Leïla Frat
4
œuvres
0
défis réussis
3
"J'aime" reçus
Œuvres
- Hé toi, toi ! Toi là bas ! Réponds moi nom de dieu. Hé toi, toi ! Toi au loin ! Mais pourquoi fais-tu semblant de ne pas m’entendre ? Je sais que tu m’entends; pourquoi ne réponds-tu pas ? Je ne supporte pas cette indifférence outrageuse à laquelle tu me condamnes. Je ne veux pas être ignoré. Je veux exister pour toi, je ne veux pas être juste ce pauvre type qui crie ton nom. Ton nom ? Je ne connais pas ton nom. Pourquoi est-ce que je ne connais pas ton nom ? Comment puis-je t’appeler, comment peux tu savoir que c’est toi que j’appelle et me répondre, si je ne connais pas ton nom ? Je pourrais t’en inventer un. Mais tu ne saurais toujours pas que c’est toi que j’appelle. Je pourrais alors t’appeler Amour, ou Beauté. Non car tu es laide, tant que tu ne me réponds pas. Je refuse de t’aimer, si tu continues de m’ignorer. Mais je sais que tu m’entends, et si je choisis de crier encore, je serai toujours là, résonnant par mon écho. J’existerai toujours pour toi, tu ne pourras pas m’ignorer, tu ne feras que le feindre. Et peut-être qu’un jour, tu finiras par répondre : pour arrêter mon cri d’amour impitoyable. Et alors, tu m’aimeras à ton tour. Et je pourrais t’oublier.
Hé, hé toi, là bas ! Toi, toi ! Toi là-bas, réponds moi !
0
1
3
1
Cette femme vivait très retirée. On ne la voyait que rarement en dehors de chez elle. Chaque dimanche, elle faisait l’effort de sortir le bout de son nez crochu pour se rendre au marché. Elle ne parlait à personne, ne regardait personne ; il semblait même qu’elle ne voyait personne. Tous les gens du quartier la trouvaient étrange et elle effrayait les enfants.
Quand nous étions petits, mon frère et moi, à Halloween, nous nous amusions à aller sonner chez elle pour avoir des bonbons et surtout, pour nous faire peur. Elle ouvrait, nous regardait à peine, attendait que l’on ait récité la fameuse tirade « Des bonbons ou un sort ! », pour finalement nous fermer la porte au nez – le nôtre n’était pas crochu. Une fois, nous avions cru l’entendre nous répondre dans un murmure : « un sort », alors qu’elle refermait la porte et depuis, effrayés, nous n’étions plus revenus.
C’est en souhaitant me replonger dans mon enfance, peut-être pour mieux comprendre ce que j’étais devenu, que je me suis surpris à me souvenir d’elle. En me baladant dans la rue où j’habitais il y a un bien longtemps, j’aperçus cet immeuble qui n’avait presque pas changé : juste un peu plus gris, un peu plus sale. Etonné qu’il tienne encore debout, je m’en approchais, intrigué. Je franchis le perron, passa mon doigt sur toutes les sonnettes pour y retrouver son nom : Mme Cohen. Elle habitait encore ici. J’appuyai alors sur la petite touche en métal, elle était froide – il neigeait dehors. Un léger bruit de mouche mécanique se fit entendre, puis une voix terne, tellement faible qu’elle ressemblait à un chuchotement.
