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Kolgard

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Œuvres

Kolgard

La roue d'une charrette s'arrêta devant une bâtisse, ornée par un blason sur lequel figurait une chope de lait enchâssée de trois cornes. Un rébus visuel qui déguisait les mots derrière les images pour que les illettrés puissent déduire, grâce au jeu des sonorités, le nom de l'établissement.
Une paire de bottes atterrit dans une flaque, sur le chemin boueux menant à l'entrée. Durant trois jours, il avait plu sans interruption, allongeant chaque trajet d'une demi-journée par jour de voyage. Exaspéré d'avoir sali ses chaussures en cuirs de bonne facture – qu'il avait ciré toute la nuit – l'homme encapuchonné se dirigea vers la bâtisse avec fébrilité. Les feux vifs, de deux torches encadrant le porche devant l'entrée, illuminaient la façade du bâtiment. Dans l'épaisseur de l'obscurité, c'était la seule lueur à une verste à la ronde. Sur le côté droit, deux débardeurs débarrassaient une charrette de tonnelets et portaient la cargaison à l'intérieur par un accès réservé. Au pas de la porte, un vieil homme, pipe en bouche et pied à chien (un bouvier âgé avec des traits malinois saillants) faisait mine de surveiller, plus occupé à bâiller du brouillard.
L'arrivant se stoppa au niveau du vieux, décontenancé par des cris de fête qui tambourinaient à travers les murs, à quelques centimètres de lui. L'hésitation figea sa main un instant.
À peine poussa-t-il la porte que le débit des voix et l'odeur âcre des corps échauffés montèrent d'un palier. Des conversations explosaient tout autour de lui et résonnaient dans le bois serré de la taverne. Des joyeux lurons, des drilles soûlards, des gueux heureux et d'autres gens du bas peuple enflammaient la salle et festoyaient dans la bonne humeur et l'ivresse partagée. Un vieillard claudiquant se mêlait à la frénésie de ses bras agités. Au fond de la pièce, un gaillard bâti comme un cheval captivait l'attention d'une dizaine de personnes en racontant une épopée qu'il revivait à cor et à cri.
Mais l'homme à la capuche n'était pas venu faire la fête. D'un pas concentré à ne bousculer personne, il traversa une double rangée de tables, et se dirigea tout droit vers le bar. Il s'assit sur un tabouret devant une femme âgée, durement affairée à essuyer des couverts.
Il scruta autour de lui pour vérifier que personne ne l'avait remarqué, puis d'un geste nonchalant il ôta sa capuche. Son visage imberbe éclairé par la bougie, face à lui, trahit son adolescence. La fatigue creusait des poches sous ses yeux, dessinant une mine stricte.
Un cognement de chope sur le bois le surprit. Il se retourna vivement pris d'une panique réflexe. Dès qu'il comprit, il se courba et s'entoura de ses bras pour taire sa présence. Il zieutait tout du coin de l'œil et tressaillait à chaque bruit qui détonnait avec le vacarme ambiant. Son pied tapait nerveusement contre celui du tabouret.
– I' veut boire qu'qu'chose le voyageur ? commanda la tenancière.
Surpris, il eut un instant de repli intérieur. L'insistance de la femme l'obligea à répondre.
– La spécialité... s'il vous plaît.
Demanda-t-il sur un ton mal assuré par un choix à peine ressassé.
– Ce sera tout ?
– Oui... Madame.
- Heureusement qu'ils sont là eux autres, c'est pas avec des gens comme vous que je pourrais ben faire tourner mon bar, bougonna-t-elle. Une spécialité et que ça saute ! débouche-moi ce p'tain de fût de bière, lança-t-elle à un débardeur dans l'arrière-fond.
Elle s'en alla remplir une douzaine de chopes , en répandant un effluve d'alcool.
Laissé dans l'attente, le jeune homme chercha dans sa poche de quoi payer, tout en tâtant une lettre froissée cachée au fond, près de sa cuisse et fut rassuré de l'avoir toujours. Il gardait ses doigts dessus et tripota le sceau décacheté pour tromper son malaise. Puis il sortit une pièce d'argent qu'il posa sur le comptoir. Le bout de métal refléta la lumière de la bougie.
Dans l'ombre d'un escalier qui bordait le mur attenant au bar, un individu observait l'étranger depuis son arrivée. Il s'était attardé depuis quelques instants sur le morceau rond qui chatoyait sa convoitise. À la vitesse d'un clignement de paupière, il sortit de sa cachette, traversa deux rangées et se faufila à travers la fête, insaisissable à la vue de quiconque, pour s'asseoir à côté de celui qu'il épiait.
Un courant d'air et un frisson rappelaient au nouveau qu'il était trempé. Il tourna sa tête et se surprit de trouver la place d'à côté occupée. Intrigué, il observa du coin de l'œil ce voisin vêtu d'une armure en cuir enveloppé de feutrine noire qui recouvrait chaque centimètre de peau. Un bandeau dissimulé tout du cou jusqu'au nez et ses yeux étaient ensevelis sous une masse de mèches sombres et ébouriffées. Il était comme une ombre vivante. Même la lumière semblait atténuée autour de lui.
À son contact, l'adolescent éprouvait une sensation désagréable sur laquelle il peinait à mettre des mots, une sorte d'oppression intérieure qui endurcissait son malaise et sa volonté de quitter la taverne.
Alors qu'il s'attardait sur lui depuis quelques instants, l'homme obscur projeta sa tête dans sa direction avant de s'immobiliser. Par à-coups, le corps suivit comme le balancement d'un oiseau en marche. Devant cette gestuelle étrange, le jeune préféra se retourner pour n'avoir rien à faire avec ce gueux, qui devait dans son ivresse se prendre pour une poule ou autre volatile. Mais, il gardait de ce rapide entrecroisement une impression fugace de regard. En recomposant son souvenir, il revit deux yeux trop grands pour les proportions d'un crâne, de couleur jaune orangé à l'iris barré d'un éclat blanc vespéral, exorbité anormalement. Il mit cette image incertaine sur le compte d'un défaut de perception imputable à la fatigue accumulée depuis trois jours.
Il préféra s'occuper les mains avec sa pièce, tout en surveillant l'autre dans le coin de sa vision périphérique. Il demeurait immobile pareil à un objet inanimé.
La tenancière revint les bras chargés de chopes. Elle lâcha devant le jeune arrivant son verre, duquel giclèrent plusieurs gouttes qui s'étalèrent sur ses hardes. Irrité par l'outrecuidance de la bonne femme, il hésita à la payer. Son inquiétude le somma à ne pas faire désordre pour une broutille. Il lui tendit la pièce d'argent, qu'elle attrapa à la volée, avant de lui en jetait, dans un second passage, six de bronzes. Le voisin avait fixé toute la transaction.
Conscient d'être observé l'adolescent chercha à se faire oublier en gardant un naturel ostentatoire. Il goûta le breuvage et refoula un rot qui s'allongea en remontée acide. Il déposa le verre et aperçut que l'autre l'observait toujours. Sa nuque dessinait un angle obtus, comme cassé. Et les yeux étaient pareils au souvenir fugace que le jeune pensait halluciné. Devant ça, il lâcha un « ah » allongé de dégoût et se replia dans son tabouret jusqu'à cogner ses lombaires contre un clou rouillé – qu'il avait évité jusqu'à lors. Au moment précis où la panique envahit le jeune, l'homme étrange d'un geste vif porta sa main sous la cape du jeune garçon pour lui toucher la cuisse, et attraper sa bourse.
Le jeune garçon trébucha du tabouret et recula. Il fit bondir sa cape et porta sa main à une dague ceinturée sous ses vêtements.
L'autre s'établit dans l'indifférence, en émettant un drôle de faible bruit avoisinant le dérangement mental.
– Au voleur, lança le garçon !
– Holà Manant, lança-t-il à la même hauteur que le garçon, loin de moi l'idée de vous vilipender – Je voulais simplement vérifier que votre bourse était encore bien garnie.
À ce moment, le garçon se sentit cracher à la figure. La colère de l'agression le serait tout aussi vivement que le dégoût inspiré par cet être étrange.
– Et moi je veux vérifier que votre sang est bien rouge !
Il dégaina et attaqua en estoc.
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Kolgard

