
Hatem Gharsalli
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œuvres
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défis réussis
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"J'aime" reçus
Œuvres
Défi
Rien de mieux, pour éviter les malentendus, que d’opter pour une approche classique et de commencer par le commencement. Mes vingt-cinq premières années n’avaient été que turbulence, fainéantise et récalcitrance. Bien évidemment, une telle nature est exposée, plus que les autres, à prendre les mauvaises décisions. Et les erreurs de parcours clignotent sur mon CV, comme des guirlandes bon marché. Cela a commencé lorsqu’il m’avait été donné de choisir mon cursus universitaire. Etant fils de parents experts comptables, ma voie était toute tracée. Il me suffisait de réussir mes études, et un cabinet garni d’un portefeuille convenable m’attendais un peu avant mes trente ans. Le choix était vite fait.
Mais les choses, vous devez vous en doutez, ne s’étaient pas passées comme prévu. Au cours de ma première année de fac, un vendeur ambulant de fruits et légumes au sud du pays, fut giflé par une représente des forces de l’ordre. On lui avait reproché de travailler sans autorisation. Et lorsque la policière lui avait gentiment proposé de s’arranger, en lui versant deux ou trois billets en guise d’aumône et afin que ses enfants puissent changer d’établissement scolaire, l’effronté refusa. Sa charrette de bois fut confisquée, et d’une claque il fut corrigé. Ruiné, humilié, le malheureux alla s’asperger d’essence. Sans sourciller, il prit une allumette et la gratta contre la surface rugueuse collée sur la boite en carton. Une étincelle, puis un feu fragile au bout d’une tige de bois et enfin une flamme miroitant sur son iris. L’odeur du combustible calcinait ses narines et apportait du zèle à son ivresse suicidaire.
Et ce qui devait arriver arriva. Une tragédie qui curieusement n’intéressa pas la presse. Pourtant l’infortuné qui par désespoir s’était immolé par le feu, avait provoqué l’indignation de la population. L’information m’avait été rapportée par un chauffeur de taxi, qui devait me conduire à un restaurant pour un rendez-vous galant : des manifestants occupaient la marie des environs et réclamaient des changements. De simples murmures, voilà comment ça avait commencé. Mais les chuchotements furent réprimés à coup de balles réelles. Alors, l’indignation prit de l’ampleur, et laissa place à un accès fébrile et un délire tel, qu’à terme mes concitoyens et moi, n’avions qu’un seul mot à la bouche : liberté ! La révolution était en marche. Rien ne pouvait lui faire obstacle car elle carburait au sang des insurgées, au même moment où on se bousculait pour mourir en héros. Cela a duré un mois. Une gifle, un craquement d’allumette et une dictature déchue.
Ces événements me changèrent définitivement. Bénéficiant de la force de l’âge et la fougue révolutionnaire, il ne m’était plus possible de poursuivre une existence de petit fils de bourges ignorant le malheur des autres. Soucieux aussi de vouloir éclairer mes contemporains de mon avis avisé, mes lacunes en histoire, en philosophie et en sociologie, me firent défaut face à des interlocuteurs informés. Conscient que le savoir devait être mon arme principale, les livres devinrent mes meilleurs compagnons. Et lorsqu’on a pour but, la culture afin d’affronter la bêtise de l’intégrisme religieux ou de la nostalgie de l’oppression, nos lectures deviennent ciblées. Il s’agissait, généralement, d’essaies philosophiques, de mémoires d’anciens politiciens ou de livres d’histoire. Mais quand par mégarde, l’occasion m’était venue de lire des récits de fiction, de poésie ou de pièces de théâtre, mon élan de lecture s’érigea en passion. Rimbaud, Poe, Kafka, Gibran, tous ces grands artistes de la littérature ! La finance et la comptabilité occupaient mes matinées. Mais le soir, dans ma chambre, entouré par mes bouquins, s’organisaient des valses aves Dostoïevski, des défonces avec K.Dick ou des road trip avec Kerouac. Des chorégraphies, des chimères et des voyages qui se terminaient parfois au matin.
