autre que la porte de la chambre s’ouvrit abruptement. Barbe Rose se releva et donna à l’herbe ce avec quoi l’herbe rend toujours hommage à la terre. Deux cavaliers richement voilés avec des couvertures de satin exposèrent leur requête commune.
« - Nous avons entendu la demande de notre sœur. Toute Cérémonie de noce doit s’établir en présence de la famille de votre épouse. Sans quoi vous tombez dans l’illégalité juridique, comme maintenant.
- Mais le pardon d’une faute avérée ne peut se substituer aux coutumes ? protesta Barbe Rose, tout en se lamentant d’être exposé dans cette posture.
- Point, mais une princesse en demande une autre. Il se trouve que la cadette du Prince de Ghazni veut tisser une alliance avec vous. Qu’en pensez-vous. De toute manière, votre épouse retournera en sa région, avec nous, cette nuit-même.
- Je n’ai pas le bénéfice du choix, se résigna Barbe Rose. Amenez-moi Mademoiselle de Ghazni, qu’un traité d’alliance soit conclu. »
L’épouse de Barbe Rose repartit en compagnie de ses deux frères sans se retourner.
Il fut alors pris d’un sentiment de lassitude. Seul, sans héritier tant espéré. Sans épouse aimante. Il descendit regarder les étoiles, humer l’air. Et croisa la porte brune encore entrouverte. Alors il se décida, à goûter à ses propres délices. Pour combien de temps ? Nul ne le sait.
Il entra dans la plaine en jetant la clef à l’intérieur du château, et ferma la porte.
2
1
10
6
(AVERTISSEMENT : Ce texte comporte une grande part de fiction mêlée de faits historiques. Veuillez ne pas croire en tout ce que j'ai pu raconter, il n'y a aucune trace de cheval nourri aux carottes à Paris au début du second millénaire.)
Le peuplement parisien se concentre dans l'île de la Cité et la rive droite de la Seine.
Pas grand monde sur la rive gauche, hormis un vagabond dolichocéphale qui tire la langue sur le toit de l'abbaye Saint-Geneviève, détruite par les vikings. Plusieurs éléments architecturaux sont néanmoins fonctionnels depuis un certain laps de temps. Le premier rempart médiéval, achevé depuis plusieurs décennies, englobe les terres de la rive gauche nouvellement défrichées. Sur ces terres: des chèvres, beaucoup de chèvres; l'Eglise Saint-Merri, fondée au siècle précédent par un dénommé Falko, tailleur de platanes (on ne savait jamais où il se cachait) ; et quelques cabanes. Seule, de l'autre versant de la Seine, Sainte-Geneviève paraît figée dans le temps.
Mais, à plusieurs endroits, le mouvement incertain de l'histoire s'est remis en marche. Le tronçon (1000-1010), ou plus précisément, (1000-1014), voit la fortification par l'abbé Morard du clocher porche de l'abbaye Sant-Germin des Prés. Demandez-lui l'auteur de cet ouvrage, il se pointera du doigt toute la journée. Le fragment (1005-1008), c'est Odilon abbé de Cluny qui intercède auprès des moines de Saint-Denis pour faire pénétrer dans le lieu de culte la réforme clunisienne, qui portera ses fruits tout au long de ce siècle. En (1008), c'est le roi Robert le Pieux qui accordera un diplôme légitimant l'existence de la seigneurie ecclésiastique de Saint-Denis.
Les quelques seigneuries environnantes d'Ile de France, pour la bénédiction du second roi capétien Robert Le Pieux, ne prendront la fougue des Hugues III du Puiset et Montmorency qu'un siècle et des crottes de chèvres plus tard. Pour le moment... Oeudon, Foulkin, Ablon, ces féodaux que l'on peut voir par delà les remparts, quand ils ne s'amusent pas à tourner autour de leurs champs comme des rapaces, prennent des bains de boue sous les soleils couchants enveloppant ce qu'on appellera plus tard le Zénith, ou le Monoprix de Ménilmontant.
Invoquons certes les ressources matérielles plus que défaillantes en Ile de France durant cette décennie, mais 14 ans pour construire un clocher porche, me diriez-vous ? Morard devait être encore un de ces ecclésiastiques franciliens paresseux, au crâne froidement rasé, dormant trois fois par semaine sur les bords de la Seine. Voici comment cette affaire s'est sans doute déroulée :
- (1000) : Il a évoqué ce projet avec ses confrères, qui ont évoqué l'existence, plus loin sur la rive droite, d'un certain Famous, ou Femious, tailleur de pierre réputé auprès de ses voisins et ses animaux. Ils se sont rapidement rendu compte que ce mystérieux personnage habitait Baniolo, actuelle Bagneux, et donc ont ajouté, en Février : "Trop loin". Ils ont laissé tomber.
- (1001) : Un moine de Saint-Denis tout rouge s'est rendu à Baniolo : a mentionné qu'il souhaitait parler en qualité d'abbé à Femious, pour soi-disant lui apporter une pénitence : les habitants ont abaissé leurs bâtons. Hélas, Femious est mort de dysenterie voilà six mois; mais heureusement, son fils prouve rapidement auprès de l'abbé ses qualités de tailleur. Voici ce qu'ils ont alors échangé : "La viande, le blé, la viande, ce que tu trouves chez toi, je veux la moitié" "Quand ?" "Jusqu'à la neige. Après je trouve les pierres et je te les ramène". Et cette affaire fut conclue.
- (1002) : Femious fils de Femious est venu à dos d'âne avec une réserve de pierres pour commencer l'ouvrage. Trois rustauds, aux cheveux hérissés jusqu'aux bras, l'accompagne, ce sont, a-t-il évoqué, "ceux qui tiennent à moi plus que je tiens à mon souffle". Ils ont disposé les premières pierres devant le moine tout rouge.