À quoi pensez-vous que l’enfer ressemble ? Pour ma part, même si je suis athée, j'imaginais un monde souterrain envahi de flammes et de lave, une terre stérile où l'on assisterait à des scènes de tortures. Un truc à la Dante. Je suppose que c’est la représentation qu’on en a tous.

En réalité, on est dans l'obscurité, éclairés faiblement par une lumière rouge qui monte vers nous depuis les profondeurs dans un grondement inquiétant. Qu’est-ce qu’il y a sous l’enfer ? Je ne saurais le dire, mais ça n’augure rien de bon. On est là, des dizaines, voire des centaines de milliers, nus et entassés les uns contre les autres. C’est la promiscuité, la vraie torture.

Il y a malgré tout quelque chose de poétique à voir cette multitude de corps bouger sur le même rythme, comme l’oscillation que provoque un caillou jeté dans une marre. Un mouvement uniforme où pour la première fois l’humanité danse ensemble, unis dans ce requiem infernal, cadencé par les pulsations de ce qui monte des profondeurs.

Ici, il n’y a pas de temps. Chaque instant est infini. Dans l’ennui et la peur de ce qui gronde, le seul moyen de s’échapper c’est en repensant à sa vie terrestre. À force de repasser ses souvenirs, ils deviennent palpables et l'on s’y replonge pleinement, jusqu’au point où l'on se trompe en croyant être encore vivant. Mais l’illusion disparaît toujours quand on racle chaque choix de notre existence et qu’on arrive inexorablement au moment qui nous a conduits ici.

