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Queen_Butterfly

Défi
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    Je ne voulais pas. Ma vie est gâchée ; parce que je suis une menteuse. Vêtue de mon uniforme orange, je passe le balai dans ce qui est aujourd’hui ma salle à manger. Il y a toutes ces tables alignées, avec tous ces bancs sans dossier qui me rendent nostalgique de mon ancienne maison. Je suis en prison et j’ai dix-huit ans.
    J’avais cinq ans quand j’ai commis l’erreur qui m’a poursuivie toute ma vie. Cinq ans, c’est jeune, mais les enfants peuvent être punis à vie, comme les adultes.
    A cinq ans, j’avais tout pour être heureuse. J’avais une maman, une sœur, un bel appartement avec vue sur tout Los Angeles et un chat. J’avais perdu mon père quatre ans plus tôt, il me manquait à chaque jour. A maman aussi. Elle me parlait souvent de lui. Mais elle avait refait sa vie. Avec une femme. Ça ne me gênait pas outre mesure. May était gentille et je ne savais pas vraiment que c’était supposé être mal.
    Ma mère m’avait appris la tolérance depuis toujours, assortie d’un peu de vérité et de beaucoup d’amour. Elle m’avait enseigné les lois de l’honnêteté, mais je n’en avais eu que faire.
    Un jour, May a accompagné maman à une réunion pour l’école, en voiture. Pour se dire au revoir, elles se sont innocemment embrassées et tout le monde a vu. A partir de ce jour-là, ma vie a volé en éclats.
    A l’école, des garçons plus âgés venaient me piquer mon goûter. Ils m’humiliaient souvent de quelques mots dont je ne savais pas me défendre. C’était toujours ma grande sœur qui parlait pour moi, mais elle n’était pas là. Ils m’appelaient « la fille des gouines ». L’école entière savait que maman sortait avec une fille et ça ne s’arrêtait plus. Les quolibets quotidiens me détruisaient. J’étais une enfant réservée et je me suis transformée en petit monstre.
    Un jour, les garçons sont allés beaucoup plus loin que d’habitude. Ils m’ont frappée. Ils m’ont poussée au sol et l’un d’entre eux à réussi à me coller un coup de pied. C’est Emma qui m’a sauvée. Elle s’est plantée devant les garçons. Ils ne l’ont pas frappée. Elle avait sept ans, et elle m’a sauvée d’horribles garçons de onze ans parce qu’elle a ameuté toute la cour. Emma m’a aidée à me relever. Je n’ai rien dit, même pas merci. Ça non plus, je ne voulais pas. Ce jour-là, je me suis aigrie. Je n’ai vu qu’une seule solution à tous mes problèmes : faire partir May le plus vite possible.
    Je suis allée me coucher sans un mot pour personne. J’ai embrassé ma mère et Emma, mais j’ai ignoré May.
    Le lendemain, mon plan tenait debout. J’ai attrapé, dans ma petite garde-robe, le pull le plus difficile à enfiler et j’ai demandé de l’aide à ma mère. Emma prenait son petit-déjeuner à la table, juste derrière ma mère.
    Bien entendu, ma mère, en m’habillant, a vu mon petit corps couvert de bleus.
    – Mon Dieu, Noah ! Comment tu t’es fait ça ?, s’est exclamée ma mère.
    – C’est May qui m’a tapée.
    J’ai senti le regard lourd d’Emma, posé sur moi. Elle savait que je mentais. Je savais qu’elle ne parlerait pas. Ma mère m’a crue. J’ai inventé une histoire qui avait l’air vraie. Si je l’entendais à nouveau de la part d’un enfant, je la croirais pour sûr aussi.
    C’en était fini de la petite vie de ma famille. May et ma mère se sont disputées au point que May s’en aille de la maison le soir-même. Ma mère n’a jamais porté plainte contre elle. Une partie d’elle devait la savoir incapable de me faire du mal. Emma se taisait toujours. Elle ne me parlait plus.
    J’ai grandi, tourmentée par la déchéance de ma mère, incapable de faire confiance à qui que ce soit. J’ai grandi, tourmentée par le silence de ma sœur, qui n’a plus jamais ouvert la bouche. Elle n’avait pas parlé au bon moment. Elle ne parlerait plus jamais. J'ai grandi, tourmentée par le sort de ma victime, qui n'a trouvé refuge qu'en prison. J’ai grandi, tourmentée par mes propres démons. Le démon du mensonge et de la vérité qui s’affrontaient. Mon démon s’appelle May Moretti. Je crois qu’on est irrésistiblement attirés par nos démons, malgré nous. Un peu sans le vouloir, j'ai suivi les traces de celle que j'avais accusé à tort. J'ai sombré, d'abord dans la petite délinquance, puis dans la drogue. Ma vie de débauche s'est arrêtée quand, un jour, ivre morte au volant, j'ai percuté un pauvre piéton qui n'avait commis que le crime de rentrer chez lui à une heure tardive.
Aujourd'hui, je m'appelle Noah, j’ai dix-huit ans. Je n’ai plus rien pour être heureuse. Je n’ai plus de mère, plus de sœur, plus de balcon avec vue sur Los Angeles, plus de chat. Juste mon démon, vêtu aussi d’orange, qui me regarde passer le balai dans la cantine de la prison. Non, je ne voulais pas. Je ne veux toujours pas. Je suis une vilaine petite menteuse.
