XIV — Causeries
Sire Philarctos, revêtu de sa tenue de chasse aux couleurs de la Reine Violente, alla rejoindre le groupe formé autour de Leurs Majestés. Les chiens s’impatientaient, de même que tout le monde. La souveraine, heureuse de le voir arriver, l’interpella :
— Les dames prendront la voiture et les hommes iront à cheval. Mais venez avec nous, continua-t-elle en lui prenant le bras, votre conversation est charmante.
— Votre Majesté Royale, je suis votre humble obligé.
Le Roi, terminant de mettre ses gants, les regarda et sourit :
— Laissez-le un peu, ce grand garçon ! Vous m’accaparez mon fils le matin, vous me l’accaparez à la chasse… Il a passé l’âge d’être chez les dames, donnez-le aux hommes !
— Oh, les hommes savent que j’aime me donner à eux, s’exclama Sire Philarctos avec esprit.
Tout le monde éclata de rire. Il était plusieurs fois arrivé que Sire Philarctos se soit vu reprocher, parfois avec une pointe d’admiration, toutes ses conquêtes, lorsqu’il était encore inconstant et qu’il n’avait pas rencontré le Marquis d’Oueca.
— N’en avez-vous pas marre, lui avait demandé un noble de ses amis un soir, de passer d’un homme à un autre, de faire les mêmes serments de fidélité à votre amant du matin qu’à ceux de votre amant de l’après-midi ?
— Écoutez, dit Sire Philarctos, une coupe d’alcool à la main, je suis fidèle aux hommes, je les aime tous !
Ce trait d’esprit était resté dans la mémoire de la Cour, l’ayant trouvé hilarant. Sire Philarctos, avec plus de sérieux, dit à la Reine qu’il désirait montrer la figure d’un homme fidèle et il avait hâte d’aller faire le serment d’allégeance à l’Empereur. Ce serment annuel avait lieu à Catahène, la capitale de l’empire, chaque 15 septembre. Une dame se remémora l’éloge de la Poétesse au Galet, écrits deux siècles plus tôt :
Catahène, la plus belle des cités
Que la déesse Jaspe préfère au reste,
Où de fiers combats se sont déroulés
Face à des peuples aux mœurs agrestes.
Le Duc de Terremerveille et le Maréchal-Duc d’Olbatar venaient de faire leur arrivée ; on salua ces grands seigneurs, qui accompagnaient le Roi à sa demande, ce qui était une très grande faveur. Sire Philarctos était assis, à l’écart avec la Reine et ses Dames, qui attendaient que les hommes aient fini de se préparer. L’Écuyer royal connaissait chacune d’entr’elles : d’abord, la Marquise d’Elchol, dont les airs polis trahissaient un vague-à-l’âme ; venait ensuite la Duchesse de Terremerveille, au demi-sourire énigmatique ; puis la Duchesse de Salvatore, habillée de deuil et qui avait des yeux très joviaux ; enfin, la Comtesse de Bois-Noir, qui regardait un laquais avec insistance.
— J’ai entendu dire que vous dinâtes avec Sa Majesté, dit la Reine à Sire Philarctos.
— Oui, répondit-il avec le meilleur air détaché qu’il pouvait avoir. Je fus flatté de cet honneur.
— Cela me fait plaisir, je suis sincèrement heureuse que vous puissiez partager des moments avec votre père.
— Comment est le Roi avec vous ? demanda Madame de Terremerveille.
Sire Philarctos ne savait comment répondre, faisant une moue, haussant les épaules.
— Comme tout père, je suppose. C’est un homme qui sait rire et être sérieux.
— Vous avez beaucoup de chance de pouvoir profiter de lui, dit Madame de Salvatore. Chérissez ces moments, car je vois combien l’absence de mon mari pèse à son fils…
Selon la Marquise, compatissante, l’amour d’une mère, d’une nourrice ou d’un précepteur ne pourra jamais combler la présence de son père. La Reine remarqua que l’enfant n’avait jamais paru à la Cour, alors que cela faisait sept ans qu’il était né.
— Malheureusement, sa santé ne le lui permet pas. Avec feu mon mari, nous appelâmes de nombreux médecins, mais rien à faire : malgré les remèdes, il n’y eut aucune amélioration de son état. Je ne désespère pas d’en trouver un jour, si les dieux le veulent.
— Que le dieu Vert à la main guérisseuse vous entende, dit Sire Philarctos en se levant, avant de se tourner vers sa marâtre. Je crois que nous pouvons y aller, Majesté, les hommes montent sur leurs chevaux.
— Oui, il est temps !
Sire Philarctos aida la Reine à monter dans la voiture. Les dames et Sire Philarctos bavardèrent, tout en profitant de la brise fraîche et agréable. On suivit de loin ou de près, selon que le chemin le permettait, les cavaliers qui chassaient. À un moment, une figure surpris Sire Philarctos : le Comte de Naranje, qui n’était pas là lorsqu’on avait quitté le château.
— Monseigneur était à la ville hier, expliqua la Reine. Il a envoyé un courrier ce matin au Roi pour le prévenir qu’il les rejoindrait à la moitié du chemin.
— Ah oui ? Je ne savais pas qu’il en avait de si urgentes…
— Oh, très urgentes ! Il est allé boire du thé chez sa maîtresse, la Dame aux Camélias !
Sire Philarctos répondit au sourire que la Reine avait eu en disant cela ; puis il écouta distraitement les conversations, y participant quand on le lui demandait. Sire Philarctos resta ainsi jusqu’à ce que l’on fasse une halte après avoir abattu trois loups, un chevreuil, sa femme, leurs quatre enfants et quelques écureuils. La voiture arriva peu après que les serviteurs aient tout installé. Les hommes étaient déjà à table et riaient de bon cœur. Sire Philarctos fut le premier à descendre pour accompagner la Reine, qu’il amena jusqu’à sa chaise.
— Philarctos est resté avec les dames à ce que je vois, se moqua Monseigneur.
Son frère se contenta de sourire et de lui faire un pied de nez. Il voulait croire que cela n’était pas méchant, que c’était une simple boutade.
— Vous aussi, n’est-ce pas ? Vous êtes allez cueillir des roses, à ce qu’on m’a dit.
Monseigneur s’empourpra. Après avoir mangé, on se sépara un instant pour la digestion. Sire Philarctos marcha à l’écart avec le Duc de Terremerveille, qui se plut à raconter nombre de ses exploits captivants.
— Vous me voyez désolé, dit Sire Philarctos, que votre vêtement de chasse ait été victime de ce lapin, qui eut l’impolitesse de faire se cabrer votre cheval, qui eut lui-même l’impolitesse de vous faire choir. Dieux merci que vous ayez eut plus de peur que de mal.
— Voilà pourquoi je préfère parfois plutôt le jardinage !
— Oh, quelle belle activité ! Avez-vous toujours ce petit mémoire dont vous m’avez parlé il y a quelques mois ? Vous savez, sur les plantes exotiques.
— Oui, toujours. Le voulez-vous, Sire Philarctos ?
— Avec grand plaisir, pourrais-je passer chez vous ces prochains jours ?
Les deux hommes s’entretinrent d’une date et d’une heure qui leur convenait. Après avoir bien marché et joué en société, on reprit la route et l’on revit la demeure royale.
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