« Oui ? »
« Je suis Pierre Flavris, Madame, l’un de vos anciens voisins. Nous venions, mon frère et moi, vous demander des bonbons à Halloween, vous vous en souvenez ? J’aurais voulu vous revoir. »
Pas de réponse, encore ce bruit de mouche, mais plus fort et un claquement qui me signifiait qu’elle m’avait ouvert la porte. Je montai les deux étages à pied – je n’aimais pas l’ascenseur – et toquai à sa porte. En moins de deux, la porte s’ouvrit et je reconnus cette vieille femme ridée, avec son nez crochu et ses cheveux grisâtres. Elle n’avait pas changé. Elle ne me sourit pas, ne me dit pas bonjour, ne m’adressa qu’un petit signe de tête pour me dire d’entrer. Les murs de son appartement étaient entièrement blancs et dépourvus de tout ornement. Il n’y avait ni photos, ni tableaux, ni vieilleries décoratives comme je m’attendais à en voir. Je ne reconnaissais aucune des odeurs auxquelles je m’attendais : pas de lavande, pas de poussière, pas d’humidité. L’appartement sentait le frais, comme si l’on venait tout juste d’aérer et que le ménage avait été fait. Les fenêtres étaient fermées. Je vis, près du seul meuble qui s’imposait dans l’entrée, un grand porte-manteau noir et une sorte de grand seau orange où étaient rangés des parapluies multicolores. Mon étonnement allait grandissant. Elle me désigna le salon et m’invita à m’assoir d’un geste de la main. Je suivis ses instructions à la lettre et notai avec une agréable surprise que le sofa est plutôt confortable. Elle se dirigea vers une autre pièce que je pensais être la cuisine, y resta quelques instants et en ressortit avec un plateau sur lequel se trouvait une théière, deux tasses et des petits gâteaux. C’était bien la cuisine. Elle posa le plateau sur la table basse devant moi et alla s’assoir sur un petit tabouret en bois à ma droite. C’est alors, et pour la première fois, qu’elle leva les yeux vers moi et me regarda. Elle avait des yeux bleus, d’un bleu azur, comme la mer sur les photos des publicités d’agences de voyage. Les ridules qui en ornaient les coins donnaient de la profondeur à son regard. Je scrutais ses iris, puis la prunelle, peut-être pour mieux la connaître – on dit que les yeux sont le miroir de l’âme. Je ne vis aucune tristesse dans son regard, je crus même y apercevoir une sorte de lueur, comme une gaité discrète, qui ne se laissait pas facilement deviner. Je me rendis compte que je la fixais depuis quelques temps déjà et que c’était assez impoli. J’avais l’impression qu’elle me souriait, cela semblait irréel. Je ne savais pas quoi lui dire. Je ne savais même plus pourquoi j’étais venu. J’essayais de réfléchir à quelques mots sensés à prononcer et je plissais les sourcils, des rides apparaissaient sur mon front. Elle se mit à parler :
« Tu as bien grandi. Je me souviens que tu étais le plus petit de tous les gamins du quartier. Ton grand frère lui, était le plus mince. Et vous étiez tous les deux les plus insupportables. »
Elle me tutoyait, comme si nous étions proches, un peu comme une grand-mère à son petit-fils. Je ne savais pas quoi répondre. J’étais gêné, et elle dut le remarquer car elle ajouta :
« Ça ne te dérange pas que je te tutoie ? C’est parce que je te vois encore comme un enfant. »
Elle resta silencieuse alors que je venais de lui demander comment elle allait. Je me mis à poser toutes sortes de question sur les gens du quartier, sur ce qu’ils étaient devenus. Elle me raconta que la plupart des gens étaient partis, parce que les enfants avaient grandi et que les appartements devenaient trop grands quand il n’y avait plus qu’un couple qui y habitait. Depuis, de nombreuses nouvelles familles étaient arrivées, d’un peu partout. Mais ce n’était plus pareil. Elle était devenue trop vieille pour que l’on s’intéresse à elle. Elle était devenue trop vieille pour ne plus être seule. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je ne lui répondais pas, c’était inutile, puisque je n’avais pas de réponse. Un long silence suivit, elle semblait perdue dans ses pensées.
C’est à ce moment-là qu’un chat décida d’interrompre notre conversation muette, en venant ronronner à côté de nous. C’était un gros chat noir, imposant et fier, qui s’avança comme un prince vers la vieille puis s’élança avec souplesse sur ses genoux. Elle le caressa doucement en me le présentant, presque comme s’il s’agissait d’un être humain. J’appris que le chat se prénomme Le Chat, « pour qu’il sache ce qu’il est quand on l’appelle », m’expliqua-t-elle. Et puis, ça lui rappelait cette petite fille dans le roman de Pennac. Elle adorait les livres pour enfant. En les lisant, elle retrouvait une forme de candeur, d’innocence. Je trouvais cela touchant. Je l’imaginais en train de feuilleter un livre illustré pour gamin et ça me faisait sourire. Elle me sourit en retour. C’est la première fois que je la voyais sourire, je n’en revenais pas. Je ne pensais même pas qu’elle était capable de sourire, comme si son visage était figé dans une unique expression, ou plutôt inexpression. Elle se tut alors, n’ayant visiblement plus rien à dire. Je n’avais rien à dire non plus. Il était temps de m’en aller. Elle me reconduisit poliment jusqu’à la porte. Une fois en bas de l’immeuble, j’aperçus sa silhouette légèrement voutée qui m’observait depuis l’une de ses fenêtres, qui étaient toujours fermées. Je me mis à marcher tranquillement jusqu’à la gare en pensant à ce qui venait de se passer, me disant qu’à l’occasion, je pourrais peut-être repasser la voir, cette petite vieille.
