IV — Une Partie de chasse

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 Le lendemain matin, Sire Philarctos déjeuna dans un pavillon du palais où logeait la Marquise d’Elchol.

 — Du thé ? proposa-t-elle, avec son charme habituel.

 — Volontiers, répondit-il en s’asseyant avec une grâce ursine.

 La Marquise, qui pratiquait la magie, fit quelques mouvements de mains et le thé se servit tout seul : la théière s’éleva et versa son contenu. Fille du dieu Orange au Rire éclatant, esprit de l’Enthousiasme et de la Comtesse de La Coriand, dame de la Cour, on l’avait surnommée la Belle dame Sans-pleurs, en raison de son ascendance et de sa bonne humeur quotidienne.

 — Quelle chance d’être née avec une grande longévité et l’indestructibilité des divinités.

 — C’est bien dommage d’ailleurs, savez-vous, mon ami ? Je vais être condamnée à vous voir mourir, puis pleurer tant et tant que le Gange va déborder chaque année.

 — Eh bien, cela permettra des périodes humides dans ces terres peu habitées, répondit Philarctos en buvant.

 — Vous savez que je deviens vite agacée quand vous êtes cynique ! Mais enfin, se calma-t-elle, comment va la Reine ? Je vous ai aperçu en train de sortir de sa chambre, hier soir.

 — Si vous insinuez que j’ai une liaison avec… !

 — Ah, ah ! Mais non, cher ami ! Vous savez, notre bonne reine est réputée pour sa fidélité envers Sa Majesté. Mais, pauvre femme, elle souffre en silence de cette multiséculaire et pesante tradition du concubinage. Je sais tout cela car je suis sa confidente, ajouta-t-elle, comme si on craignit d’elle d’être indiscrète. Je ne vous raconte pas toutes les soirées que j’ai passées pour la réconforter. Et puis feue votre mère aussi.

 — Que Sa Majesté a de la chance de vous compter dans son « escadron volant » !

 — Pitié, pas si fort ! Et n’employez pas ce terme, s’il vous plaît : nous sommes des espionnes, pas des prostituées. Certaines d’entre-nous, il est vrai, reçoivent des confidences sur l’oreiller… Mais c’est bien rare !

 Sur cela arriva le Marquis d’Oueca, encore très endormit, qui portait son kimono de nuit. Il posa sa tête sur l’épaule de Philarctos après avoir embrassé la Marquise. Sire Philarctos lui reprocha qu’il aurait pu s’habiller plus convenablement devant une dame. Mais celle-ci ne s’en offusqua point et le félicita au contraire pour son naturel dans une Cour très codifiée. Mais sous les apparences, les choses pouvaient être moins reluisantes.

 — Vraiment, dit le Marquis. Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a proposé de l’opium ou de l’herbe à pipe. D’ailleurs, savez-vous que le Comte de Naranje en prend ?

 — Oh, peu importe, n’en parlons pas ! s’emporta Philarctos. Ma chère Belle dame, dis-nous comment se passent tes cours de magie avec le Professeur aux Mains-rouges ?

 — Et d’où vient ce surnom, au fait ? interrogea le Marquis immédiatement après, car il ne voulait pas s’empêcher de parler.

 — Avant d’enseigner, il a passé beaucoup de temps à la guerre et a tué énormément d’ennemis avec ses mains — puisque c’est avec elles qu’on fait de la magie. Mes études se passent très bien : c’est le meilleur professeur, mais aussi le plus élitiste. On se souvient encore du jour où il a sévèrement réprimandé le Baron Quin et la Comtesse de Bois-Noir pour s’adonner plus à la débauche qu’à l’étude.

 Le Marquis gloussa en regardant celui qu’il aimait :

 — Ça me rappelle quelqu’un !

 — Mais je ne vais pas finir simple courtisan, se moqua-t-il en lui tirant la joue et en l’embrassant sur les cheveux.