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    Le soleil se couche. Je n’aime pas voir le jour partir. Il s’éloigne avec mes bons souvenirs de la journée et ne laisse derrière lui que l’angoisse d’être rattrapé par le sommeil.
    Depuis quelques temps, je suis pris de terribles insomnies. Dès que je ferme l’œil, j’ai l’impression d’une présence près de moi. Son regard est si lourd qu’il m’écrase de tout son poids. Dès que j’ouvre les yeux, plus rien. Le néant. Rien d’autre que ma chambre dans l’état exact où je l’avais laissée. J’ai l’impression de perdre les pédales.
    Ce soir, comme tous les soirs après mon dîner, je veille jusqu’à n’en plus pouvoir. Je veille jusqu’à ce que mes paupières deviennent trop lourdes pour être maintenues ouvertes. Je veille jusqu’à ce que mon corps me supplie de l’abandonner à la nuit.
    Je raccroche le téléphone. Ma mère m’a rassuré pendant une heure. Je vis seul, mais j’ai besoin de sa compagnie. Elle sait toujours trouver les mots qu’il faut. Elle m’assure que je me fais des idées : si mes affaires ne sont pas fouillées, si rien n’est jamais déplacé, alors personne n'entre chez moi. Je me sens bête d’avoir tant besoin d’être épaulé par ma maman à vingt-et-un ans, mais je pense que nous demeurons des enfants face à nos peurs. Ces peurs irrationnelles qui n’existent que parce que le jeune « nous-même » n’a pas affronté ses démons.
    Prêt à me glisser sous les draps, je pousse un soupir. Du regard, je fouille ma chambre une dernière fois. Porte ouverte sur le couloir sombre. Penderie fermée. Réveil affichant une heure quarante-deux. Sa faible LED verte éclaire le pan de mur d’en face. La vieille chaise en bois sur laquelle je pose mes vêtements se trouve dans le rayon de lumière coloré. Rassuré par cette énième précaution, je ferme un œil, puis l’autre.
    Mais mon pire cauchemar recommence dès que je ne surveille plus. Je sens qu’on m’observe. J’ai peur d’ouvrir les yeux. Je ne les ouvre jamais tout de suite. Je ne veux pas risquer de croiser le regard de l’intrus.
    Dès que le puissant regard s’éloigne un peu de moi, je soulève mes paupières. Tout est identique à la minute précédente. La porte ouverte sur le couloir. La penderie. Le mur. Le réveil qui affiche une heure quarante-trois. La chaise éclairée par la LED. Mais je ne me sens qu’à moitié en sécurité.
    Epuisé, je referme les yeux. L’oppression revient. J’ouvre les yeux. Rien.
    Ce petit jeu dure jusqu’à trois heures du matin et je finis par tomber dans les bras de Morphée.
    Cette fois, je suis réveillé par un petit « clac ». Je sursaute. Je sens un léger courant d'air sur ma peau. Mes yeux se posent sur mon réveil. Il est quatre heures et demie. Il me semble que l’entrebâillement de la porte est moins important. A-t-elle été fermée par le courant d'air ? Ou bien le courant d'air n'est-il qu'une conséquence de sa fermeture ? La fenêtre est close. Je prends peur. Cette fois, je suis certain d'être épié pendant mon sommeil. Je me saisis de mon téléphone pour appeler la police.

    Et là, je manque de m’évanouir. L'image de mon fond d'écran a été changée : c’est une photo de moi en train de dormir.
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Il était blasé. Des années qu’il faisait le même métier.
Elle était résignée. Des années qu’elle était enfermée entre ces murs.
Il était fatigué. Une rude journée venait de s’achever.
Elle était en pleine forme. Elle s’apprêtait à recevoir une bonne nouvelle.
Il entendit quelqu’un frapper à la porte de son bureau.
Elle frappait à la porte du bureau où on venait de l’envoyer.
– Entrez !
Elle entra.
– Asseyez-vous.
Elle s’assit.
– Dr Maurice André.
– Alice.
– Vous savez pourquoi vous êtes là ?
– Evidemment qu’elle le sait !
– Oui, je sais.
Le docteur hocha la tête. Il tapait frénétiquement sur les touches de son clavier alors qu’elle n’avait encore qu’à peine parlé.
Il avait les traits durcis par les années.
Elle avait un visage juvénile.
Il avait une vie monotone.
Elle ne savait jamais de quoi demain serait fait.
– Vous allez signer mon papier ?, demanda-t-elle.
– Ça dépend de vous, mademoiselle.
– Je te l’avais dit !
Le docteur releva les yeux vers elle.
– Pourriez-vous aller fermer la porte ?, demanda-t-il en remarquant qu’elle l’avait laissée ouverte.
– Bien sûr, répondit-elle.
Elle se rassit tout de suite après.
Il la regardait. Il avait le regard fixe.
Elle le regardait. Elle baissait parfois les yeux.
– Vous comprenez bien que je ne peux pas signer ce papier sans vous poser de question, lui expliqua-t-il.
– Je comprends, soupira-t-elle.
– Puisqu’elle te dit qu’elle comprend !