- (1003) : Un pêcheur s'est joint à eux pour les fournir en truite et en gardons. Le clocher est maintenant élevé à plusieurs mètres au-dessus du sol, mais les difficultés apparaissent lorsqu'il s'agit d'échafauder l'arc voûté de l'ouvrage; Morard en revenant d'une controverse théologique leur donne toutes ses instructions: rien y fait, il faut aller rechercher des pierres à Baniolo, plusieurs fois de suite.
- (1004) : Entraînement oblige, Femious maîtrise de mieux en mieux le taillage d'un arc brisé. L'on peut voir un des bâtisseurs debout sur un cheval prêté par le roi pour disposer les premières pierres de l'arc (le cheval est apaisé une carotte à la bouche par le moine rouge).
- (1005) : Travaux fortement ralentis : en se baignant dans la Seine, Femious a attrapé une infection gastrique, et ne fut donc pas disponible pour donner ses instructions à ses hommes. Par ailleurs, un de ces derniers s'est disputé avec un seigneur local, Uf, pour une histoire de chèvre (on ne sait plus trop de quoi il s'agit).
- (1006) : Famine à Baniolo, ils sont resté veiller, donc, rien.
- (1007) : Afin de remédier aux dégâts de la famine, Morard propose à Femious de représenter diverses scènes bibliques sur le tympan du clocher porche de Saint-Denis. Femious a passé plusieurs mois a sculpter, avec plus ou moins de minuties, des scènes sur pierre.
- (1008) : Et voilà ! Le résultat n'est pas extraordinaire : le clocher porche représente maintenant de curieux dessins de pêcheurs difformes, grosses têtes, unijambistes, brutalement creusés, et semblant échapper à des picots éparpillés qui rappellent, selon les dires de Femious, "le mal de le feu". L'enfer..
- (1009) : Le clocher porche est consacré par le roi en personne. Robert le Pieux propose à Euphémious une charge d'écuyer au Palais de la Cité, mais celui-ci refuse. Les bâtisseurs rejoignent leurs familles sans même un au revoir. (Une grille de fer sera ajoutée les années suivantes à l'ouvrage, mais les sources liées à cet ajout se sont perdues dans le temps)
Sinon, à cette époque, le palais de la Cité faisait encore la taille d'un pâté de maison.
0
1
0
4
Les sociétés occidentales ont-elles dérivé vers une compréhension du monde spirituel et sensible de plus en plus profane depuis l'Antiquité tardive ? C'est le lourd questionnement que pose Michel Fromaget dans son essai intitulé Corps - Ame - Esprit.
1
0
0
4
Après nos partiels nous passions des journées longues et chaudes à disserter sur le sens de l’histoire. C’était sur un banc choisi par mes soins que se déroulaient nos argumentaires. Tout en appréciant la vue de mon ombre découpée au Soleil, je confiais à mon camarade de promotion, quelquefois, ma nostalgie d’une époque plus simple, où régnait une certaine tranquillité d’esprit ; il me rétorquait, Guillaume, Guillaume, les hommes ont toujours été les mêmes, mais jamais de la même façon. Pour lui, l’époque actuelle répondait à tous nos besoins et questions, et ouvrait le champ de tous les possibles. Cela dit, le mode de vie et la façon d’agir de l’homme avait selon nous peu ou prou changé selon les époques. Un souvenir de promenade me permit de peaufiner mes analyses.
Nous quittâmes un samedi après-midi la maison de campagne de mon camarade, à Lampertheim, pour aller explorer la forêt avoisinante. Bientôt égayé par les hauts arbres luxuriants, et cette nature préservée, je me surpris à regretter un temps ou l’homme en connaissait un rayon sur les bêtes et les étangs, loin de tout système économique hors-sol et froid. Où l’homme, fort de valeurs encore bien enracinées, pouvait encore vivre en communautés soudées. « Dans la nature tout n’est que lutte pour la survie de chacun », exposa Nathan. Ce à quoi je lui fis savoir qu’une concurrence financière féroce égalait les luttes livrées entre grands mammifères pour leurs besoins. Quand a-t-il existé ce temps de paix fusionnel entre les hommes et la nature ? Mon ombre s’égaya dans notre sentier forestier et sembla, immobile, écouter nos propos. La voie parsemée de sorbiers que nous suivîmes se poursuivit pendant quinze minutes. Un sentiment d’étonnement commença à nous presser. Guillaume vérifia le tracé du chemin sur Google Maps et s’aperçu, stupéfait, que celui-ci s’étendait sur des dizaines et des dizaines et des dizaines de kilomètres. « Ne continue pas », me conseilla-t-il. « Je ne veux pas observer ce qu’il y a au bout ». Je me surpris à rire légèrement, après tout, que pouvait bien contenir ce tracé, sinon une réserve naturelle mal enregistrée ? Insatiable je prévins Guillaume de mon retour dans une quinzaine de minutes ; je voulais tâter le terrain.