Quelques jours temps plus tard, alors que je venais tout juste de sortir de mon bureau, je vis un gros chat noir à l’attitude princière qui se dandinait gracieusement sur le trottoir d’en face. Le Chat. Mais que faisait-il là ? Nous étions bien loin de chez la vieille. Je me mis à l’appeler. La grosse bête reconnut son nom et s’approcha de moi, confiante. Je l’attrapai alors et décidai de la ramener à Mme Cohen. Le bête ronronnait contre moi, mon manteau allait être plein de poils, j’allais encore devoir payer le pressing.
Elle me remercia plusieurs fois mais précisa que ce n’était pas nécessaire. Le Chat avait l’habitude de vagabonder partout et il partait parfois à l’aventure pendant quelques jours. Et bien tant pis, maintenant que j’étais là, je pouvais toujours servir à faire un brin de causette. Je la faisait rire avec ma bonne humeur. Je compris que nous étions d’un coup devenus amis. Elle alla dans la cuisine nous préparer un thé et servir des petits gâteaux. C’était à croire qu’elle avait préparer tout un stock de petits gâteaux en prévision du moment où je viendrais à l’improviste.
Plusieurs fois dès lors, je retournais chez la vieille dame. Elle avait souvent l’air fatiguée, malgré son sourire – il fallait quand même reconnaître qu’elle n’était plus toute jeune. Je lui remarquais quelques faiblesses : des vertiges quand elle se levait trop vite du petit tabouret en bois sur lequel elle s’était assise la première fois que j’étais venue la voir, sa respiration qui s’emballait quand elle faisait un effort un peu trop intense, et ainsi de suite. Je ne m’inquiétais pas, ce n’était que la vieillesse, ce n’était pas bien grave.
En passant la voir ce jour-là, je fis cependant le constat que la vieillesse pouvait être grave, quand elle était trop avancée. J’avais doucement monté les escaliers pour finalement arriver sur le palier du deuxième étage. Je frappai à sa porte, attendis quelques minutes. Je tentai d’ouvrir la porte, qui en fait n’était pas fermée. J’entrai, elle n’était pas dans le salon. Je l’appelai. Je me rendis compte que je ne connaissais pas son prénom. Il n’était pas écrit sur l’étiquette de l’interphone et elle ne me l’avait jamais dit. Soudain, je l’aperçus étendue sur le sol de la cuisine. Je m’approchai d’elle, lentement, comme à mon habitude – je n’aimais pas marcher vite. Elle était morte.
Une odeur sucrée me monta aux narines. Sur la table de la cuisine se trouvait un bol rempli de blanc d’œufs à côté d’un fouet comme on n’en utilisait plus, avec la technologie. Elle était en train de les faire monter en neige. Si j’étais arrivé plus tôt, j’aurais pu le faire pour elle, elle n’aurait pas eu à faire un effort trop grand, sa respiration ne se serait pas emballée et son cœur n’aurait pas lâché. Je décidai alors de finir la préparation – elle faisait des meringues. J’appellerai les secours plus tard – ou peut-être devrais-je appeler directement les pompes funèbres ?
« De toute façon, on n’est plus pressés », dis-je en pensant à haute voix.
Le Chat acquiesça d’un ronronnement et vint se frotter contre mon mollet.