Il était psychiatre depuis des années. Il ne prenait jamais à la légère les missions du genre de celle qu’on venait de lui confier. Alice était une patiente parmi tant d’autres. On avait demandé au Dr Maurice André de la psychanalyser. Il devait s’assurer qu’elle ne constituait plus une menace pour elle-même ou son entourage.
En fait, non, Alice n’était pas une patiente parmi tant d’autres. Il était rare de voir une fille aussi jeune dans la peau d’une tueuse en série.
– Pourquoi avez-vous assassiné les jumeaux Lambert ?, demanda le psychiatre.
– Il me disait qu’ils se ressemblaient trop et qu’ils étaient trop ronds.
– Qui est celui qui vous a dit ça ?
– Je ne sais pas son nom, mais il m’a obligée, répondit-elle péniblement.
– Oh, tout de suite les grands mots !
Le psychiatre notait.
– C’est lui aussi qui vous a obligée à tuer l’homme qui fumait la pipe ?, questionna-t-il.
– Oui. Il disait qu’il aimait beaucoup trop l’orthographe et la langue française.
Le psychiatre notait toujours.
– Et la femme aux cheveux noirs vêtue de rouge ?
– Il la trouvait beaucoup trop autoritaire.
– Et l’homme en retard ?
– Il trouvait sa montre horrible.
– L’homme au chapeau ?
– Un ami à lui qui avait oublié son anniversaire.
Le psychiatre trouvait que les mobiles évoqués par la jeune fille étaient parfaitement inadmissibles. Il le lui fit remarquer.
– Je sais. Et je m’en sens coupable chaque jour. Il a tenté de m’utiliser encore, mais je ne veux plus faire ça, peu importe à quel point il me menace.
Et la discussion allait bon train dans ce registre. Elle s’apitoyait sur le sort des victimes et blâmait son ami dont le nom restait inconnu de tous.
– Maintenant, quand il essaie de me manipuler, il trouve porte close, avoua-t-elle.
– Même ici, il vous menace ?
– Oui.
– Tu mens.
Le psy nota encore. Elle lui paraissait saine d’esprit, point comme autrefois, le jour où on l’avait amenée ici. Elle décriait avoir un travail à terminer. Plus il passait de temps avec elle, plus il réalisait à quel point elle était fragile et malléable. Elle souffrait d’un mal qui était celui d’avoir été une enfant abandonnée. Petite, elle parlait avec un ami imaginaire. Celui qu’elle accusait d’être l’instigateur des crimes paraissait, quant à lui, bien réel.
Il l’écoutait.
Elle parlait.
Il la trouvait saine d’esprit.
Elle se sentait parfois tourmentée.
– A l’heure d’aujourd’hui, comment vous sentez-vous ?, demanda le psychiatre.
– Je me sens bien. J’arrive à ignorer les mots incessants de ce manipulateur. Avant, il suffisait qu’il me sourie, avec sa tenue rose et violette, pour m’hypnotiser.
– Tu me dénigres ? Tu ne perds rien pour attendre.
– Il vous contacte par quel moyen ?
– Il est inventif. Il sait toujours comment venir à moi sans jamais être vu.
– Beau compliment.
Il avait du mal à la cerner.
Elle savait exactement ce quoi dire.
Il attrape le stylo.
Elle jubile.
Il pose le stylo sur le papier.
Elle jouit.
Il signe.
Elle exulte.
Il lui tendit le papier.
Elle le pris.
Alice se leva de sa chaise, son papier si précieux entre ses doigts. En sortant, elle laissa encore la porte ouverte.
– Tu fermeras la porte, lança-t-elle en empruntant les escaliers.
Intrigué, le psychiatre se leva et la suivit du regard. Elle souriait d’un sourire qu’il lui semblait avoir déjà vu. Soudain, son cœur s’arrêta. A travers la baie vitrée de son bureau, il vit Alice tenir la porte en verre, en bas. Personne ne sortit, mais elle parlait. Il se souvint où il avait vu ce sourire, ces yeux-là. Il comprenait tout.
Alice avait tué Tweedle Dee et Tweedle Dum, Absolem, La Reine de cœur, le lapin blanc et le Chapelier fou. Son ami vêtu de rose et de violet au sourire maléfique était le Chat de Cheshire. Il ne l’avait jamais quittée depuis le jour où il avait commencé à hanter l’enfance d’une enfant abandonnée dans un monde qu’elle égayait avec l’imaginaire. Le Chat de Cheshire n’avait jamais quitté Alice aux pays des merveilles.
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C'est seulement le jour où j'ai choisi d'être moi-même. Le jour où j'ai assumé d'être différente, où j'ai compris qu'on ne pouvait pas tous vivre la même vie. Je n'aimais pas les mêmes choses que les autres. En fait, j'ai compris que je n'étais pas née pour être fragile.
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Cher journal,
Je n’ai jamais compris pourquoi je devais toujours commencer par ces deux mots.

Ce matin, comme tous les matins j’ai acheté mon pain, acheté mon journal et bu mon café au bistrot du petit village dans lequel j’ai vécu toute ma vie. J’ai observé les alentours avec un regard perspicace. Le boulanger, M. Michel, me fait de l’œil, j’en suis sûre. Malgré ma retraite et mes années de jeunesse évaporées, je reste apparemment une belle femme.

J’ai été chez le coiffeur, j’ai fait mes courses chez tous les petits commerçants du village.
