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EllimacMicha

J'aime l'esthétique art déco, l'odeur des chiens et les pages blanches. J'essaye de contempler les détails du quotidien et de recracher tout ça en textes. J'ai toujours plaisir à lire les écrits des autres et à me plonger dans leur univers. Bienvenue dans le mien. J'ai, par le passé, eu un autre compte Scribay : Camille Stangherlin auquel je n'arrive aujourd'hui plus à accéder, mais qui contient encore certains de mes textes.

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œuvres
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Œuvres

EllimacMicha



Henri claqua la porte avec précaution. Le sourire qu’il avait adressé à Gov flottait encore dans l’encadrement de la porte du salon. Elle inspira profondément et goûta le silence confortable de l’appartement. Elle déposa sa tasse de tisane détox sur un dessous de verre en faiënce au centre de la table basse. Sans le vouloir, elle l’avait disposée exactement au milieu de la surface. Elle en sourit sincèrement. Le canapé en velours l’accueillit avec chaleur. Gov confia sa nuque raide à la rondeur de l’appuie-tête. Elle pressa le bouton de la télécommande de la télévision. Un programme sur l’art contestataire berlinois emplit le grand écran. Gov se lova dans l’assise du sofa. Une sensation de piqûre la fit se cabrer. Elle plongea la main entre les lourds coussins et en retira un petit chevreuil en plastique. Gov lui avait pourtant limé les bois et les sabots lorsque Serena, la fille d’Henri, l’avait reçu pour son 8ème anniversaire. Henri avait alors enlacé Gov de ses bras plus tendres que des baguettes de pain crues, et lui avait coulé à l’oreille : « Oh merci ma chérie, tu ne veux pas qu’elle se blesse, tu es si gentille... ». Gov jeta la figurine hors de son champ de vision. Elle ferma les yeux et songea à Henri, à la manière dont il avait prononcé « croustade tradition » la première fois qu’il l’avait servie, à la boulangerie. Le calme revint en elle. Elle se pencha pour attraper sa tasse. La table basse, d’un blanc de neige, luisait par constellations. Gov s’approcha. Serena, qui terminait toujours les coquillettes au beurre qu’elle n’arrivait pas à attraper avec sa fourchette à la main, avait du jouer ici. Gov, en plissant les yeux, pouvait dire avec exactitude où les petits doigts gourds s’étaient posés. Elle augmenta le volume de la télévision. Son téléphone se mit à vibrer, d’une vibration profonde, proche d’un ronronnement. C’était un SMS d’Henri : « Peux-tu lancer la machine à laver, mon coeur, s’il-te-plaît ? ». Gov serra l’écran contre sa poitrine un instant et se leva. Elle se dirigea, sans allumer la lumière du couloir, vers la salle de bain. Un bas de pyjama à motifs bonbons avait été jeté, comme une grenouille sciée au niveau des pattes, sur le tapis de bain marocain tressé. Gov l’écarta de son chemin avec la pointe de sa pantoufle. La pièce sentait le chocolat et le pet. Gov vaporisa un peu de brume d’intérieur à l’algue marine. Le hublot de la machine à laver s’était vu décorer d’autocollants offerts dans les paquets de céréales. Gov se massa les tempes. Elle se rendit sur la pointe des pieds dans la chambre de Serena. Le bruit de la télévision ne l’avait pas réveillée. Gov avait pourtant zappé sur un reportage sur le carnaval de Rio. La petite fille ronflait, par saccades. Son visage, abandonné sans retenue à son oreiller, était éclairé par une veilleuse en forme de nuage. Ses narines étaient dentelées de crottes de nez. Gov l’attrapa. L’enfant demeura molle comme une pâte à choux, la tête dans le vide, atone. Elle s’éveilla lorsque Gov se mit à marcher. Gov retourna à la salle de bain. Elle bourra l’enfant dans le tambour de la machine à laver, en achevant la manœuvre avec son talon. Une fois le hublot clos, elle ajouta dans le petit bac prévu à cet effet quelques centilitres de lessive au jasmin. Puis elle lança un programme linge délicat.
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Guerre froide
Martinet ouvrit les yeux. Il remua légèrement sa langue pour la ramener à la conscience dans sa bouche sèche. Ses mains balayèrent son visage de haut en bas, dans un chuintement. Il se tourna sur la tranche. La veste de son costume vint former une boule de tissu très inconfortable au niveau de son épaule. Les draps sentaient l’humidité. Par les fentes des persiennes, le soleil éclairait le studio d’un beau jaune d’or. Quelques voitures passaient, flegmatiques, dans la rue. Les yeux de Martinet se posèrent sur l’étendage à linge plié contre le mur. Il avait l’air de s’y être adossé pour fumer une cigarette. Il avait le soleil dans les vis. Martinet le salua d’un geste de la main. Puis il l’interpella, d’une voix encore marquée par le grain du sommeil « Alors, l’étendage sanglant est levé ? Ah ah, je sais que vous l’avez, vous êtes un intellectuel ! »
Martinet se hissa sur ses jambes. Ses genoux étaient endoloris . Il remua lentement la tête, autant que sa nuque raide le lui permit. Ses aisselles bavaient sur sa chemise. Il s’approcha de l’almanach accroché au mur. Sur la ligne du jour qui débutait, il inscrit une croix rouge. 48 jours, depuis que son entreprise l’avait muté à la gestion de cette section mobilière. Il lissa sa cravate du plat de la main et sourit.