3
4
5
7
Une peau lisse, des joues rosies par le froid d’un mois de décembre, des cheveux bruns, brillants d’un reflet cuivré, des lèvres sensuelles recouvrant un sourire éclatant, une silhouette fine et élancée, un dos légèrement cambré, des jambes gracieuses, une démarche assurée : il la voyait approcher lentement. Il ne pouvait détourner son regard d'elle. Elle était majestueuse, l'éclaboussant de sa beauté voluptueuse d'un frôlement d’épaule; ses pas glissaient sur le trottoir, un flottement de lumière dense se dégageait de sa présence. Il était subjugué, incapable de détourner les yeux de son corps subtilement parfait. Une fois qu'elle eut disparu, il se mit à contempler son absence, ce point fixe au bout de la rue, là où sa silhouette avait fini par s'échapper. L'image de cette femme le submergea tout le reste du jour, puis de la nuit. Le lendemain, inconsciemment, il se trouva à la même place que la veille quand elle apparut de nouveau. Il suivit ce même mouvement gracieux jusqu'à ce qu'elle tourne au bout de la rue. Cette fois, l'étonnement laissait place au contentement.
La présence éphémère de cette jeune femme lui imprimait un sourire béat qui ne s'effaçait plus de son visage. Chaque jour de la semaine, pendant sa pause déjeuner, il revenait et se gonflait de ce plaisir furtif jusqu'au lendemain. Lors de ses jours de repos, il se sentait comme vide de toute joie, comme sevré d’une jouissance que rien ne pouvait égaler. Il essayait de se gaver de son souvenir. Puis, ces moments de satisfaction ponctuels commencèrent à ne plus suffire. Lorsqu’elle passait devant lui, il se sentait emporté, sa jambe se mouvait sans même qu'il s'en rende compte, mais si lentement qu'il n'avait pas encore fait un pas qu'elle s'était déjà évaporée. Une fois rentré chez lui, il se demandait sans cesse quoi faire : il n'avait jamais vraiment connu de femme, il ne parlait pas beaucoup, ne savait pas regarder les gens dans les yeux. Il passait la plupart de son temps seul.
Alors, à défaut de savoir comment lui parler, il se mit à lui écrire. Une succession de lettres, souvent sans queue ni tête, un entassement de mots maladroits pour lui signifier son admiration. Au milieu de son salon, la table ne se recouvrait que peu souvent de quoi manger, il ne se nourrissait plus que de son amour frustré. Lorsqu’il eu noirci des pages et des pages de centaines de déclarations enflammées, qui ne furent jamais envoyées, il se mit au dessin. Il tentait en vain de reproduire chacun des traits de son merveilleux visage, de son corps si parfaitement construit. Il avait quitté son travail. Il ne sortait que pour retourner dans cette rue, attendant parfois des jours entiers pour n’apercevoir sa silhouette qu’un court instant, au loin. Il avait arrêté de regarder sa montre, indifférent au temps qui passait. Il n’avait pas la force de penser à autre chose qu’à cette femme. Il n’avait pas la force de constater que les minutes qu’il ne comptait pas s’écoulaient malgré tout.
Cela faisait quelques temps déjà qu’il ne s’était pas rendu dans cette rue où le cours de sa vie avait été suspendu. Il venait de constater encore une fois son échec à reproduire avec harmonie le souvenir si précis qu’il avait en mémoire. Il avait posé son crayon et s’était mis à courir. Il voulait la rejoindre. Il avait déjà oublié les lettres et les dessins et voulait oublier le souvenir. Il se sentait prêt à aimer une personne plutôt qu’une image.
Il faisait les cents pas en l’attendant, furieux d’impatience. Il crut la reconnaître enfin, après de longues heures d’attente, et s’élança vers elle. Pris d’une folie téméraire, il posa la main sur son épaule en se préparant à prononcer le premier mot de leur rencontre. Elle se retourna et aucun son ne sortit de sa bouche, sa tête se mit à tourner. Il était assommé par le poids des années qu’il avait oublié de compter.
Une peau ridée, un teint délavé par les années, des cheveux blancs, ternis de reflets gris, des lèvres gercées révélant un sourire gâté, une silhouette lourde et rabougrie, un dos désormais voûté, des jambes abimées, une démarche chancelante : il souhaitait la voir s’en aller. Vite. Il regarda sa montre, l’enleva de son poignet et l’envoya se fracasser sur le bitume.
0
2
3
3
Questionnaire de l'Atelier des auteurs
Pourquoi écrivez-vous ?
Je ne sais pas et je m'en fous, c'est bien l'intérêt.
Activité
Chargement...