Le sentier débouche bientôt sur une immense clairière ; plus rien ne m’est familier sauf : une sensation intense de déjà-vu, et mon ombre qui prend une teinte entre le noir et le gris le plus foncé : une illusion d’optique due à la surprise, sûrement ! Je ne suis jamais entré dans une clairière aussi giboyeuse, remplie de gazouillements de toute espèce d’oiseaux ; des écureuils se faufilent en lézards, furtifs, sur leurs branches ; c’est une vraie cacophonie ! Un concert de cris de biches et de chats sauvages. Est-ce donc cela le paradis rousseauiste auquel tout homme songe ? Ma béatitude est amoindrie lorsque je me rends compte que mon téléphone ne s’allume plus ; je n’ai pas la dignité de philosopher, car alors, j’entends des grognements de plus en plus en proches de moi, et, en un coup de vent, mon ombre va m’entraîner dans une course folle, lorsqu’un sanglier encroûté de boue se rue sur moi, sans autre forme de procès ! A ce moment où, courant comme je ne courus plus, ma chute terrestre est interrompue par le bruit lancinant d’une flèche : l’arme transperce sans scrupule la peau de la bête qui tombe raide mort, quand, de nouveau, je manque de m’écrouler dans la fange épaisse lorsque j’aperçois, pendant une fraction de seconde, la figure, cachée derrière une rangée de frênes, d’un cavalier barbu jusqu’aux genoux et aux énormes sourcils. Dites-moi, ce que je viens d’observer n’est que le fruit de mon esprit parce que ce n’est tout bonnement pas concevable, non, ça ne le sera pas, sans doute une partie de béhourd égarée, mais quoi de plus ? En poursuivant mes pas je ne peux que ricaner face à ce spectacle…
… Le long de la traversée je ne peux que conspuer l’odeur de décomposition et d’humidité animale qui paraît sortir des troncs d’arbres, et décide, dégoûté, de me boucher le nez jusqu’à arriver devant ce qui me semble être la source de cette senteur purulente : un long poteau de bois dressé, recouvert d’un tissu de lin, que, pris d’une soif de discernement, je décide de relever…
C’était un scalp.
Alors je disparais, Oh mon dieu, gémis-je, allez allez… rentrons qu’est-ce que je fabrique dans ce trou perdu. Regagnons le chemin tout droit, non, ce n’est pas humain, ce n’est pas de notre monde… vite je m’engage, Guillaume est encore en train d’attendre…
Hé, hé, mais c’est quoi ce chemin ? Ça fait vingt minutes que je me suis retourné ? Je manque de… lorsque me retournant la grande clairière m’apparut de nouveau, face à moi.
Le seigneur Bodon, exaspéré par les conflits vassaliques et des pénitences nouvellement ordonnées par la prêtrise, a choisi aujourd’hui de prendre un bain d’étang. Sa barbe d’encre noire en fourches, qui cache entièrement ses joues, sa bouche et son torse, trempe dans l’eau saumâtre du cours d’eau poissonneux ; son ventre enflé par la venaison se détend enfin ; il pousse un petit rugissement, le regard sombre. Mais un seigneur doit toujours être aux aguets de sa terre ; son honneur et ses recettes dépendent de cette habileté ; et le répit du seigneur Bodon est bientôt mince. Pendant qu’il s’asperge les bras de vase un messager freluquet surgit du bois sur sa monture brun crème, et s’avance vers lui, avant de lui susurrer quelques mots.
« - Har, miles fan graf Frowertwulf plundeerten eine allee in der kapelle fan sanata Ulirke unda barenint ihri woffnen foor, oum Lamperthema zao betreite. (Seigneur, les chevaliers du comte Frowertwulf occupent un alleu donné à la chapelle de Saint Ulrich, et commencent à jeter leur dévolu sur les terres de Lamperthem.)
Le seigneur Bodon se relève promptement, le regard mugissant :
« - Irr losseu si dirr werkelech goulaban, dere graf wuurd mit ainam speir om maund ainandan, wan air mian Laand borurth.” (Si le comte ne les fait pas repartir immédiatement, je lui planterais ma lance dans sa bouche)
Le seigneur Bodon, toute furie dehors, enfourche sa monture et galope en direction de son domaine.
Je ne sais maintenant si c’est le concert animal ou mon désir d’encyclopédiste qui me pousse vers le bout du sentier. La clairière laissait apercevoir ses bornes mal définies. Mon ombre froide tend l’oreille … j’écoute. Je sens : en tapinois car je ne sais ce qui peux me chuter dessus : une très forte odeur de gibier mêlée de sang, qui me crochète les narines. Puis ce sont des coups réguliers, empressés de venir à ma rencontre tant ils usent de vigueur au rythme de ma course. Bientôt, le Soleil me tendit sa bienvenue de rayons comme je n’en vis jamais d’aussi diaphanes. Est-ce une simple conjecture de ma part ou les éléments naturels m’étreignent violemment en constatant ma venue ? Le cœur de ma surprise atteint son climax lorsque je peux me repérer plus clairement sous la lumière ombrageuse ; je manque alors de vomir !
Les battements sont ceux d’un homme et d’une femme – sans doute en pleins travaux d’essartage - présentant les apparences les plus étranges que je ne vis jamais. Je ne m’imaginais pas auparavant que la morphologie humaine puisse revêtir des traits aussi durs et chaotiques. Le visage de mes grands-parents semblait déjà suffisamment rapiécé par les vicissitudes de l’existence, alors qu’en pouvait-il être de l’apparence des hommes d’il y a quelques siècles ? J’en ai une réponse aujourd’hui. Les mains élancées et gonflées de la femme tiennent fermement ce qui semble être un succédané de hache ; sa tête incroyablement aplatie regarde attentivement la disjonction de l’orme qu’elle s’apprête à faire tomber. A chaque coup elle pousse un petit grondement. Revêtue d’une simple tunique de lin, tout son corps est formé de bourrelets creusés ; sa poitrine glisse jusqu’aux genoux. Mais ce qui contribue alors à me faire prendre un mouvement de recul c’est la présence d’un goître du cou très développé chez cette femme. Je pense alors : « Manque de carence en sel, très courant à une certaine époque sans doute – mais laquelle ? Peut-être même que cette excroissance était-elle considérée comme une partie du corps à part entière. » L’homme partage cette caractéristique physique ; la gueule ouverte, haletant tel un chiot, il murmure incompréhensiblement un même mot ; cependant, lui seul semble avoir ressenti ma présence : pendant que sa compagne est occupée au labeur, lui ne peut s’empêcher de me scruter de façon absolument dérangeante, d’où mon désir explosif de me réfugier ailleurs, or encore faut-il que je sache où me diriger. Je fais alors appel à mes rudiments d’allemand pour essayer, avec la grâce de Dieu, de retrouver ce qui doit être le centre-ville de ce temps – maigre espoir, mais je suis déshydraté, et seul ; je ne pourrais survivre longtemps dans cette situation… alors, me concentrant sur l’abatteuse :
« Lamperthem ? Wo ist Lamperthem ? »
Aucune réponse. Je réitère ; la femme reste plongée dans son travail, et l’homme à susurrer ce désagréable « Balbo ».