Et enfin vint l’écriture, dans une langue qui n’était pas la mienne (le français). Ecrire. Que dire ? Rien, hormis que cet art devint mon souffle, mon essence et mon arme ! Si changer le monde était mon désir, c’est par les mots qu’il fallait agir.
Ma nouvelle condition n’apparût qu’un peu avant la fin de mon cursus universitaire. Mes études achevés, trois ans de stage restaient à purger. Travailler la semaine, et écrire le soir et les week-ends ? Oui pourquoi pas, beaucoup l’ont fait avant moi. C’est mieux que de se trouver à la rue. Et me voilà dans une réunion, présentant un bilan et décrivant ses oscillations. Ceint d’un costard-cravate, mes souliers sont parfaitement cirés. Mes interlocuteurs vibrent aux variations des comptes. Le client est ravi et mes patrons se frottent les mains. Et moi dans tout ça ? De l’entrain dans mes expressions, de l’humour dans mes mots et de la méticulosité dans mes conclusions. Un faux-semblant? Non ce serait trop facile. Mon métier peut se montrer intéressant.
Ma réunion achevée, mon travail est loin d’être terminé. Il me reste encore de rentrer et de poser mes mains sur mon clavier. Qu’il affiche une page blanche ou un manuscrit en mouvement, l’écran en face de moi reflète mon imagination. Fidèle à mes années d’insouciances, prêcher la vérité demeure dans ma conscience. L’adolescent rebelle est devenu un homme. Ses conneries lui ont servi, car chaque soir, de son arme encore peu aiguisée, il œuvre pour un monde meilleur.
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Défi
A bout de souffle, Roxane courut se cacher dans le bois. Elle prit soin, cependant, de ne pas trop s’y enfoncer. Il ne fallait pas manquer le spectacle. Arrivée à une distance raisonnable, le jeune persane fit volte-face pour contempler son œuvre. A l’abri des regards, des secours, mais surtout de la police, elle défit sa braguette, baissa son pantalon à ras le séant, se pencha en arc-boutant une main appuyée sur un chêne centenaire, et alla placer son majeur en orbite sur son noyau ardent.
Son iris luisait une flamme croissante ; une lumière orange et insolente qui grandissait en miroitant sur ses yeux. Et lorsque le feu s’affirma jusqu’à ce que son souffle atteignit son visage, Roxane n’en pouvait plus, et s’empressa d’appuyer au sommet de son ravin. Une décharge suave remonta ses entrailles, se fraya un chemin dans sa bouche et se conjugua enfin en un cri de satisfaction. Au loin, une foudre gronda comme une désapprobation divine. A en croire qu’elle n’attendait plus que ça, la pécheresse fit descendre ses doigts effilés vers ses creux humides. L’édifice de feu s’élevait dans une dynamique qui battait la mesure, et la jeune femme ajustait ses caresses sur la même cadence.
Lorsque les flammes s’élevèrent si haut dans le ciel, à en croire qu’elles injuriaient Dieu, Roxane décela des cris d’horreur à l’intérieur de la maison de retraite. Celle dans laquelle elle avait mis le feu ce soir. Les abois d’agonie se mélangeaient toutefois timidement dans le brouhaha du craquement de bois. Une confusion sonore dans laquelle Roxane trouva l’extase. Chaque appel au secours la faisait gémir sans gêne. La foudre frappa de nouveau. Roxane hurlait maintenant de plaisir. Sa main vibrait entre ses cuisses dans une démente frénésie. La souffrance des pensionnaires lui était presque tactile. Le feu destructeur faisait transcender sa concupiscence. Et cette foudre encore. Comme elle gronde, gronde, gronde et valse avec le malheur! Un ultime vacarme et une apothéose, dans lesquels Roxane ferma les yeux et éclata dans une explosion jouissive.
La tête relevée, la nuque oblique, une pluie prompte se déversa sur visage et sur son œuvre ; des larmes célestes pour soulager ces ardeurs. Roxane n’entendit plus que la percussion lyrique de l’averse, puis le tintamarre grandissant des gyrophares. Les pompiers? La police ? Peu importe. La jeune femme se rhabilla et se dépêcha de quitter les lieux du crime.
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