VII — Souvenir d'une nuit d'été

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 À l’hôtel de la Dame de Bourg-Éon, les appartements avaient été restaurés par Sa Majesté. Depuis longtemps déjà la Dame voulait faire quelques aménagements, mais son trépas mit un coup d’arrêt à cette entreprise. Depuis cinq mois qu’elle était décédée, Sa Majesté avait proposé à Sire Philarctos de la reprendre. On avait commencé à refaire le jardin, qui avait été laissé à l’abandon, car Sa Majesté cultivait plus que tout autre roi l’art paysager. Près de la chapelle, il avait fait réaménager le jardin sec avec des bosquets, des graviers, des vallonnements à l’image des paysages à l’entour. Cependant, la pluie tomba pendant plusieurs jours et on ne put aller à la chasse, au bois ou au jardin. L’humeur dans la demeure était monotone, les couloirs du palais étaient déserts. Seuls se déplaçaient les serviteurs et quelques personnes allant d’une pièce à une autre.

 Le Marquis d’Oueca lisait les lettres que Sire Philarctos lui avait envoyées le premier jour de leur relation. Ce soir-là, on était en été. À l’heure de la messe, le Marquis venait d’arriver en retard. Sire Philarctos lui faisait des avances depuis un moment, auxquelles le Marquis n’était pas insensible. Le prince lui avait jeté un coup d’œil et avait trouvé charmant ce jeune homme quand il suait, sa peau diaphane resplendissant comme neige au Soleil. Il paraissait plus beau que ceux de son âge, provoquant un trouble chez le Bâtard. Après la cérémonie, il rentra dans ses appartements et repensa à ce qu’il venait de voir. Il rêva de s’asseoir avec lui, à la pleine lune, et de goûter sur la mousse des douceurs que ne voulaient pas connaître les pudibonds.

 Après ce rêve, Sire Philarctos avait écrit une missive : « Je ne puis rester loin de vous plus longtemps, dites-moi quand venir dans votre chambre. Je ne suis pas de ces chasseurs solitaires, de ces amants d'un soir, de ces convoiteurs assassins, de ces ruineurs de vertus, de ces vicieux qui ensorcellent par leur parfum, de ces insulteurs de nom. Je meurs d'amour pour toi, qui est plein de qualités, qui a accompli les enseignements de tes maîtres. Tu es aussi bien fille que garçon quand je te vois, je désire tellement m'abandonner entre les pieds d’un amant avant de me rappeler son sexe, en défaisant les boutons de son sous-vêtement. Tes accroche-cœurs ont transpercés le mien, bel garçon. »

 Le Marquis avait reçu cette lettre et souri, bien content de l’effet que son petit corps faisait à celui dont les courtisans hypocrites louaient la constance et la retenue. Sentant que cette prose poétique fut écrite avec la pique de Vénus dressée, le Marquis d’Oueca se laissa aller au dévergondage solitaire. Il s'imaginait que le Bâtard le prenait, seul, dans un coin du palais, et qu'il lui chantait des ballades romantiques. Après cela, il écrivit un petit mot qu’il cacha dans son kimono avant d’aller au bal.

 En arrivant, il vit son amie la jeune Duchesse des Gorges d’Orac, veuve du vieil Maréchal-Duc. C’était un couple d’éminentes vertus. Elle avait arrêté ses études pour se marier, mais son vieil époux lui laissait passer beaucoup de temps pour les activités intellectuelles, seule ou avec ses amis. Alors que lui et ses gens étaient à la chasse, il était revenu à son château fort blessé par un cerf. La populace en avait fait une chanson funèbre en l’honneur de son seigneur, sur l’air du Roi Renaud :

Le Maréchal se trouva blessé

Est revenu et s'est alité :

« Dame ma mère, de ce monde ne suis. »

Et à minuit rendit l'esprit.

Dame sa femme fut accouchée,

Son mari fut vite enterré.

« — Madame, madame, pourquoi pleure-ton ?

— Les pâtissiers n’ont plus de son.

Un jour passa, un autre encor,

On sonna la cloche des morts.

— Madame, pourquoi ces chants funèbres ?

— Ma fille, on pleure le Marquis d’Èbre. »

La belle dame eut ses rel’vailles :

« — Madame, quelle ceinture pour ma taille ?

— Ma fille ne mettez rien qu’du noir.

On aimera mieux, vous pouvez m’croire. »

Dame la femme fut bien surprise

De voir toutes ces mines grises.

Elle vit alors le tombeau,

Qui était vraiment des plus beaux.

Voyant les cierges de chagrin,

La belle dame comprit enfin.

Ainsi mourut le Maréchal

Dont la femme fut bien au plus mal.

 Le bal avait lieu quelques mois après les funérailles du Maréchal, dont la mère accompagnait l’épouse et le fils. La Duchesse embrassa le Marquis, qui était très heureux de la revoir. Le chagrin était toujours présent, car elle estimait beaucoup son époux décédé, mais la noble dame était très heureuse de pouvoir tromper sa douleur et de retrouver un peu de gaîté.

 — Raconte-moi un peu, mon Marquis. Je me suis tenue éloignée de la Cour, quelles sont les nouvelles, les ragots ?

 — Ah, ma chère, j’ai un nouveau galant et pas n’importe lequel !

 — Oh, qui donc ?