Le fauteuil de bureau offrait une accolade toute en rondeurs à Martinet. Il l’accepta et s’y assit. Ensemble, ils pivotèrent gaiement pour se saluer. Martinet décolla les pieds du sol. Il vint les poser sur le dos de la table basse, qui se tenait à sa disposition. Elle accueillit le poids avec déférence. Martinet bascula la tête en arrière, jusqu’à ce que sa vertèbre limite son mouvement. Il savoura un instant la dévotion de son équipe. Au dehors, un couple de corbeaux criait son amour. Martinet sentit une présence examiner sa tempe gauche. Lentement, il tourna la tête dans cette direction. Le mini réfrigérateur se tenait là, dans sa froideur ironique habituelle. Lui qui avait gardé un silence inquiétant toute la nuit, se mettait à grésiller en sourdine. La surface de sa porte ne traduisait aucune émotion. Martinet ne baissa pas les yeux. Brusquement, il se leva. Il agrippa la poignée de la porte du réfrigérateur et l’ouvrit. Le grésillement se faisait plus entêtant dans son ventre. Une arrogance menaçante planait sur les rayons. Martinet se saisit d’une brique de jus d’orange coincée dans le flanc de la porte et recula. Dans un mouvement las, le frigidaire se referma de lui-même, comme une huître pudique. Martinet porta le goulot de la brique à ses lèvres. La gorgée de jus lui fit l’effet d’un coup de pied dans le nez. L’acidité du fruit suggéra le goût du sang à ses papilles et ses narines. Martinet bava une partie du liquide, que la table basse reçut sur le coude. Il eut un petit sursaut. Du bout des doigts, il s’empressa d’étaler le jus. Il bafouilla : « Oh, je suis navré. Ne vous en faîtes pas, la vitamine C est excellente pour les articulations, paraît-il. »
Martinet fit claquer ses mains avec entrain. « Bon, pour se mettre en jambes, je vous propose de passer à l’ordre du jour. » De sa paume, il accompagna le fauteuil, l’étendage et la table basse pour qu’ils s’alignent face à lui. Le réfrigérateur demeura au fond de la pièce, narquois. Martinet ajusta sa cravate. Il modela sur son visage le sourire de manager enjoué qu’on lui avait appris en séminaire. « Bonjour à tous. Je vous propose d’aborder aujourd’hui la réorganisation de l’open space. On va se libérer des contraintes, pour encore plus de partage. » L’assemblée buvait ses paroles. Martinet savoura l’attention sans bornes qui lui était portée. Mais un ricanement très léger, mais régulier, heurta son oreille. Le sang battit dans ses tempes. Son regard se porta sur la face blême du réfrigérateur. Il le toisa, retenant son souffle, mais il demeurait insondable. Martinet enjamba la silhouette élancée de l’étendage pour atteindre le réfrigérateur. Il s’immobilisa. Le rire s’était fait plus étouffé, comme camouflé sous une couverture, comme un enfant espiègle. Mais il était toujours perceptible. Martinet ouvrit brutalement la porte du réfrigérateur. Ses yeux furieux en fouillèrent l’intérieur à toute vitesse. Tout avait l’air sage. Il se figea. Soudain, un mouvement attira son regard. Une série de gouttelettes s’échouait sur l’écorce molle d’un demi-citron. Le réfrigérateur reprochait avec sarcasme à Martinet son dégivrage trop lointain. Martinet empoigna la carcasse du fruit et l’écrasa entre ses doigts tremblants. Etranglé de colère, il cracha « Tiens, voilà ce que j’en fais de vos revendications syndicales. »
La pulpe collait s’accrochait aux ongles de Martinet comme un ban de têtards morts. Une vague de chaleur lui monta aux joues. Il se retourna. Toute l’équipe le fixait, silencieuse. Le fauteuil semblait navré. Martinet s’assit sur son séant et appuya les semelles de ses chaussures de ville sur les rebords du réfrigérateur. Agrippant la poignée de sa porte, il tira de toutes ses forces le bloc qui demeurait immobile. C’était un réfrigérateur trapu, malgré sa petite taille. De mauvaises blagues de comptoir l’auraient qualifié d’armoire à glace. Enfin, il céda, charriant sur son passage un filet de cheveux et de miettes. Martinet débrancha rageusement sa prise. Le frigidaire eut un drôle de gargouillement, puis se mura dans le mutisme. Martinet le traîna jusqu’à l’entrée. Il ouvrit la porte et le tira par les flancs dans le couloir des parties communes de l’immeuble. Il l’abandonna sur la moquette et regagna l’appartement à reculons. Son coeur battait dans sa glotte. Il hêla la table basse « Vite, venez m’aider ! Mais oui, vous en êtes capable ! Ce n’est pas parce qu’on est mince qu’on n’est pas robuste ! » Il courut à elle et la saisit par les coudes. Ensemble, ils rejoignirent l’entrée. Martinet la cala devant la porte close.
Il pressa sa propre épaule jusqu’à la douleur contre la porte blindée. Son œil injecté de sang satisfit sa curiosité par l’oeil de bœuf. Un rire monta de son ventre, comme une remontée acide, pour ricocher contre ses dents découvertes. Il cogna la surface qui le séparait du frigidaire dissident. D’une voix éraillée par la vengeance qui exulte, il l’interpella « Vous faîtes moins le malin là, hein ? Vous aimez toujours ça, jouer au marginal ? ». Le réfrigérateur avait l’air minuscule. On aurait juré qu’il serrait fort contre lui sa porte pour prendre le moins de place possible. Martinet tourna la tête vers son équipe pour partager avec elle sa joie. Son cou était entravé. Il se débattit par quelques ruades avant de réaliser que sa cravate avait été mordue par la porte d’entrée. L’étendage était en dehors de son champ de vision. Le fauteuil lui tournait le dossier. A ses pieds, la table basse s’était éloignée d’une vingtaine de centimètres du poste qui lui avait été attribué. Il avait été trahi. Martinet s’évanouit, empêché de s’affaler sur le carrelage gelé par la corde de sa cravate.
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