Ce soir, je suis seule chez moi. J’ai reçu beaucoup de courrier. Avec un certain sourire que je ne cherche pas à cacher, je retire les liasses de billets que j’ai récupérées dans la boîte postale, louée à l’extérieur de la ville. Je hume le parfum délicat de l’argent, de la richesse. Je ne saurais décrire quel sentiment de pure douceur m’envahit dès que ma peau se trouve en contact avec les billets.
J’aimerais m’offrir un voyage à l’autre bout du monde. J’en ai déjà les moyens, mais je ne sais pas s’il serait aussi jouissif que mon activité ici. Dans ma petite ville, tout le monde parle, tout le monde discute en oubliant trop vite les oreilles égarées. Je suis vieille, mais pas sourde. Je sais que Mme Lenoir trompe son mari. Je sais que la fille Jacquet vend son corps. Je sais que M. Franco fraude le fisc. Je sais que les garçons Martin vendent de la drogue. Je ne fais rien de mal, je les informe de ce que j'entends et je protège leur secret. Ils paient mon silence et apprennent de leurs erreurs.
Je classe les billets en liasses par tranche monétaires. Mon argent fait mon bonheur.

Il y a un paquet que je n’ai pas ouvert. Il est recouvert d’un papier rose pâle, parfumé à la fraise et soigneusement fermé d’un nœud fuchsia. Munie de mes ciseaux, je découpe le nœud et je déchire le papier. Je tire sur les pans de la boîte en carton. A l’intérieur, juste une photo de moi au dos de laquelle sont écrits quelques mots : « Sale maître chanteur, Mme Babel, vous allez mourir. Je suis déjà chez vous, je suis derrière vous ». Je reconnais l’écriture qui m’adresse cette menace. Je l’ai déjà vue sur les enveloppes qui m’ont été adressées avec l’argent qu’on me devait. Mon assassin est *une tache de sang tombe sur le nom*.
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J'ai peur, sauve moi...
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Il est vingt-trois heures trente. Depuis le début de la journée, je suis prise au piège par l'étau de mes révisions. Mes examens commencent demain et j'ai l'impression d'avoir seulement brassé de l'air. Je déteste réviser. J'ai horreur de travailler, tout court. Je préfère laisser mon esprit divaguer dans le monde de l'imaginaire. Il n'y a que là qu'il se trouve à sa place.
Ce soir-là, je sais qu'il ne me reste que quelques miettes du temps qui m'était imparti. Je crois que ce café est mon dernier espoir d'apprendre quelques lignes afin de limiter la casse. Je vais passer mes dernières heures d'insomnie à plancher sur un travail pratiquement inutile.
Je sors de chez moi, mon ordinateur sous le bras. Je suis un peu nerveuse. Je déteste marcher seule, la nuit. On me siffle deux fois, mais je n'y prête aucune attention. Je suis une jeune fille, c'est tout ce qui intéresse mes harceleurs.
Un peu perdue au milieu de toutes ces personnes qui me regardent passer comme si j'étais une extraterrestre, je m'installe à la dernière table libre. Elle est prévue pour deux personnes, mais je suis venue seule avec mon ordinateur.
Mes doigts posés sur le clavier, face à ma page blanche et au chocolat chaud que je viens de commander, je ne peux m'empêcher de laisser mon regard voleter à travers la pièce. J'observe les gens. J'ai toujours aimé regarder, inventer une vie à toutes ces personnes que je ne connais pas. J'ai l'air d'une petite fille paumée et je crois que le type à la table d'en face l'a remarqué. Il me fait des signes, des signes sales. J'ai l'impression qu'il me demande de le rejoindre. Il me désigne les toilettes, mais je préfère baisser le regard plutôt que de lui répondre. Je croise du regard son alliance dorée et j'essaie de deviner pourquoi il trompe sa femme. Je remarque qu'il n'a pas de montre. Il ne surveille pas l'heure, donc, elle ne l'attend pas. Pourquoi ? Deux minutes plus tard, une autre fille s'assied en face de lui. Elle lui sourit. Elle est éméchée et prête à le suivre. Mais il se ravise au dernier moment. Encore une fois, pourquoi ? Il jette un regard désolé à son alliance, comme s'il s'excusait auprès de cette femme qu'il a aimée. Je crois qu'elle est morte. Je crois qu'en me faisant des signes, il n'avait jamais eu l'intention que je le rejoigne. Sa manière de draguer les filles n'est rien d'autre qu'un acte manqué pour repousser ses éventuelles prétendantes, parce qu'il n'est pas encore prêt à passer à autre chose. Sa femme n'était peut-être pas morte, dans son esprit. Je le trouve touchant.
Mes yeux s'égarent vers une autre table. Je me demande ce qui se passerait si cette femme en tailleur noir s'asseyait en face de l'homme qui vient de perdre sa femme. Elle a la quarantaine, des cheveux bruns, coupés court, et un paquet de cigarette à moitié vide dépasse de son sac. Elle n'a l'air d'attendre personne. En l'observant de plus près, je remarque qu'elle a mal reboutonné sa chemise blanche. Je présume qu'elle vient de passer une partie de la soirée en compagnie d'un homme pour qui elle n'a probablement aucune considération. Un homme qu'il l'a déshabillée, à qui elle a offert ses atouts l'espace d'une demi-heure, avant de se jeter au bar et d'avaler son scotch en quatre secondes. Si elle prenait ce verre avec l'homme qui vient de perdre sa femme, peut-être qu'elle arrêterait de croire que tous les hommes sont des pervers. Je suis persuadée que l'histoire de ce type la toucherait et qu'elle se laisserait aller avec lui.