Jusqu’à ce que l’orme tombe. Alors je vis la femme reculer, colérique et meuglante, au fracas de l’orme tombé sur la litière, et l’homme la suivre en poussant des cris de petits oiseaux. Tout en m’éloignant de même les mains sur mes deux oreilles. Quel comble ! Car le silence revenu la femme semble maintenant vouloir s’adresser à moi :
« Lamperthem ? », et sa voix faisait fuir les petites bêtes du sol.
Oui, Lamperthem.
Ce que je constate ensuite me décontenance jusqu’à l’exaspération. Les deux forestiers commencent à poursuivre leur chemin en m’ignorant plus que superbement.
Je ne sais pas quoi faire.
C’est lorsque la femme se retourne au but de quelques mètres vers moi en me criant de nouveau « Lamperthem ! Lamperthem ! » que je conclus ceci. J’ai basculé dans une époque où la psychologie humaine est éloignée à des années lumières de la nôtre. Elle me saisit jusqu’à me les broyer mes épaules d’historien frêle et m’emmène au pas ; je ne m’apprête cependant pas à entrer dans un commissariat mais dans un proto-village germanique.
Une odeur de silence imprègne la petite place de terre rouge battue qui constitue le hameau et semble le préparer en permanence à une gigantesque cohue humaine. Je détourne les yeux d’une petite cabane en bois vermoulue dans laquelle une paysanne, couchée sur le côté, allaite ses petits à la manière des truies, pour rechercher mes deux compagnons du regard ; ces derniers se sont déjà retournés sans aucun adieu. Je peux alors observer ce qu’un homme du XXIème siècle ne pourra constater que par les mots : une petite chapelle à moitié détruite au fond de la place – car ce lieu avait décidément cette configuration plus que celle d’un véritable village ; un groupe de cochons au pelage de suie arrache des joncs, ou ce qu’il reste des multiples carcasses d’animaux sur le côté des petites maisons ; un vieux castellum est fortifié à la droite de la chapelle. Mais le premier détail qui me fait alors réellement réagir physiologiquement est la présence, plus que du grand cimetière décharné face à moi, entre moi et le château, d’une vieille femme aux rides abyssales accroupie sur une tombe, qui me jette un regard dévot tout en grignotant les restes de ce qui était jadis un pied humain. Elle commence par se diriger vers moi avec la ferme intention, je me doute bien, de ne pas de me rendre de bons et loyaux services, donc, maintenant je vais décamper un peu plus loin et demander le gîte et le couvert à un homme de Dieu si possible. Le mur de la chapelle est chaud et piquant ; la vieille affamée continue d’avancer dans ma direction ; la littérature médiéval2e ne plaisantait pas lorsqu’elle disait que le besoin faisait même trotter les vieilles. Pour ma part je suis assez désemparé, car le battement du lourd cordon de bois servant probablement à ouvrir la porte de la chapelle ne laisse place à aucune réponse. Mais qu’est… Qui est ce vagabond qui sort soudainement de derrière la chapelle et se plante face à moi avec un sourire figé et seulement quelques cheveux sur le crâne ? Dois-je me méfier de cet œuf qu’il sort au petit bonheur de sa tunique et qu’il me propose en toute amitié ? J’avoue avoir hésité… mais seulement pendant un court instant.
Des rugissements rauques et un formidable pataclop de cheval mettent fin aux circonvolutions de mes deux nouvelles connaissances. Je vis alors s’arrêter au milieu de la place l’homme avec le regard et la barbe la plus noire que la pensée humaine puisse bâtir. Cet homme ne peut décidément ressembler à aucun homme de mon époque. Tétanisé, collé au mur de la chapelle, l’individu bondit de son cheval et commença à déverser ses foudres sur les deux habitants, dans un parler germanique qui ferait passer l’allemand actuel pour des ronronnements de chats :
« - Hoei, wos habe ikh dere gaisatrn ehsdagt ! : (Hey, je vous avais prévenu, que je vous donnerai à manger !)
Mocht buseb Harr! , pria le garnement à l’œuf, d’une voix lancinante et pleine de larmes ; oneserer faladar send felstandgig fem drok daz hamal, harr ! aberflotezt… (Nous sommes affamés Seigneur ! Nos champs sont détruits et infertiles, les hommes mangent des feuilles d’arbres pour subsister…)
Le seigneur se montra intransigeant :
- Du forstat darof, du forstat darof, dach ikh dir ewstzas soo ezzen geble ! Ainir fen euuch, den ikh wiadiaer einmel betraguen wiil, scholitzeu ikh iham dae kahele auf !
- Ar ist zein pagani harr, ar ist zein pagani ! argumenta la vieille dame ; Ar rhat niecht di fek kleidezerds wie hier ! »
Le maître des lieux me jeta alors un regard de tueur :
« - Do! Wase makt do aof mainiam Land? (Toi ! Que fais-tu sur ma terre ?)
