II — L'Amour d'un marquis

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 Dans la cour intérieure, il y avait un beau jardin d’agrément aux massifs fleuris, à la source claire où nageaient des poissonnets. Il s'agissait d'un étang où l’on pêchait la carpe et le brochet à l’occasion, doté de cascatelles disséminées. Il y avait plusieurs fabriques, dont une était à l’ouest, qu’on nommait le Salon des fraîcheurs.

 Un treillage vert rêvetait la façade, et l’intérieur était composé de plusieurs voiles de couleurs qui pendaient dans la pièce attachés au plafond, colorant le Salon. Au centre de la pièce, il y avait un petit bassin oval centré sur une étrange pierre brune.

 L’Étudiant à l’Ail-des-bois aimait beaucoup cet endroit. Il se présentait publiquement comme le Marquis d’Oueca, mais reçu ce surnom par le Bâtard pour son parfum à la fois sucré et piquant.

 Jeune homme de trois ans le cadet de son amoureux, il avait dix-huit ans. Son visage était oval, son front franc et ses yeux miels. Son physique imberbe et très fin lui faisait honte, si bien qu’on le confondait souvent avec une femme, ce qui n’est, comme chacun sait, guère flatteur dans une société virile. Ainsi, il récitait une élégie composée dans sa méditation mélancolique, enviant les hommes autour de lui, qui étaient masculins. Sans prévenir, la porte face à lui vint à s’ouvrir, et l’appel d’air fit voler les tissus. Comme dans un rêve, ses yeux percèrent les étoffes jusqu’à voir la grande et large masse au visage touffu, dans son kimono aux biches amoureuses.

 — Vous voilà, Votre Altesse !

 Il se leva, empli de toute la délicatesse fragile dont il était capable pour aller à sa rencontre, puis il se posta devant le Bâtard, qui l’embrassa gentiment.

 — Allons, je n’ai pas le prédicat d’Altesse royale, Ail-des-bois. J’aurai aimé porter les armes de mon père, mais je dois me contenter de celle de la famille de ma mère.

 — De pourpre aux trois ours ordonnés deux et un, nous les connaissons tous ! Demande à porter celles de ton père, ose même demander à la bande d’or !

 — Je suis un Bâtard du Roi, j’ai droit à des privilèges mais pas à celui-ci. Et d’ailleurs, continua-t-il, ne me parles pas d’Altesse : je me suis disputé avec mon demi-frère de Naranje à la fin de notre cours !

 — Oh, mon Prince ! C’est bien triste ce que vous me racontez-là, fit le petit marquis, affligé. Votre colère est bien grande, mais j’ai ici nos repas, cela vous calmera. Vous pouvez être assuré de notre soutient : la majeure partie du peuple ne veut pas revenir à cette lointaine époque. Tiens, il est déjà midi dix, mangeons !

 — Oui, déjà midi dix, c’est vrai. Comment s’est passé ce cours de philosophie ?

 — Le professeur n’était pas là aujourd’hui, nous ne savons quand le cours sera rattrapé. J’en ai profité pour dessiner, regardez !

 Tout en sortant le pique-nique, le Marquis présenta au Bâtard Philarctos un beau jardin où se baladaient plusieurs personnes.

 — C’est joli, Ail-des-bois. Tu as du talent. Avec un peu de chance, je réussirai à te faire entrer à l’Académie des Beaux-Arts, tu mérites ta place.

 — Oh, vous feriez ça ‽ Oh, merci, vous que j’aime ! s’écria-t-il en se jetant à nouveau dans ses bras.

 Le Marquis lui montra encore plusieurs de ses croquis, de ses imitations de la calligraphie d’autres personnes, de ses aquarelles, de quelques poèmes jetés dans un coin de feuille. Son imagination et sa polyvalence époustouflaient le Bâtard Philarctos.

 — Quel talent, vraiment ! Je vais essayer de faire jouer mes relations pour que tu ailles apprendre auprès d’un grand maître, dans son atelier.

 — Mais, fit le Marquis en se raidissant, ça voudrait dire qu’on ne va plus se voir ! Oh non, je ne veux pas, décréta-t-il, je t’aime trop !

 Le Bâtard en rigola et lui frotta les cheveux. On se leva pour quitter la douce intimité du Salon et aller sentir le parfum des fleurs. L'agréable aprs-midi se trouva gâchée quand arriva un Messager. Cet homme était essoufflé :

 — Bâtard Philarctos, une terrible nouvelle m’a été confiée : votre mère, la Dame de Bourg-Éon, a trépassée tout à l’heure.

 — Comment ‽ Quelle horreur ! Qui l’a découverte ainsi ?

 — Ce sont ses servantes qui ont ouvert la porte de sa chambre.

 Une grande confusion agitait le Bâtard Philarctos : sa mère est morte, il faillit à être reconnu comme prince. Une grande détresse l'envahit.

 Le Français Jean-Baptiste du Halde avait traduit le Roman du Bâtard aux ours, septième du cycle des Treize Bâtards, et traduisit de le passage où le Bâtard Philarctos apprend la mort de sa mère : « son cœur se demandait : ‘‘comment pourrais-je trouver maintenant le sourire ? Elle était tout pour moi, elle était la plus belle âme que le monde donna. Et quelle beauté ! Personne n’était aussi magnifique qu’elle, et toute les jalouses lui menaient la vie dure. Ah, elles l’auront sans doute tuées à force de brimades. Voilà maintenant ses cendres qui s’envolent dans le vent si frais. Son tombeau est digne d’une reine, alors qu’elle n’était que la concubine. Mais le Souverain avait une passion si grande pour elle qu’il aurait fait n’importe quoi qui soit à la hauteur de son amour, pour honorer cet être de vertu.’’ Et c’est ce que disait l’assemblée, même les ennemis de la morte. »

 Le Roi Patient avait son cœur étreint par la haine de lui-même : il ne pouvait pas ramener les morts à la vie et se maudissait de n’avoir rien fait pour elle. On trouvait que ce cadavre, de son vivant, avait un petit faible pour la victimisation.

 Mais, pauvre femme, ce n’était pas tellement sa faute. Si son intelligence et son éducation surpassaient beaucoup de personnes à la Cour, elle était tellement sensible que tout ce qui touchait de près ou de loin à sa personne ou son entoure menaçait profondément sa tranquillité. Le Roi désirait lui porter assistance, alors la Reine Violente avait proposé d’aider la jeune Dame de Bourg-Éon en faisant d’elle l’Intendante de sa Maison. Mais les quolibets allèrent de plus belle.

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