Mon regard s'arrête ensuite à une troisième table. Cette table est occupée par quatre filles qui semblent plus jeunes que moi. Elles sont encore au lycée. Elles sont habillées court, beaucoup trop court. J'ose espérer, à la place de leurs parents, qu'il ne leur arrivera rien. Et je suis persuadée que leurs parents croient qu'elles dorment profondément. Je parie n'importe quoi qu'elles ont fait le mur. Elles aiment braver l'interdit ; je me demande pourquoi. Pourquoi sont-elles si rebelles, alors que je suis si sage ? Elles vivront probablement plus de sensations fortes en une soirée que je n'en ai vécu dans toute ma vie.
Et mon regard bascule sur une dernière table. Une table que j'aperçois à travers la fenêtre. Le reflet de la fenêtre, plus précisément. C'est ma table. J'y vois une jeune femme qui ressemble à une petite adolescente. Ses doigts sont posés sur le clavier et elle n'a rien fait d'autre que tourner la tête depuis son arrivée. Un chocolat froid l'attend juste à côté de son ordinateur. Cette fille semble être une page blanche, vierge de tous les mots. Elle n'a rien fait d'autre que ce que l'on attendait d'elle, depuis toujours. Si cette fille n'avait pas été moi, mais un personnage inventé, alors c'est une longue et périlleuse aventure qu'elle vivrait.
D'un coup, j'ai une illumination. J'ai envie de rassembler tous ces gens qui ne se connaissent pas, qui sont si différents les uns des autres et qui feraient d'excellents personnages. Je peux créer avec eux une histoire imaginée de toute pièce. Et moi aussi, je veux être la fille dont on imagine la vie, depuis une autre table du même café.
Ce soir-là, à la terrasse du café, je ne réviserai pas. Je laisserai mes doigts courir sur le clavier, plus passionnée que jamais. J’écrirai l'histoire de Peter, un homme dévasté par la mort de son épouse, celle de Wendy, la femme d'affaire esseulée qui noie son désespoir dans l'alcool, celles de Sarah, Laura, Jenny et Amel, les filles qui croient contrôler leur jeune vie alors qu'elles dérapent complètement. Un drame les forcerait à se rapprocher, à la terrasse d'un café. Tous ces gens seraient réunis par la fille paumée, qui a décidé d'écrire leur histoire.
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Il se fait tard. Vraiment tard. Il doit être deux heures du matin. Je n’ai pas de montre. Nous travaillons toujours la nuit. Nous détestons et aimons à la fois être vus. Personne ne doit jamais savoir qui nous sommes. Nos corps, nos visages, doivent demeurer anonymes, mais pas notre message. Lui, doit se faire toujours plus prenant, toujours plus agressif. Notre dernière victime ? Le métro. Demain, quand je pense à tous les usagers dont le regard croisera le flanc des wagons, j’en ai la chair de poule. Je serai là, comme tous les matins, pour contempler leurs réactions. Vont-ils saisir ce que nous avons à montrer ? Ou alors vont-ils nous en vouloir d’avoir altéré la beauté robotique du métro parisien ?
Un son étrange me tire de mes pensées. J’ai quitté les autres filles de la bande depuis plus de dix minutes ; pourquoi est-ce que j’entends du bruit ? Je suis seule, dans la rue. Dans une petite ruelle que j’emprunte toujours pour éviter les grandes avenues et les chauffards. Je la connais par cœur. Je connais chacun des tags, des mots d’insultes. Je sais même qui a dessiné les plus grands travaux.
En un sursaut, je me retourne. Il n’y a rien, derrière moi. Rien du tout. Juste deux poubelles derrière lesquelles un chat apeuré aurait pu se planquer et quelques énormes cartons. Je suis soulagée.
Je continue mon chemin. J’ose espérer que mes parents dorment. Ils ne doivent jamais savoir à quoi leur fille chérie, leur fille adorée si parfaite occupe ses nuits.
Alors que je suis éprise d’une pensée pour eux, un second bruit me dérange. Plus clair, plus net que le premier. Un peu comme un métal qui frapperait le sol.
Un second sursaut me pousse à me retourner. Je reste pétrifiée lorsque j’aperçois le couvercle de la poubelle sur la route. La poubelle entière est renversée. Le chat n’aurait pas pu le faire. J’ai un nœud à l’estomac. J’accélère le pas. Mes jambes tremblent. J’ai l’impression de ne pas aller plus vite. Je n’ose plus me retourner. J’entends distinctement les pas. Il n’y a pas de chat, j’en suis certaine.
Je cours presque, mais j’ai l’impression d’être immobile. J’ai l’impression que la rue que je connais si bien est en train de me trahir, qu’elle me laisse avaler par cette ordure qui me poursuit.
Les pas se font de plus en plus pressants. Va-t-on me sauter à la gorge, armé d’un couteau ? Je devrais abandonner mon sac de toile, qui contient ce que j’ai de plus précieux, coincé milieu des bouteilles d’alcool que nous avons englouties, pour l’inspiration. Ce serait comme un aveu de ma culpabilité. Tout le monde saurait que je suis une criminelle de la nuit, une criminelle d’un tout nouveau genre.