Je reste coi malgré moi devant cette figure sur laquelle transpirait la rage de pouvoir, la fierté comtale et une âme entièrement tournée vers la guerre.
« Warom swochst do oaf di Erde? Haoat Frowertwulf di ichin mainar abewesenheit gechikht damiatia do oaf maine Lande schwosdt? (Pourquoi tu es en train de regarder ma terre ? Le comte Frowertwulf ne se contente plus de son pays trop petit et sans aucune place forte ?)
… Une main opaque pèse sur mon visage.
Non laissez-moi échapper un soupir étranglé un seul raah laisse… le temps que tu vas m’arracher ma nuque avec ta main !
Le sol de boue du château dégage une odeur insoutenable de fumier et de vieilles tripes d’animaux. Je n’ai maintenant plus qu’à attendre mon8 prochain sort ; 2022 est si loin maintenant ses routes ses camions ses immeubles ses amphis ses cours ses amis ennemis ses guerres de mots ses guerres de sangs son avenir que je n’imagine plus parce que j’ai emprunté le destin si limité d’un homme des temps passés. Et je sais ce qu’ils attendent de moi : plus grand-chose. Et qui pourra me rendre service ? Je lance des « freiheit » à celle qui est peut-être la femme déchue du maître, emprisonnée avec moi pour je ne sais quelle raison : elle se contente de tourner sa tête presque chauve et ses deux gros yeux noirs vers moi en chantant, un motet ? Rabhi parlait de la tendance de l’homme moderne à s’enfermer dans une boîte, moi je suis enfermé dans un castellum étroit sentant le cadavre de porc ; faites vos jeux. Mon ombre est resté au-dehors.
Le passé, le futur, tout cela m’est complètement égal.
Dehors, une foule boursoufflée forme une cohue devant le parvis de la chapelle. Ils crient et salivent à l’idée de mettre à mort le traître, et idéalement de se le partager. Il règne une famine affreuse ; plus aucune récolte ne pousse hors du sol ; les hommes en sont réduits à manger des feuilles d’arbres, ou à se dévorer entre eux. La vieille morte de faim continue ses litanies et fait du zèle au prêtre sorti de sa chapelle qui décide d’intercéder sur le sort de l’intrus :
« Ar ist zein pagani Ar ist zein paganiii ihih, teutet ihn ! » (C’est un paien, c’est un paien, tue-le.), se lamente et implore la doyenne.
- Teutet teutet teutet teuteut ! (Tue, tue, tue, tue) Chantent en chœurs les habitants aux estomacs redevenus sauvages.
- Lach mich, raisonna le prêtre, for inh zorgeun, Zagiela ; wann dizer man unzeur gotes weurt animt, dane wouirst do inh gahen lazen. (Zagiela, je dois parler à cet homme ; s’il s’avère paien je le convertirais lui et son maître à notre religion, pour que nos terres ne soient plus occupées et fortifiées.)
- Nainh ! Ere isth ain gedestandiar fen Frowertwulf, se jeta le seigneur dans la mêlée. Ir hot maine harden bwobwachwet. Brinegen wiir in aum. (Non ! C’est un envoyé de Frowertwulf. Apporte-le et condamne-le au gibet.)
- Teutet ! Teutet ! Teutet ! Teutet ! Teutet ! (Tue, tue, tue, tue, tue)
Alors le prêtre tenta une nouvelle proposition.
- Lazon sis ihn laban, wienn dar graaf inanen ainen teile sainios lands givwt. Sii wardenm wiel meher verdinianen. (Si cet homme est véritablement un envoyé du comte, alors laissons-le repartir après discussion en échange d’une rançon donnée dès le lendemain. Sans effusion de sang.)
- Wenn ar sige vaigarert, wiil ikh ais ! » (S’il refuse il sera pour nous !) Tel fut le vœu de la foule.
Le prêtre promit.
J’entends des pas lourds s’approcher de la salle sans lumière. Contre toute attente, et j’en suis soulagé quelque part, ce n’est pas le maître des lieux, mais sans doute un homme d’église – raison d’être du lourd crucifix suspendu à son cou. Il échange quelques mots avec ma camarade de cellule avant de tourner ses yeux étrangement écartelés vers moi. Cet homme d’église, je n’en verrais jamais d’autres aussi singuliers. Le teint rougeâtre, gonflé à l’extrême de ses joues, son nez tordu deux fois, sa coiffure se situant entre une coupe afro étendue sur les côtés et un flan au caramel : j’ai mal aux yeux. Le prêtre vint s’installer face à moi, me regarda fixement pendant quelques secondes, me renifla même. C’est à ce moment-là que, dans un vieux réflexe linguistique bien affirmé, je lui confie quelques mots.
« Volo mori » (Je veux mourir)
Ses yeux prennent un ton susceptible mais ses premiers mots se radoucissent :
« - Unde es. (D’où viens-tu.)
- Francia (France.)
- Franca non similis es (Les Francs ne ressemblent pas à toi.)
- Elsass, comodum. » (D’Alsace, précisément.)
Le prêtre rit.
« - Nescio (Je ne connais pas.)
- Fortasse » (Peut-être.)
Je suis encore surpris de ce rire. La contraction des muscles du prêtre me rappelle, de façon extrêmement discrète, la façon de rire de certains de mes aieux. Mais peut-être me perds-je en conjectures. Une question essentielle me vient.
« Anno ? »
Le prêtre se lève, prend une brindille sur le sol poudreux et trace des bâtonnets.
