Défi ultime

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L’attaque surprise avait projeté Rhan contre la paroi, mais il se releva aussitôt, à peine sonné. Alors qu’une rage froide prenait possession de ses sens, il laissa ses yeux flamboyants courir sur la silhouette sombre qui lui occultait le soleil. Un grand mâle, visiblement prêt à asséner le coup suivant. Dans les ténèbres moites de la grotte, sa crinière déployée et hérissée, l’intrus avait l’air immense, comme s’il venait d’avaler la nuit même. Mais ce visage pâle et pointu, qui se découpait sur le néant comme un masque, ne lui était pas inconnu.

— Le petit mâle à la robe noire, se rappela Rhan avec un sourire mauvais. Naryl, c’est ça ? Tu as bien grandi !

Ce fut la voix d’un mâle fait, rauque et basse, qui lui répondit.

— Laisse mes femelles partir. Tout de suite.

Ses « femelles »… ce petit fanfaron ne manquait pas d’audace.

— Sinon quoi ?

— Sinon, je te tue.

Rhan éclata d’un rire tonitruant, qui s’envola et se répercuta sur les parois de la grotte comme un écho de mauvais augure. De toutes les anfractuosités, les chasseurs Sans-Clan sortirent de leur demi-sommeil et ouvrirent leurs yeux de phosphore. Cent lucioles luisantes, crevant les ténèbres, convergèrent vers lui.

Les pupilles de Naryl glissèrent derrière ses paupières, tentant d’apercevoir sans bouger les guerriers qui se rapprochaient. Rhan se permit un lent sourire. Ce jeune blanc-bec était cerné. Tout autour de lui s’était formé un cercle de griffes et de meurtre, qui attendait, avide et tendu, la moindre erreur, le moindre trébuchement pour se précipiter à la curée.

— Tu reconnais mes chasseurs, Naryl, susurra Rhan d’un ton suave. Eux, en tout cas, se souviennent bien de toi.

Quelques ricanements cruels s’élevèrent du mur de crocs et poils. Rhan les fit taire d’un battement de paupière. Pas maintenant. Ils auraient tout leur temps après, lorsqu’il leur jetterait les restes.

Mais le parfum musqué de Naryl n’exsudait pas la peur. Lentement, il tendit son bras gauche, dont l’extrémité était jusque-là cachée par son extraordinaire panache. Rhan était en train de penser à la façon dont cette fourrure d’un noir bleuté allait agrémenter son shynawil lorsqu’apparurent les têtes grimaçantes de sa garde extérieure, que son ennemi brandissait par les cheveux.

— Je les tuerai aussi, comme j’ai tué ceux qui trainaient sur mon territoire, annonça Naryl en jetant au sol les trophées encore sanglants. Dis-leur de rester en dehors de ça, s’ils tiennent à la vie !

Un défi. C’était donc ça… En silence, Rhan avisa la grande taille de son adversaire, le fil aiguisé de ses griffes et de ses crocs. Quelque chose, chez ce mâle, n’était pas habituel. Son instinct affuté, qui lui avait permis de survivre lorsqu’il avait été chassé de la grotte ou vivait sa mère, tout jeune, puis de résister une fois capturé à de multiples viols, lui criait de se méfier. Oui, ce jeune ellon n’était pas comme les autres, il le savait depuis le début. Mais il n’était pas question de refuser ce défi. S’il reculait alors que tous ses chasseurs attendaient, leurs yeux brûlants fixés sur lui, il perdrait son statut de meneur.

— Le défi ultime, c’est donc ce que tu veux ? Très bien. À mon tour de te mettre en garde : tu as beau être jeune, je ne te ferai pas de cadeau. Soit tu te soumets maintenant – je t’accepterai parmi les miens et tu auras peut-être le droit de saillir une de mes femelles, un jour, si tu te comportes bien – soit tu meurs.

Naryl plissa le nez de dégoût.

— C’est comme ça que tu tiens tes guerriers ? En leur donnant tes restes, en leur livrant des femelles battues et terrorisées ?

— Eh quoi ? Il faut bien qu’ils calment les feux de leurs fièvres de temps en temps. Ne me dis pas que tu ne connais pas la chaleur d’un con de femelle : je sens bien à ton odeur que tu n’es plus un jeune puceau. Et je vois bien pourquoi tu es venu : c’est pour cette vierge au poil argenté, que tu voulais te garder pour toi seul.

— L’elleth qui m’a initié l’a fait librement, siffla Naryl en réponse. Quant à celle dont tu parles si peu respectueusement, elle s’appelle Yuja, et c’est mon amie. Comme toutes ces ellith que tu as violentées et tuées !

Rhan fronça les sourcils. Qu’est-ce que ce jeune imbécile racontait ? Des « amies » et des « compagnes », ces femelles impudiques qui tortillaient la croupe à chaque nouvelle lune, et se léchaient les babines lorsque les mâles se battaient pour elles ? Encore hënnel, il avait vu sa mère rugir de plaisir lorsqu’un nouvel ard-æl l’avait prise, le corps encore chaud du sang de son père. Cette même mère l’avait jeté dehors, le livrant aux sombres appétits des orcneas, alors qu’il n’était même pas pubère. C’était donc cela, ce que cet idiot présomptueux lui demandait de respecter ?

— C’est la voie des ellonil, la voie du Peuple. Tu ne peux rien changer à cela, Naryl. Même si tu parviens à me tuer – ce dont je doute – un mâle plus fort viendra un jour te défier. Mais je vais t’épargner ce triste destin, en te tuant ici même.

— J’ai moi aussi l’intention de te tuer, si c’est ça qui t’inquiète ! répliqua-t-il avec force.

Rhan ne lui laissa pas le temps de terminer son défi. Il se jeta sur lui sans prévenir, mettant dans sa charge tout ce qui lui restait de force.

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