Soudain, on se jette sur moi. On me plaque au sol. J’ai l’impression de mourir. Je prie le ciel pour rester en vie. Je ne veux pas qu’on me fasse du mal. Je ne le mérite pas, malgré tout. Ma tête heurte le sol. J’ai mal.
Quelqu’un plaque une main sur ma bouche pour m’empêcher de crier. C’est inutile. Même si je crie, personne ne m’entendra, sauf les chauves-souris et ce chat qui n’existe pas.
– Salut, me lance sa voix de gros pervers.
Je reste muette. Mes yeux le toisent sans même parvenir à reconnaître son visage. Je suis à deux doigts de m’évanouir lorsque je m’aperçois que c’est un flic, tout vêtu de bleu. Un flic ? Un flic qui m’agresse, moi, pauvre petite étudiante ? Pourquoi ne pas m’arrêter, tout simplement ? Je sais qu’il me connait, parce que je le connais aussi.
– Ecoute, je sais qui tu es et ce que tu fais, je te laisse tranquille si tu fais ce que je demande, me susurre-t-il suavement à l’oreille.
Il me donne envie de vomir. Je hoche timidement la tête, les yeux rivés vers son arme dont je parie qu’il est prêt à se servir contre moi.
Un troisième sursaut. Je retiens un cri. Je regarde autour de moi : je suis dans ma propre chambre ? Qu’est-ce que je fais ici ? Ai-je rêvé tout ça ? J’appelle une fille de ma bande.
– Tu te souviens comment ça a commencé ?, demande-t-elle.
– Non.
– Alors, c’est un rêve. On ne se souvient jamais comment un rêve a commencé.
Elle raccroche. Je suis soulagée. Tant pis pour le métro, qui aura conservé sa beauté insipide. Je préfère n’avoir jamais fait ce qu’il me demandait.
Quelques heures plus tard, alors que je suis en route pour le lycée. Je descends jusqu’au métro et là, un quatrième sursaut me prend. Le flic est là, il me regarde. Il sourit. Il m’attend. Je comprends que je n’ai pas rêvé. J’ai cédé à sa demande. Pourquoi étais-je stupide, sous l’emprise de l’alcool, hier soir. Pourquoi ai-je oublié comment tout ça avait commencé ? C’est juste l’alcool, ce stupide alcool qui m’a empêchée de m’enfuir avant que le flic ne m’attrape.
Le métro arrive. Le cauchemar est réel. Mon visage est peint à la bombe, par ma propre bombe, par-dessus mes dessins. Je ne suis plus anonyme. Tout le monde sait que je suis. J’ai tout perdu. Perdu ce en quoi je crois. Je m’appelle Tara, j’ai dix-huit ans, et je suis tagueuse nouvellement à la retraite.
 
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    – C’est ça, ta nouvelle copine ? me demande-t-elle, les bras croisés alors que je viens juste de refermer la porte.
    Mon sourire, né d’une soirée agréable, s’efface.
    – Oui.
    – Elle ne me plaît pas.
    – Pourquoi ?
    J’essaie de garder mon calme, mais elle sait comment mettre mes nerfs à rude épreuve.
    – Elle est vulgaire. Elle est moche. Elle est bête. Je ne vois même pas ce que tu lui trouves.
    Je tente de ne pas prendre à cœur ses reproches. C’est toujours les mêmes. Elle n’est jamais satisfaite des gens qui entrent dans ma vie. Elle tente de me persuader que je vaux mieux. Selon elle, personne ne m’arrive à la cheville. Quand elle dit « personne », elle signifie « tout le monde sauf moi ».
    Comme un vieux disque rouillé, je lui rabâche mes réponses réflexes. Je lui explique qu’elle n’a pas à se mêler de ma vie, que je suis majeur et je lui balance tout un tas de phrases bateau qui ne veulent plus rien dire.
    Cette fois, je vais encore plus loin, parce Marie-Lise et moi vivons une histoire plus que sérieuse et que je ne veux pas la perdre :
    – Si je t’écoutais, on vivrait juste tous les deux, cloîtrés dans cet appartement, sans jamais voir personne d’autre !
    Ce qui devait être une réplique cinglante s’avère être une fatale erreur. Son visage se fissure. Elle utilise son arme ultime : ses larmes. Elle sanglote pendant quelques secondes durant lesquelles j’appréhende le pire, puis la crise vient. Elle crie. Elle crie plus fort qu’elle ne l’a jamais fait.
    – Tu ne m’aimes pas ! Tu ne m’as jamais aimée ! hurle-t-elle. Je suis un boulet, hein ? Tu aimerais que je ne sois plus là, c’est ça ?! Toi, tu attends de pouvoir te barrer avec la première venue, pour t’installer dans un appartement ou une maison très loin. Tu comptes me laisser crever, toute seule ici, c’est ça ?
    Je ne tente même pas de lui expliquer que Marie-Lise n’est pas la première venue.
    J’ai beaucoup de mal à résister à son chantage. Ses larmes me brisent le cœur. Je sais qu’elle se sent perdue et inutile, sans moi. Elle extériorise sa souffrance et j’ai l’impression d’être impuissant face à sa douleur, car son apaisement implique que c’est à mon tour d’avoir mal. Comment décider ce qui est juste ? Lequel de nous deux doit se sacrifier ?