MXXXIII. 1033. Presque mille ans me séparent de Guillaume et de sa petite maison de campagne. Ne reste que mon ombre avec moi. Mon ombre… elle n’a jamais été aussi réfléchissante.
Mais malgré cet écart je ne saurais exprimer en mots cette ressemblance mise au jour avec le prêtre. Ce peut être un phénomène beaucoup trop enfoui dans mon inconscient, ou alors, cet homme ne fait rien de plus que de me rappeler certaines personnes de passages, certains souvenirs de ma lointaine existence.
La femme du seigneur retrouva alors son latin. Elle s’amuse alors du fait que bientôt elle connaîtra peut-être le même sort que moi. Qu’elle ne regrette pas tant que ça d’avoir usé d’un mauvais sort mal lancé en ouvrant ce pont temporel en plein cœur de la forêt.
Alors le prêtre fut frappé de stupeur en l’entendant se confier. Chose à laquelle je ne m’attendais pas encore, ce dernier me demande mon prénom.
« Thomas Baudoin, et tu » (Thomas Baudoin, et toi.)
Sa réponse me rendit nauséeux et furieux de surprise.
« Baldwin. Francia non est huc » (Baudoin. La France est loin.)
« Non. Non ita » (Non. Non pas du tout.)
Alors le prêtre se rapproche. Et, doucement, il défait mes propres chaines. Mon ombre semble se stabiliser sur la sienne.
« Non est, non est » (Il n’est pas de nous, il n’est pas de nous.)
A-t-il remarqué ? A-t-il compris quelque chose de la plus grande importance entre lui et moi ? Quoi qu’il en soit, je fus bientôt rassuré sur le fait d’être détaché. Il m’indiqua alors de son très long index la porte et tâcha de m’y accompagner, en silence.
Le village est à nouveau presque désert. Seuls quelques clercs se prélassent sur une grosse pierre non loin du castellum. En voyant le prêtre, une lance à la main, sortir en ma compagnie, ils se dirigent vers nous d’un pas pressé.
Baldwin – car c’est son prénom – prend alors la parole d’un air solennel :
« - Sagwan sie harr, di gizeul viirfd di gedloforderung aaan dan granefn weiterletein. (Laissez repartir le messager, avertissez le comte. Il préviendra son maître et la rançon sera livrée.)
- Fir wargdin dikh nikt werlewegen” jurèrent les clercs. (Ton ordre ne sera pas méprisé.)
Je refuse de croire en tout ce que je viens d’observer. Ou plutôt, je garderai seulement cette entrevue avec le prêtre à l’état de mystère, que je n’aurais pas envie de percer. Ce mystère, je pense que Baldwin en a saisi un plus large pan que moi. Dans le fond… peu importe quoi penser. Mais je souhaite regagner ce qui m’est le plus cher. Cette époque n’est pas la mienne.
Baldwin me tend sa lance et, d’une voix sévère, m’indique par prudence le chemin de la forêt.
« Tantum numerare in te. In infestis vivimus temporibus. Latrones coetus examinant et familias suas alant. Redi biene. » (Reste aux aguets. Nous vivons un temps dangereux. Les gens ont faim et n’hésite pas à ramener n’importe quoi à leurs familles. Rentre bien.)
Alors je prends le chemin du retour : au loin l’écho de sa voix, je crois, retentis encore une fois à travers la clairière – ou est-ce mon ombre enfin sortie de sa torpeur ?
« Redi biene, mi fili » (Rentre bien, mon fils.)
0
0
0
15
IL :
Le recteur prévient le gros de la troupe qu’ils dormiront sur cette petite place. Engagé sur son cheval il rentre dans le campement et les hommes s’affairent déjà. Chercher des branches, allumer le feu, monter les tentes, balayer succinctement le repos, il n’en use d’aucune parole et attache solidement son cheval au tronc mort d’un peuplier. Les enfants jouent avec le feu qui s’allume. Tous se dépêchent parce que l’on ne voit presque plus grand-chose mis à part les petits courir et les plus âgés assis à même le sol. Lui déploie l’énergie qu’il lui reste pour éparpiller des planches de bois autour de la place cernée par les arbres. Car déjà les louves fixent. Les hommes ont faim et sommeil. Mais l’éveil est à sa charge. Bientôt les lueurs se flétrissent et le tumulte devient silence. Il remue seul un moignon d’agneau sur les braises fragiles du feu. Réfléchit à cette apparition de l’après-midi, entre deux parties de chasse au cerf. Ses pensées furent interrompues parce qu’un de ses compagnons sortit de sa tente. Lui aussi ressentait le besoin de parler. Précautionneusement il s’installe sur la grosse bûche de platane qui fait office de chaise face au feu. Silencieux. Lui, découpe un morceau de poitrine et le tend vers son compagnon. Il a faim. Silence. La journée sera très lourde demain. Mais les deux compagnons ont un poids sur le cœur. C’est pourquoi en chuchot l’ami rappelle au recteur que dès demain. Le sieur ne pourra se permettre d’attendre la troupe au-delà de la matinée, et que tout doit être prêt pour finir le voyage au plus tôt. Mais lui veut retourner vers ce qu’il a aperçu et ne veut pas perdre de temps. Il renonce à poursuivre et se relève. Il détache Pluie un des palefrois offerts par sa nièce et l’octroi à son compagnon de route. Le feu se tut.
ELLE:
Mes pieds sont aussi transparents que la neige mais je continue à marcher. Ma robe est striée de boue. Parce que tant que je pourrais contempler les feuilles mortes tomber des troncs rouges je me sentirai là. Ne me demandez plus où je projette de poursuivre mon chemin. Mon existence je l’ai dévouée à la Création.