 — C’est sûr que si je veux profiter du piston, je peux toujours allez me faire enc…

 — Marquis !

 Tout le monde se retourna, se leva vite et s’inclina respectueusement : la Reine, qui venait de paraître avec ses dames de compagnie, était scandalisée d’un tel niveau de langage.

 — Oh, Votre Majesté, c’est un plaisir de vous voir et un honneur de vous recevoir dans mes appartements, salua la Marquise d’Elchol.

 — Pareillement, répondit l’intéressée en venant à eux. N’avez-vous point cours aujourd’hui ?

 — Oh non, Madame, nous sommes tous libre aujourd’hui, dit Sire Philarctos.

 — Vous me voyez fort grée de cela ! Je m’en vais à la chasse cet après-midi : puisque vous êtes maintenant mon Écuyer, je vous attends pour quinze heures devant la Porte de Sable. Vous êtes aussi invités, indiqua la Reine au Marquis et à la Marquise.

 — Nous y serons Madame, répondit Sire Philarctos en souriant.

 Ils y furent à l’heure dite ; arriva alors le Roi à cheval.

 — Je ne pensais vous voir ici, Monsieur, dit-il avec son accent chantant et en le regardant avec amusement. Que faites-vous donc ? Comment cela se fait-il que vous nous faite l’honneur de venir chassez avec nous aujourd’hui ? Vous vous êtes enfin décidé à sortir ?

 La Reine prit les devant, et rappeler à son mari qu’il était son invité ainsi que son Écuyer. Le Roi la regarda, fort étonné.

 — C’est vrai… Je ne sais pas ce qui est pire entre être le Bâtard du Roi ou l’Écuyer de la Reine ! s’exclama-t-il avec un rire fort. Allez, montez sur votre cheval, mon fils : nous partons !

 On alla, durant tout l’après-midi de cette moitié de Printemps, chasser dans la bonne humeur. On abattit plusieurs fois de belles bêtes qu’on avait hâte de souper en rentrant. L’on s’arrêta un moment, pour donner du repos aux montures, aux chiens et à tout le monde ; il était aussi temps de goûter. On installa bien vite une tente dans laquelle on commença à jouer.

 — J’ai découvert ce jeu récemment, dit le Duc d’Astré aux convives. Nous prenons un papier que nous mettons dans nos coiffures, bien en évidence pour que les autres voient. Sur ce papier est marqué ce que nous sommes : un chien, un nuage, une poissonnière… Ensuite, il faut deviner ce que nous sommes par les indications des autres !

 La petite Cour, intriguée par ce jeu nouveau, décida d’essayer. Le Duc choisit pour chaque personne, puis il laissait quelqu’un lui écrire ce qu’il était. On voulut laisser au Roi le droit de commencer, ce qu’il fit plus par respect des conventions que de bon cœur.

 — Suis-je un être vivant ?

 — Non ! lui dirent les autres.

 Il demanda ensuite s’il était un objet flottant, ainsi que sa couleur. On répondit de manière affirmative à la première, mais la seconde réponse fut plus ardue à trouver ; la Marquise d’Elchol trouva à dire que la couleur de la chose était changeante. Ce n’était donc pas un objet terrestre, mais il demanda si cela était un être vivant. Chacun se regarda alors, ne sachant quelle réponse donner.

 — Pour avoir ce genre de réponse, plaisanta Philarctos, c’est à la messe qu’il faut aller.

 Cela fit rire tout le monde, car ce qu’il venait de dire n’était pas dénué de sens, quand on réfléchissait bien.

 — Mais pour vous répondre, mon père, vous êtes une chose qui s’étend sur tout le monde.

 — Serais-je le ciel ? demanda le Roi après quelques moments de réflexions.

 — Oui ! s’exclama la Reine, qui fut la première à applaudir, suivit bientôt par les autres.

On s’amusa ainsi pendant une demi-heure, tout en se faisant servir de petits mets. On reprit la chasse pendant une heure puis on rentra.

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