  Elle continue à crier toutes sortes d’inepties auxquelles elle croit.
     – Pourquoi je ne te suffis pas ? Pourquoi ne pourrait-on pas vivre juste tous les deux, pour le meilleur et pour le pire ? Pas d’autre homme dans ma vie, pas d'autre femme dans la tienne. Pourquoi ?
    Elle attrape mes deux mains. Le malaise est à son paroxysme. Je crève de lui dire que ce n’est pas la vie que je désire, mais je ne ferai qu’exacerber son mal-être.
    Elle me repose la question. Sans réponse de ma part, ses traits durcissent, son regard me brûle à vif.
    – Pourquoi tu ne me réponds pas ? Hein, pourquoi ? En fait, tu veux te débarrasser de moi. Tu sais quoi ? Tu n’as qu’à t’en aller. Je ne te regretterai pas. Tu peux remballer tes affaires. A partir de maintenant, je vais agir comme si tu n’existais pas.
    De rage, elle s’enfonce dans ma chambre, après avoir frappé un vieux vase qui s’écrase au sol en un fracas supposé semblable au coup que je viens d’infliger à son cœur. Je vois mes affaires voler à travers la porte de ma chambre. Mes vêtements se retrouvent à mes pieds, en boule, parfois déchirés. Elle sait lesquels j’aime le plus ; c’est ceux qu’elle a abîmés. Et moi je la regarde faire, passif, parce que je la connais bien et que rien ne peut l’arrêter. En moi, en mon cœur et en ma tête, c’est le chaos.
Elle ne sort pas de ma chambre. Elle a trouvé une vieille peluche qui m’appartenait durant mon enfance et sa vision l’a émue. Elle pleure en serrant l’ourson auquel il manque une patte.
    – Si tu pars, je meurs… murmure-t-elle au creux de l’oreille de l’ourson, tout comme si elle s’adressait à moi.
    Perdu, je me laisse tomber sur le canapé. J’ai envie d’exploser à mon tour. Je ne sais pas quel choix est le meilleur. Marie-Lise, ou elle ? Tiraillé entre les deux femmes que j'aime plus que tout, je me demande à quoi rime ma vie si je dois sans cesse ne prendre que la moitié de ce qui m'est offert. J'ai choisi.
    D’une main tremblante, j’attrape le combiné du téléphone fixe et je compose le numéro de Marie-Lise.
    J’entends le déclic du téléphone qui se trouve dans ma chambre. Elle s’apprête à espionner ma conversation. Je fais comme si je n’en savais rien. Elle devine déjà quels mots je m’apprête à prononcer. J’ai plaqué Marie-Lise. Mon cœur est déchiré en un million de petits morceaux, dont Marie-Lise a emporté la moitié.
    Une heure plus tard, elle sort de ma chambre, métamorphosée. Le sourire aux lèvres, elle vient vers moi comme si de rien n’était. Elle pose sa chaleureuse main sur mon épaule.
    – Que dirais-tu d’une soirée pizza, ce soir, juste entre toi et moi ? propose-t-elle.
    Je sais qu’elle ne me reparlera jamais de cet épisode, comme elle n’a jamais évoqué aucun autre. Elle vivra comme si rien ne s’était jamais passé, jusqu’à ce que je manque de lui échapper à nouveau. A nouveau, elle pratiquera sur moi son art : celui de me garder auprès d’elle coûte que coûte. Peu importe le prix à payer pour moi, elle pense qu’elle souffre plus que moi. Je suis enfermé avec elle à jamais. Elle souffle le chaud et le froid, elle est imprévisible, et je subis. Je subis ses foudres, son manque de confiance en elle, sa peur de la solitude. Ce sont ces démons, ceux qui l'habitent, qui constituent son âme meurtrie et qui brûlent la mienne à petit feu. Et pourtant, elle est ma mère, qui m’aime, et que j’aime.
    J'ai choisi de me sacrifier car je ne veux pas la perdre, que j'ai peur de l'enfer et des monstres qu'il renferme. 

Mon enfer, c’est elle.
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Défi
Queen_Butterfly

   Mon cœur bat la chamade. La pièce est plongée dans l’obscurité. Les quelques rayons qui s’échappent d’en dessous de la porte me permettent de distinguer mes congénères. Elles et ils sont là, autour de moi, tous blancs, tous identiques. Alors je suppose que je suis pareille qu’eux.
    Nous sommes en hauteur, perchés sur une étagère, il me semble.

  Tout le monde s’agite. Je n’ai pas l’habitude d’être ici, c’est mon premier jour. J’aimerais tant passer sous la porte, pour rejoindre le rai de lumière qui passe par-dessous.
    Je crois que je n’ai que quelques pas à faire. Je n’aperçois aucun obstacle qui m’en empêche. En fait, il faudrait que je saute assez fort pour atteindre la petite table dans le coin de la pièce. Elle me servirait d'étape avant de rejoindre le sol. Je n’ai pas envie de m’écraser par terre ; je sais qu'une chute me serait fatale. J’aime la vie, même si elle n’a pas commencé depuis longtemps.