Quand je trébuche sur une grosse empreinte d’ours mort j’imite le bruit du tronc fracassé par l’orage ; quand s’étendent comme il y a une semaine – c’était… - les prés de poules, je permute des poussins et des coqs en mes sœurs ou en mes pères. Les fermiers et les vagabonds me figurent perdue, volatile, sans aucune essence. Leurs regards raides me sont étrangers cependant, parce que mes yeux n’ont jamais autant voyagé que ceux d’aucun être humain. Mon regard que je redirige vers le sentier aux longues veines de fange gelée coupé par un amoncellement de mousse.
M’appuie contre le velours ocre qui sent l’inquiétude de mes doigts encrassés de sang. Mes doigts que je n’ai jamais autant sentie du bout des doigts, ma perception perverse donne mille vies à mes sens et précipite mes capacités physiques dans l’abîme. Ma bouche part par picots. Ma bouche engloutie par les ondulations de miel vert du tas de mousse que je ne veux, que je peux plus je crois, dépasser. A tout je me lie. M’écr..
IL:
Il flèche pieds nus la forêt au galop en abattant les énormes ronces et les taillis. Les larges naseaux furieux et remplis de vie montrent le chemin. C’est une course qui éclabousse les troncs millénaires et la nuit de flaques saumâtres quant au refus de s’abreuver le cheval cogne la surface des étangs de ses sabots. Alors quand ils passèrent les grands bois au petit matin le besoin de fermer les yeux se fit sentir avec de plus en plus d’insistance. Une prairie de boutons d’or s’ouvrit lentement à leurs pas de plus en plus marqués. « Repose-toi sur mon dos homme humble ». Mais lui s’il ne veut pas, s’il tapote sur le flanc de sa monture pour continuer à assurer sa marche, ce qu’il n’avait pas pour une fois prévu se laissa voir. Le cheval s’affaissa courbé par la faim. S’affaissa et s’affaissa doux et s’affaissa. Son museau dit bonjour aux petites fleurs jaunes. Alors ne sachant plus rien, espérant un secours de celui qui lui avait envoyé cette apparition pour qu’il puisse en tirer quelque science, il se désolidarise de son meilleur ami, et mollement, très mollement s’accroupit sur le sol. Il arrache un bouton d’or, deux boutons, trois bouts. Et son corps ne supporte pas le vice immiscé dans ces jolies petites fleurs.
JOUR :
J’ai fait du chemin, plus de chemin qu’aucune autre amie, pour te regarder. Prévenue de ta venue j’ai mis en valeur mes plus beaux palais et entrelaça mon cou de mes plus beaux colliers de perles. T’es-tu jamais demandé à quoi je pouvais ressembler réellement ? Tu ne m’as pas vue ailleurs que sur ce nuage parce que je suis la plus belle. Un souffle de mes lèvres et ton cœur t’aurait trahi sur le champ si tout t’aurait été révélé là ou tu as tant couru.
Ces apparats que tu m’offres je ne suis point avide de ta personne pour les accepter. Ils ne sont d’aucun monde, ni de celui dans lequel j’ai échoué à te voir, ni celui-ci. Pourquoi ne me délivres-tu pas de la façon la plus dépouillée ce que tu attendais de moi ? Pour ma part les mots ne me manquent pas pour que je sois à toi. Mais tu le sais, je répugne les mots.
Tout ce que j’ai entrevu et vécu ne m’aura servi qu’à soumettre mon regard à ta présence, et tout ce que tu as pu apporter au monde pour me contempler sera témoin de la béatitude qui s’exprime à mon égard de tes jambes, de tes nerfs et de tes cheveux, mais ce qui a fait ta faiblesse là-bas, c’est que tes jambes, tes nerfs et tes cheveux n’auront jamais assez d’yeux pour percevoir toute l’étendue de ce que j’ai conçu sur toi.
Mon âme s’est laissé porter par ce que j’ai pu entrevoir de toi avant de partir, mon sacrifice aura été celui de me rendre aveugle de tout ce que le monde pouvait me suggérer de toi. Tu as pris le chemin inverse ; tu es servante de tes sens et moi de ma propre volonté. Un homme n’aura jamais autant de tombeaux pour mourir si sur la terre il se sépare et elle se coupe de tout ce qu’ils ont fait pour se retrouver. Penses-tu avoir trop vécu ? Trop souffert pour moi ? Peut-on souffrir comme tu as souffert de vouloir absolument dépeindre l’Autre comme l’on voudrait qu’il soit ?
Là est mon erreur. Maintenant je souffre. Car maintenant de toute plante de tous les oiseaux de toutes les lagunes enneigées je n’ai jamais souffert et éprouvé autant de difficulté à percer un regard. Tes yeux ne mettent au jour que l’absence de satiété qui t’as toujours donné force et courage pour me rattraper, mais je te veux authentiquement plein, et je souffre parce que ma capacité à peindre l’abricot le roseau et la barrière se refusent à t’intégrer, tel un ornement parmi d’autres, à l’Encyclopédie de l’Amour que je poursuis.
Nos quêtes dans leurs croisements les plus intimes vont se séparer à nouveau. Mais c’est dans le refus de te porter préjudice que je veux continuer à chercher le trousseau qui me mènera à la voûte de tes songes. Regardons-nous.
Mes bras, mes jambes, mes épaules n’attendent que de respirer le saule, la baie et la mer pour m’avancer de plus en plus vers le fruit de tes efforts. Regardons-nous.
0
0
0
5
Elle me tend un sourire de prof cinquantenaire névrosée, Madame Figuier.
« - On peut aller directement en classe. Antoine et Antony sont en train de revoir leurs subordonnées, m’explique-t-elle.
- Toutes mes excuses, une référente PIAL devait s’entretenir avec moi en salle de profs juste avant. Pour les dossiers précis à suivre.
