L'attente de l'aube

3 minutes de lecture

Après la nécessaire retraite de la journée – les Sans-Clan avaient attaqué à la mi-nuit à dessein – Naryl et Eshm se mirent à la poursuite des agresseurs, Daehel en arrière-garde. Ils n’eurent aucun mal à suivre leur trace. Les mâles enfiévrés n’avaient même pas tenté de dissimuler leurs empreintes, et s’étaient rendus directement à la grotte qu’ils occupaient déjà à l’époque où le jeune ellon y avait été prisonnier. Pour Rhan et la horde sauvage qu’il dirigeait, il n’y avait pas d’ennemi : seulement des femelles à prendre, et des concurrents à éliminer.

Mais cela allait changer. Naryl était déterminé à lui prouver qu’il avait eu tort de s’attaquer à celles qui l’avaient recueilli.

Arrivé à la lisière de leur bosquet – celui qui délimitait l’apex du territoire de Rhan –, Eshm fit signe à Naryl de stopper sa course. Le Rêveur savait l’endroit truffé de pièges. Retrouver la trace des anciennes chausse-trappes, identifier les nouveaux, les désamorcer et les éviter : tout cela leur avait fait gaspiller un temps précieux. La lune jaune était déjà bien haut. Soudain, elle émergea de derrière les nuages. Le Rêveur leva son profil effilé vers la nuit, les narines ouvertes comme pour en humer les humeurs.

— Attendons le lever du jour, conseilla-t-il à Naryl.

Mais ce dernier piaffait sur place.

— Ce n’est même pas la mi-nuit !

En effet, les trois lunes n’étaient pas encore alignées dans le firmament.

— Mieux vaut les attaquer par surprise, au petit jour, au moment où ils seront le plus vulnérables. Je te rappelle que nous ne sommes que deux, Naryl. Asseyons-nous ici et attendons le matin.

Naryl devait se rendre au bon sens de son ami. Il s’accroupit dans les hautes herbes, les yeux vissés sur le sentier qui menait à la grotte. Une ligne fine, presque imperceptible, courait parmi les graminées, encadrée par une haie d’arbustes aux folioles dentées dont les branches se rejoignaient au-dessus en formant un couloir couvert. Les deux ellonil restèrent là, accroupis sur leurs talons, leurs griffes solidement plantées dans la terre. Ils étaient aussi immobiles que des pierres.

Des effluves de viande grillée flottaient sur la légère brise, l’emportant sur les autres senteurs de la nuit. Parmi elles, Naryl reconnut le parfum cuivré du sang, et celui, plus musqué, de la sueur et du sexe. Les poils de son panache se hérissèrent.

— On a assez attendu, grinça-t-il. Pour chaque souffle que nous gaspillons ici à ne rien faire, mes sœurs répandent leur sang et leur honte !

Mais Eshm ne bougeait pas, aussi hiératique qu’une souche frappée par la foudre.

— Attends les premières lueurs du jour, quand ils seront ivres de sang et de gwidth. Alors, nous pourrons l’emporter. Sans cela, nous n’avons aucune chance. Tout juste pourrons-nous permettre à tes compagnes de s’enfuir, au prix inutile de nos vies, pour mieux permettre aux membres du clan de les rattraper plus tard.

Naryl se rassit en grognant. Ivres de sang et de gwidth… l’horrible nuit de captivité qu’il avait passée aux mains de la horde de Rhan était encore fraiche à sa mémoire. Lors de ces nuits « d’ivresse », les mâles violaient toutes les femelles. Et Yuja, qui était là-dedans, à leur merci...

Naryl se leva d’un bond.

— Je peux pas laisser faire ça. Je peux pas rester là à attendre que Rhan agresse Yuja !

Eshm tendit la main vers lui.

— Naryl !

Mais c’était trop tard. Naryl s’était déjà précipité vers la grotte, tout droit vers le couloir végétal.

— Non, pas par là !

La mise en garde de Eshm parut rester sans effet. Mais lorsque les lianes se déroulèrent sur lui pour l’atteindre de leurs langues acérées, Naryl bondit – plus haut encore que Eshm aurait pu imaginer d’un ædhel. L’espace d’un instant, il parut porté par la nuit elle-même, comme si deux immenses mains étaient sorties du néant pour le soulever hors de portée du piège végétal. Il fallut un petit moment à l’œil pourtant acéré de Eshm pour discerner les contours de ce qui ressemblait à des ailes : Naryl, inspiré par les baobhan sith, avait fait jaillir de son esprit des armes que le Rêveur n’avait jamais vues ni en vrai, ni en rêve.


Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0