 La Duchesse avait ouvert ses oreilles, qui furent chatouillées par la voix du Marquis. Elle le regarda avec des yeux ronds, tandis qu’il gloussait comme un puceau. Afin d’être certaine d’avoir tout compris, la Duchesse redemanda si elle avait bien entendu que c’était le Bâtard Philarctos qui soupirait de rencontrer le Marquis. Elle était si surprise que le Bâtard avait jeté son dévolu sur lui. À ce moment, on avait annoncé la venue du séducteur. Il était beau dans son kimono rouge aux fleurs dorées. Après avoir échangé avec quelques amis, il les suivit pour boire du vin en leur compagnie. Celui au miel, dont il était friand. Le Marquis attendit qu’il le vît, mais Sire Philarctos s’intéressait plus à son verre et aux propos de ses compagnons. La Duchesse décida de prendre les devants et de les rejoindre afin de proposer au fils du Roi d’aller danser avec elle. Sire Philarctos accepta et termina son verre.

 — Mon seigneur, dit-elle en profitant de l’arrêt de la musique entre deux danses, mon ami le Marquis d’Oueca m’a donné une lettre pour vous.

 En vérité, elle avait proposé de jouer les entremetteuses. Sire Philarctos lu la lettre qu’elle lui avait présenté, et son visage s’empourpra. La Duchesse lui demanda de regarder d’un côté de la pièce : le Marquis attendait patiemment, assis et la tête dans la main.

 — Je vois… dit le Bâtard. Me permettez-vous de vous abandonner pour aller avec lui ?

 La Duchesse, polissonne, accorda sa permission. En voyant cet homme massif et trapu arriver vers lui, le Marquis se leva et quitta la salle en continuant de le regarder, faisant un signe pour qu’il suive. Il se dirigea vers les jardins, accélérant le pas pour maintenir une bonne distance. Il sentait les vibrations des pas du Bâtard sur le bois ; qu’il était excitant d’être comme un faon chassé par un loup. Le Marquis s’enfonça dans le jardin, toujours Sire Philarctos sur les talons. Un moment, il s’arrêta et s’appuya langoureusement contre un arbre. Il était essoufflé quand il vit Sire Philarctos arriver vers lui, le poil mouillé par la transpiration et le museau rouge de liqueur. Le Marquis reprit sa course et réussit à arriver dans son appartement, dont il laissa le paravent entr’ouvert. Il avait enlevé négligemment son manteau, jeté précipitamment son kanmuri et s’était allongé lascivement sur son matelas. Heureusement, il entendit les pas lourds du Bâtard se rapprocher. Son ombre se dessina devant le paravent, qu’il ouvrit avec vigueur avant de le refermer doucement.

 Le Marquis révéla au fils impérial, qui avait les yeux injectés de désir, ce que cachait son pantalon, et lui fit signe d’approcher. Sire Philarctos lui sauta alors dessus et commença à lui lécher les joues et la nuque. Il léchait très vite et à de si justes endroits sur son corps que le Marquis gémissait et se tortillait de plaisir dans tous les sens. Il semblait au Bâtard que le jeune homme était un pantin, ses doigts faisaient bouger la créature à leur guise. Le Marquis parut soulagé quand le Bâtard s’arrêta, mais s’était pour mieux laisser libre cours à sa sensualité en l’embrassant longuement et à pleines lèvres, afin de sucer sa salive sucrée. Le Marquis attrapa la nuque du Bâtard afin de le plaquer contre lui pour mieux l’embrasser et sentir comme son sang bouillonnait en bas. Il lui présenta sa croupe coquette et large ; le Bâtard s'attarda longuement sur ce dos mince qui captivait ses yeux. Quand une corde rouge les lia ensemble, la lune était pleine et bien blanche.

 — Ail-des-bois, tu es là ?

 Le Marquis venait juste de décharger après s’être souvenu de cette nuit divine. Un sentiment étrange lui parcourut le corps, le plaisir du coït ayant été interrompu.

 — Ou… Oui ! Entre…

 Sire Philarctos pénétra dans la pièce et se blottit contre le Marquis.

 — Je viens de finir ma formation hebdomadaire d’officier, je suis éreinté. Je n’ai pas le sentiment d’être un meneur, mais mon père… Sa Majesté ne veut pas m’écouter et dit que je dois suivre la tradition militaire. Toujours la même rengaine… D’ailleurs, c’était le Chevalier de Bartas qui nous fit cours !

 — Ah bon ‽ Comment va-t-il ?

 — Oh, là... Il nous a fait effectuer des exercices physiques : à force de courir, de grimper, de sauter, de devoir cabrioler dans tous les sens et de ne pas y arriver, ou incorrectement malgré ma volonté, j’ai les jambes rompues !

 Le Marquis rit :

 — Quoi ? Déjà ?

Il avait dit cela pour plaisanter, car selon l’antique législation assecariote, les débauchés publics pouvaient être condamnés à avoir les jambes rompues sur une roue. Sire Philarctos était toléré pour sa conduite car il faisant toujours ses affaires dans une pièce privée, n’était pas un danger dans la succession et ne se mêlait pas trop de politique. 

 — Mes dieux, oui ! Sa Majesté la reine, heureusement, me laisse une grande liberté, je peux étudier selon mon désir pour valider ma licence et enfin avoir la paix ! Heureusement, dans trois mois, ce sont les vacances d’Été…

 Il y eut un silence ; le Marquis le brisa :

 — Et si nous allions en voyage ?

 — Je ne peux pas : mon père veut que j’en profite pour terminer ma formation d’officier. Je dois être prêt pour aller à Catahène au Nouvel An.

 — Que je voudrais venir aussi, on la dit si magnifique, si comblée de richesses…

Un silence encore ; ils s’endormirent, enlacés, l’un contre l’autre, leurs cœurs en rythme. Sire Philarctos ne ronfla pas beaucoup, ce qui fut au goût du Marquis. Le dieu Bleu-Vert à Demi-nu, qui présidait aux amours masculines, descendit dans leur chambre et passa la main dans leurs cheveux afin de les bénir. Les trois mois passèrent vite, et bientôt la chaleur devint plus grande.

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