- Elle est en arrêt, annonce l’enseignante en retroussant ses dents.
- Je n’étais pas du tout au courant, comment vais-je bosser sans planning ?
- Je suis votre planning Madame.
- Je ne peux pas travailler seule ?
- Non ? »
Devant la salle 401 il y a deux zouaves qui jouent avec, vous savez quoi ? Une patate ! Vous avez bien compris, un turbercule volé au SELF ! Et pourquoi devrais-je m’entretenir avec ces élèves si Figuier affirme qu’ils sont les meilleurs éléments de la classe ? Jamais vu ça.
La salle affiche une déco digne des plus grands architectes brejneviens.. Antoine révise ses relatives à voix haute avec Antony, qui répète plusieurs fois les mêmes phrases de suite (?). « Voili voilou, Antony est nouvellement inscrit en 4ème ici depuis octobre, il a... quelques soucis en dyslexie par ci, et Antoine quelques symptômes TDAH par là… mais vos compétences en la matière sont à jour je suis confiante. », cuisine d’une voix de miel l’enseignante qui a de la bouteille. Je proteste, sur ma faim :
« A vrai dire, nos travaux effectués sur les troubles du neurodéveloppement furent assez sommaires en formation. Des dossiers bibliographiques, des prises de contact avec des professionnels, des mises en situation sur papier, mais de pratique je ne retiens que quelques vrais élèves. Mais j’imagine que vous avez une vue plus structurée des profils de vos élèves.
- Que l’on soit quitte, j’ai quatre classes à gérer, et très peu de temps pour développer mes compétences sur ces sujets. Mais enfin, différencier un collégien ayant des troubles autistiques d’un autre à symptômes TDAH, c’est à la portée de tout le monde ! Le premier cogite au fond de la salle, le second lance des avions en papier sur le tableau, voilà voilà, fin de l’histoire.
- Je doute que le contenu de mon travail soit aussi simple Madame…
- Je vous fais confiance d’accord ? 800 euros pour ça, oh quand même.. Oh, et si vraiment ça ne prend pas, faites un service civique, payé deux fois moins pour deux fois moins de difficultés, et si ça ne prend encore pas, donnez des prospectus Schweppes Mojito chez des vieillards pour 200 euros par mois. »
Mais pour qui elle se prend la Mère Poularde ? Elle qui a jamais levé ses miches de ses ateliers de coéducation en collège huppé dans les Landes ? « Ce sont mes collègues du SNU qui referont la déco de votre casier Madame ! Vos propos je ne les digère pas. Laissez-moi gérer les gamins en paix, et retournez faire des courbettes au Ministère ».
« Monsieur le Proviseur sera ravi de connaître cette histoire de SNU ! Votre salaire augmentera tous les ans je vous le promets… »
1
0
0
2
(Poème de Beatriz de Dia, femme troubadour provençale, écrit entre 1160 et 1210)
J’étais plongé dans une profonde détresse
par un chevalier qui m’a courtisé,
et je veux confesser pour toujours
combien je l’aimais passionnément;
Maintenant je me sens trahie,
car je ne lui ai pas dit mon amour
donc je souffre une grande détresse,
au lit et quand je suis habillée.
Que mon chevalier puisse un jour
être nu dans mes bras
et me retrouver en extase
avec moi comme oreiller;
Car je l’aime plus
que Floris était avec Blanchefleur:
Je lui donne mon cœur et mon amour,
ma raison, mes yeux et ma vie.
Bel ami, tendre et bon,
Quand seras-tu à moi ?
Oh, à passer avec toi mais une nuit
pour donner le baiser d’amour !
Sachez que je chéris avec passion
l’espoir de toi à la place de mon mari,
dès que tu m’auras juré
que tu rempliras chaque vœu.
La chaude retrouvaille des corps dans Estat Ai en greu cossirier se dissimule avec timidité derrière la place donnée au lit. Le lit, élément du décor propice à l'intime, mais un intime qui réveille seulement des bras et des baisers fugaces.. qui, parfois, avec maladresse, dévoilent un "me retrouver en extase", mais une extase d'attendri, appuyé sur Beatriz, qui se jumelle avec son oreiller. Pour garder chambre close à l'auditeur du poème, elle..
Nous ne côtoyons plus ici l'opportunisme d'un Renard rué sur l'arrière-train d'Hersent la louve coincée dans son terrier, ou l'outrage marqué sur le visage de la jeune fille à la tente, brutalisée par Perceval. La retrouvaille charnelle se joue tacite, comme émulation saine, tant que la loi de l'Amour ne rompt avec son respect. Sans verser dans un rapport de domination charnelle à la René Girard, se dessinent les contours d'une sexualité soumise à une légèreté d'amant et d'amante, qui s'échappe des lourdes traditions et jurisprudences du désir et du mariage... chaînes inscrites dans une oscillation nécessaire entre ce qui doit être montré et ce qui ne doit pas l'être...
... Hésitation longue du désir charnel face à la volonté de crypter l'Instant. Souffrir "quand je suis habillée" sur son lit : manifestation d'une fermeture au monde sous condition : que le chevalier, dénué de tout son apparât arthurien, fasse demi-tour...
L'Instant, se suffit à lui-même, en toute pudeur : "à passer avec toi mais une nuit" ou alors donne présence solennelle à ce qu'il berce : une vigueur pré-cinématographique d'une bouche de chevalier fougueux contre une autre.. le salé du fantasme s'entrecoupe de mystères plus noirs, "Quand je suis habillée", peut-être d'un noir Tartuffe, qui projette tout et son contraire !
0
0
0
2
Vous êtes arrivé à la fin