III — La Reine sous la Lune
— Il est minuit, dit le Marquis d’Oueca avec passivité. On voit encore la fumée s’élever dans les airs.
Il détourna la tête de la fenêtre du palais pour son intérieur. Dans la chambre du Bâtard Philarctos, ce dernier se rasait le torse. Le Marquis soupira d’une telle futilité, en un moment si tragique. La coquetterie était l’un de ces péchés qu’il ne supportait pas. L’Étudiant était un homme qui prêtait attention à sa personne, mais pas autant que Bâtard Philarctos. Tous les hauts dignitaires de la Cour présentaient leurs condoléances au Roi, qui avait décidé une semaine de deuil. La Reine préférait la douceur de la Lune et le parfum des glycines de la terrasse de son appartement. Dans un kimono bleu aux motifs de phénix et de licornes, elle écrivait des poèmes funèbres, pour honorer la mémoire de son amie défunte. La porte de son appartement s’ouvrit et elle sourit au Bâtard Philarctos :
— Ah, Bâtard, vous voilà ! salua-t-elle.
— Votre Majesté, je suis honoré de vous rencontrer.
Elle l’embrassa sur les joues et lui présenta ses condoléances les plus sincères et les plus amicales.
— C’était une femme si honnête, une grande perte affecte toute la Cour, même ceux qui l’on tués.
— Pourquoi dites-vous cela ‽ demanda le Bâtard avec surprise. Ma mère…
— Votre mère était admirée. Ce cher cœur était une femme avec plus de qualités que moi, et je souffrais que Sa Majesté ne me fasse pas autant d’honneur qu’à elle. Mais elle faisait de son mieux pour ne point trop montrer ses qualités, ni s’en vanter en tout temps. Tenez, asseyez-vous face à la Lune. Malheureusement, là où moi j’ai réussi à toujours faire fi de toutes les méchancetés à mon égard, elle était trop faible. Elle prenait tout à cœur, elle n’arrivait pas à prendre du recul. Son cœur battait vivement chaque fois qu’elle sentait qu’on avait le dessus sur elle. Et elle manquait d’amis. J’en ai peu aussi, mais je sais être appréciée. Et savez-vous pourquoi ? Parce que je suis la Reine et que les concubines sont là pour recueillir toute la haine du monde. C’est triste, mais ainsi est la vie de la Cour. J’aurai aimé que votre mère soit encore parmi nous. Avec qui maintenant vais-je rire et me réconforter dans le jeu ?
— Trouvez d’autres personne avec qui passer du temps, dit le Bâtard Philarctos avec détachement.
— Je n’aime pas trop votre insolence, mon garçon !
— Pardon, c’est la douleur. Je vous suis beaucoup reconnaissant parce vous ne m’avez jamais fait sentir différent. Vous m’avez acceptée comme un enfant du Roi, pas comme un bâtard. Pourquoi, s’il vous plaît ?
La Reine rit.
— Parce que je vous ai toujours trouvé beaucoup de talent. Et pour moi, il n’y a que le talent qui compte : je suis une méritocrate. Les autres bâtards de mon époux, que deviennent-ils quand ils ne sont pas fils de ses concubines, à votre avis ?
— Je ne sais, Madame.
— Ou leur mère vient pleurer pour un titre, ou ils vivent dans l’anonymat. Parfois, quand dieu Diamant Porte-Hiver prend leurs âmes s’ils sont trop pauvres pour survivre.
— Pourquoi Sa Majesté ne va aider ses bâtards ? Je veux dire, ceux qui ne sont pas né d’une femme noble, étant donné que ceux qui le sont n’ont pas beaucoup de problèmes à recevoir une bonne situation de la part de Sa Majesté.
— Le roi n’a que faire de ceux-là, répondit la femme en baissant les yeux. Sur les trente ans du règne du Roi Patient, il doit y avoir dix bâtards dont les mères étaient allées pleurer la cause. Mais par rapport à ces dix, combien encore ne sont pas venues ?
Elle prit un style, écrivit quelques lignes, roula le papier et y apposa sa marque.
— J’ai, ici, écrit une lettre à Sa Majesté : je vous prends comme Écuyer, vous arrêtez vos études littéraires pour suivre des études militaires. Ce ne sera pas plus mal pour vous, qui pourrez être dorénavant appelé Sire plutôt que Bâtard Philarcto. On ne vous a pas encore touché de front parce que votre mère était concubine royale et Intendante de la Maison de la Reine, mais vous n’avez plus aucun soutien de poids à la Cour, hormis Sa Majesté et moi-même. J’ai encore assez de crédit auprès des courtisans, contrairement à mon mari.
— Comment cela ?
Mais la Reine ne continua pas (ces choses étaient privées, elle en avait encore trop dit) et elle le remercia de sa visite. Elle appela une servante pour remettre ce papier au souverain afin d’officialiser cette décision ; puis elle alla se coucher. Sire Philarctos repartit et fit la même chose en rejoignant le Marquis d’Oueca.
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