XI — Tête-à-tête
— Effectivement, c’est épineux, dit Sire Philarctos, après que la Marquise ait raconté toute son histoire.
Le lendemain matin, la Marquise restait étendue sur le futon dans sa chambre à la Cour, les cheveux dénoués. Sire Philarctos la visita et s'assis à côté d’elle, vêtu d’un kimono rouge et or.
— C’est un vrai casse-tête, fit-il en se grattant le front. Tu veux que j’en parle à la Reine quand je la vois ?
La Marquise haussa les épaules : que le Bâtard fasse comme il lui plaira. Puis, après un bref instant, elle lui renouvela sa confiance. Sire Philarctos prit cela pour une permission, alors il la quitta ; le Marquis d’Oueca devait venir la veiller dans la journée. Après avoir refermé la porte, Sire Philarctos essaya de trouver une horloge. Finalement, il demanda à un ami courtisan et vit qu’il était onze heures vingt.
L’Écuyer de la Reine réfléchit : l’heure des Petites Entrées approchait, il fallait se dépêcher. Après que Sa Majesté fut levée à Prime, s’en suivait la prière dans sa chapelle, généralement une demi-heure plus tard. Elle quittait son pauvre kimono de nuit, pour faire sa toilette et son habillement devant les dames de la Cour. Cela durait généralement jusqu’à neuf heures, où elle prenait son déjeuner.
La Reine disposait d’un temps de répit, où elle continuait de s’habiller jusqu’à la Tierce, puis elle faisait une lecture méditative d’un texte sacré, à partir duquel elle trouvait une prière et une grâce à demander aux divinités. Après cet exercice de trois-quarts d’heure, elle prenait le temps de répondre au courrier qui lui était adressé, d’écouter les nouvelles et de recevoir la visite privée du Roi, ce qui durait jusqu’à onze heures trente. Jusqu’à midi, elle recevait obligatoirement sa Médecine, sa Surintendante et ses Dames d’honneur durant les Petites Entrées.
La Grande Khatoun, si son mari et elle n’avait rien d’autres à faire, venait aussi la visiter, cordialement et brièvement. Plusieurs semaines auparavant, la Reine Violente avait fait de la visite du fils de son mari une obligation in pectore. Chaque jour ou presque, elle demandait qu’on le fasse chercher afin de discuter avec lui, pour lui faire savoir son humeur du moment, celle de la Cour, celle du roi, celle de son chat… Sire Philarctos se pliait à cet exercice, faisant sa cour à la Reine comme il se devait.
— Je rends grâce chaque jour du patronage et des faveurs de Sa Majesté à mon égard, remercia Sire Philarctos.
— Et moi de votre confiance, répondit la souveraine. J’ai appris que la Marquise d’Elchol était tombée malade, comment va-t-elle ?
— Je suis content que vous abordiez le sujet, car j’aimerai intercéder pour elle.
Sire Philarctos raconta l’idylle naissante entre la Marquise et la Princesse de L’Ognon, contrariés par les plans de la Princesse-mère.
— Je vois, le sujet est délicat, en effet… Le nom, sans doute la Princesse-mère s’en doute-t-elle, a perdu du prestige : qui voudrait épouser la petite-fille du responsable de la mort du Prince héritier et de ma sœur ?
Elle resta pensive un instant, la tête repliée dans son poing ; puis, elle releva subitement la tête et dit à l’Écuyer : « Pourquoi ne pas l’épouser ?
— Pardon ‽
— Pensez-y ! Vous lui faites un enfant, vous divorcez et la Princesse épouse la Marquise. La lignée continu et tout le monde est content !
— Je ne peux pas faire ça à la Marquise ni à Ail-des-Bois ! Enfin, je veux dire… Au Marquis d’Oueca.
— Ah, mince, pesta la reine, vous êtes en ménage, c’est vrai. D’ailleurs, je ne me souviens pas que vous étiez aussi fidèle, c’est nouveau ?
— Eh bien, cela m’a surpris aussi, rit Sire Philarctos. J’aime les hommes et je suis bien content de voir que tous me plaisent, peu importe leur sexe, mais j’aime encore plus Ail-des-Bois !
La Reine Violente aimait que Sire Philarctos eut un grand cœur. Lui-même disait que s’il en avait mille, il les donnerait tous.
— D’après mon amie, il y a bien un militaire qui s’intéresse à la Princesse.
— Qui donc ?
— La Marquise l’a décrit comme était un homme avec une moustache en croc…
— Ah, le Maréchal-Duc d’Olbatar ! Oh, non, certainement pas ! On ne va pas lui faire épouser un homme de trente ans son aîné… Mais vous voulez épouser le Marquis d’Oueca, alors ?
— Oui, Votre Majesté, dit Sire Philarctos en rougissant. Cela fait maintenant un peu plus d’un an que nous sommes ensemble, j’aimerai bientôt me fiancer à lui !
La souveraine s'enthousiasma :
— Voyez-vous ça, quelle belle nouvelle !
Midi déjà sonnait, la rencontre fut interrompue afin de laisser la reine manger.
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