    Je me positionne loin du rebord, je prends de l’élan, commence à courir et… heurte violemment une paroi que je ne vois pas. Intriguée, je recommence l’exercice. Pourquoi donc ne puis-je pas atteindre la table ?
  Un deuxième choc s’opère entre mon crâne et cette force invisible. Puis un troisième. Et je perds connaissance.
  Quand je m’éveille, la lumière est revenue. J’ai toujours mal à la tête, mais aujourd’hui, je comprends pourquoi : il y a du verre partout autour de moi. Je suis enfermée dans une cage en verre ! Pourquoi m’avoir privée de liberté ? Je claque mes incisives pour montrer mon mécontentement, et je gratte les parois de ma prison.
    Un humain habillé en blanc s’est assis à la table. Dans sa main, il tient une de mes copines, qu’il a posée dans un petit bac à l’intérieur duquel se trouve un gros bouton. Quand ma copine appuie sur le bouton, de la nourriture sort d’un gros tube et un bip prononcé se fait entendre. Ma copine mange la boulette de nourriture et rappuie sur le bouton. De la nourriture, accompagnée du petit son, vient. Une autre copine observe la scène depuis une autre cage. La première copine réitère l’opération plusieurs fois, et, à chaque fois, de la nourriture apparaît.
    L’humain enlève alors ma première copine et échange sa place avec ma deuxième copine. Ma deuxième copine a faim. Elle se précipite sur le bouton. Comme prévu, le son et la nourriture arrivent. Alors elle rappuie, mais la deuxième fois, on n’entend que le son. Une fois elle obtient de la nourriture, la fois d'après elle n’en a plus. Il n’y a aucune logique, mais elle appuie toujours avec le même enthousiasme.
    L’humain note les réactions de mes deux copines dans un petit calepin. Puis, il les remet dans leur cage.
    Sa grosse tête barbue s’approche des petites prisons de verre dans lesquelles mes copains, mes copines et moi sommes enfermés. Il nous observe, tous, tandis que je me mêle à la foule de mes congénères identiques. Egoïstement, je ne veux pas qu’il me choisisse.
   Malheureusement, le barbu ouvre la boîte dans laquelle je me trouve. Sa grande main me saisit, directement, comme s’il savait depuis le début que c’était moi qu’il voulait.
    J’essaie de mordre sa main, mais il me tient par le cou, alors tout ce que je peux faire, c’est lui donner des coups de patte qu’il ne sent même pas.
    L’humain me dépose dans un endroit sombre. De grands murs se dressent partout autour de moi. Je ne peux pas les escalader. Il appuie sur le bouton d’un engin auquel il parle.
   Le barbu allume la lumière de ma prison aux nombreux murs. Je comprends vite que je dois sortir d’ici. Je parviens à quitter ce que l’humain appelle un "labyrinthe" après un moment terriblement long. Au bout, je trouve une toute petite boulette de nourriture. Tout ça pour cette si maigre récompense ? Ma copine qui se contentait de presser un bouton était plus gâtée que moi !
   L’humain barbu n’en a pas fini avec moi. Il me sort de son fichu labyrinthe et me dépose dans une petite boîte remplie de copines et de copains séparés de moi par des vitres. Ceux-là ne sont pas tous blancs. Ils ont de petites taches noires parsemées sur le corps. Quand je vais vers eux, ils se rapprochent tous en même temps de moi. Ils bougent comme moi. D’ailleurs, je suis intriguée. Je me rapproche de l’une des copines, et je lui donne de petits coups de patte. Sa patte parvient toujours à taper la mienne, même lorsque j’essaie d’être rapide. Aucune copine avant elle n’avait été aussi rapide. Quand je penche la tête, elle penche la tête. Elle fait tout comme moi au point que c’est impossible qu’elle soit une vraie copine.
    La main de l’humain se rapproche de moi, énorme. Elle tient une petite gommette rose. J’essaie de m’enfuir, mais la main m’appuie sur la tête. Puis elle s’éloigne, et la gommette a disparu. Où est-elle ? Quand je regarde la copine en face de moi, je m’aperçois qu’elle l’a sur la tête ! Et puis mon regard tombe sur les autres… Toutes ont la gommette. Alors moi aussi ? Mais… Et si toutes ces copines n’étaient qu’une autre image de moi ? Pour le vérifier, je touche ma tête avec mes pattes et arrache la gommette. Quand je relève les yeux, les copines ne l’ont plus. Toutes ces copines... C'est moi ?
    Alors je ne suis pas identique aux copines et copains de ma cage ? Je ne suis pas toute blanche ? C’est donc pour ça que l’humain barbu m’a reconnue parmi les autres ?
   Alors que je m’amuse avec mon reflet, que je découvre pour la première fois, l’humain parle encore à son objet étrange, qu'il appelle un "dictaphone". Je ne l’écoute pas. Je remue mon corps, m’amuse à observer les parties que je ne peux pas voir avec mes yeux, comme le haut de ma queue rose.

    Puis sa main m’ôte à toutes mes jumelles. L’humain me repose dans la cage avec les autres copains et copines. Je m’empresse de leur faire partager l’expérience de ma première journée de souris de laboratoire.
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Un petit objet qui comprend beaucoup de l'humanité...
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Parfois, on ne peut pas imaginer qui sera le vainqueur d'une partie de poker...
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