À force de ressasser son existence et de la vider de son contenu, on finit par en être le juge. Une fois les regrets dissipés et tous les instants soupesés, on sait avec certitude à côté de quoi on est passé.

Toute ma vie, j’ai couru après la réussite. J’étais persuadé que le travail acharné était la clef pour obtenir ce que je voulais, pour avoir enfin ce que l’univers ne m’avait pas donné à la naissance. J’ai toujours vécu dans la frustration de ce que je n’avais pas. Et même quand des amis atteignaient leurs buts en en ayant moins fait, mais avec plus de chance, je restais empêtré dans ma conviction qu’un jour mes efforts paieraient. Pour moi, le hasard n’était pas une variable sur laquelle capitaliser et seule la rigueur me semblait capable de combler le fossé pour satisfaire mes désirs. Jamais je n’ai réussi et en m’entêtant jusqu’au bout je suis passé à côté de tout. Certains naissent chanceux, d’autres ont la chance de naître.

Je crois que j’aurais simplement dû vivre ma vie. J’étais avec une femme aimante, à qui je n’ai pas pu rendre l’amour qu’elle me portait, qui m’a donné deux beaux enfants, que je n'ai pas su voir grandir. J’ai toujours imaginé qu’elle était avec moi, car elle avait perçu ma réussite. Elle m’encourageait et me poussait, même quand les résultats peinaient à arriver. Elle m’a supporté dans mes moments de désespoir et m’appelait à tempérer mes ardeurs pour me satisfaire de ce que j’avais. Je n’y suis jamais parvenu et je suis resté borné jusqu’au bout. Maintenant, au regard de tout ça, je troquerais bien volontiers mes rêves brisés pour naître à nouveau et refaire ma vie avec eux.

Comme une réponse à mes pensées juste et sincère, du ciel de ténèbres, une corde de lumière argentée descendit vers moi. Peut-être ma seule occasion de revenir parmi les vivants. Une corde de salut !

Gonflé d’enthousiasme, je grimpais sur les corps de ceux qui m’entouraient, écrasant de mes pieds nus des vertèbres pour l'attraper. Je la saisis, mais fut retenu, agrippé aux jambes par ceux qui avaient vu pour eux l’opportunité de s’évader. Mais c’est la mienne, elle est tombée pour moi. Je me débattis en me hissant avec toute l’énergie que peut déployer un mort devant son unique possibilité de retour, mais les autres aussi...

Je ne pourrai pas dire comment j’ai finalement pu leur échapper. Je me rappelle juste n’avoir jamais cessé de grimper et peu à peu la vision des corps écrasés au sol les uns contre les autres gagnait en hauteur.

Désormais, je suis seul dans l’obscurité. Mon guide, c’est ce fil, un trait de lumière tiré entre moi et ma renaissance. Rien n’existe à part le néant. Le sommet est l'unique but dans lequel moi et chacune des fibres de mon être investissons nos efforts. Je tire sur la corde. Je tire sur mes muscles. Je tire sur ma volonté qui à chaque saccade pour me hisser manque de défaillir. Je n'aperçois pas encore le bout, seulement le parcours dessiné à travers les ténèbres. Mais je n’abandonne pas.

Me voir en compagnie de ma famille à nouveau en vie est le seul réconfort qui m'anime. Les douleurs et les courbatures se succèdent les unes après les autres. J’aurais un millier de raisons d’abandonner et de me laisser retomber en bas. Je n’en ai besoin que d’une pour continuer.

Je suis à bout. Je bloque, pendu dans le vide, incapable d’esquisser un mouvement vers le haut. Mon corps tressaille. Je ne sais par quel miracle je tiens encore. J’enrage de ma faiblesse. Je veux vivre, pourtant, et après tout ça j’ai le droit ! J’ai compris la leçon. Alors pourquoi ne puis-je pas continuer ? Après tout le chemin que j’ai parcouru, je ne peux pas m’arrêter là ! J’arrive à lancer mon regard vers le haut. La corde ne semble jamais finir. Le bout disparaît derrière des ténèbres trop épais et trop lointain. Pareil vers le bas. Je pleure. Prie toutes les forces qui peuvent conspirer en ma faveur, même Dieu en qui je n’ai jamais eu le courage de croire. Jusqu’à maintenant, je ne me suis jamais apitoyé, je n’ai jamais demandé de l’aide ni n'en aie espéré. Mais là, pour une fois j’en ai besoin.

J’ai pleuré pendant longtemps, suffisamment pour m’être repassé une nouvelle fois toute mon existence durant laquelle je n’ai jamais pu lâcher prise. J’ai lutté toute ma vie et en y réfléchissant il n’y a pas de raison que ce soit différent dans ma mort. Alors je continue. Je tire sur la corde encore et encore... pour toujours et à jamais.
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