Je n'ai jamais demandé grand chose.

Je ne m'attendais pas à recevoir tant.

Tant de responsabilités, j'entends.

Je m'appelle Mattéo mais la plupart des personnes que je connais m'appellent Mat. Je suis ce que les humains appellent un demi-humain ou homme-renard, mais personnellement je préfère le terme de Kitsune parce que, comme les autres Yukimimis, je considère que je n'ai pas grand chose à voir avec les humains.

J'ai la jolie queue touffue bicolore et les longues oreilles en pointe se dressant sur ma tête propres à mon clan mais, contrairement à l'habitude, mon pelage comme mes cheveux sont noirs.

Même pour les plus superstitieux des Kitsunes, cette différence n'apporte pas la panique tant il y a de variations physiques au sein du clan des adorateurs du grand Renard.

Sur Ichimono, monde dont la population habite la face interne d'un anneau de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de diamètre, les Kitsune sont parmi les plus faibles des Yukimimis. Physiquement, je rentre dans la norme du clan. Je n'ai que douze ans mais je ne dépasserai sûrement pas le mètre soixante dix grand maximum une fois adulte. J'ai un visage passe-partout et, à part mon pelage noir, ma seule spécificité est que mes traits sont trop fins pour un garçon. Ce qui m'a permis de m'entraîner très tôt à la bagarre.

Magiquement, je n'avais pas non plus grand chose à espérer vu que le clan n'a jamais fourni de grands mages.

Nous sommes des paysans.

C'est aussi clair et simple que ça.

Les cultes du clan sont orientés autour des récoltes, du travail aux champs et sur les opportunités de bonnes affaires lors des ventes. Dès qu'il y a des fermes on peut voir les silhouette des Kitsune pas loin.

Notez bien que je ne m'en plains pas, aimant travailler la terre.

Mais c'est comme ça pour tous les enfants lors de la cérémonie du Livre. Ils rêvent tous de grandes choses, d'avenirs meilleurs, d'actes héroïques et de reconnaissances par des rois lointains.

Les adultes, moins.

Il faut dire qu'ils avaient vécu la dernière Guerre de Scission. A ce qu'il paraît, cette guerre a lieu à des intervalles irréguliers. La précédente a eu lieu il y a si longtemps qu'elle n'était plus qu'une légende quand les démons sont revenus il y a dix ans. Elle n'a duré que huit mois mais ça a suffit pour éliminer plus du tiers de la population globale.

Je ne suis qu'un enfant et les adultes ne parlent pas trop de ce genre de choses. Mais les plus âgés s'énervent beaucoup quand on dit avant une bagarre générale qu'un des côtés fait les démons et l'autre les héros.

La cérémonie du Livre est très importante : à 12 ans, on devient un vrai Yukimimi en devenant capable de matérialiser son propre Livre des Âmes. Je suis assez excité, comme tous les autres enfants avec moi. On n'est pas beaucoup, seulement six. Il faut dire que le village n'est pas bien grand.

Le vieux moine Hitsuji fait la prière habituelle mais il marmonne tellement dans sa barbe que l'on ne le comprend pas. Les autres font comme moi et marmonnent aussi des paroles sans queue ni tête. Il hoche la tête, ravi.

Il faut aussi dire qu'il est presque sourd.

Ou il a fini par s'habituer au côté roublard de notre clan.

Puis vient le moment de vérité où l'on touche le totem de bois chacun à notre tour. C'est un simple pilier de deux mètres de haut gravé de prières et chapeauté d'une sculpture de tête de renard mais c'est tout de même le lien physique entre le clan et sa divinité protectrice. On va le toucher par ordre d'importance. Ce n'est pas une règle écrite mais une tradition dans le village. Étant orphelin et vivant dans le monastère, je passe en dernier mais je m'en fiche.

Si le Dieu Renard privilégiait ceux qui touchent le totem en premier, tous les moines seraient surpuissants.

Le premier est le fils du forgeron. Il touche le bois, un peu nerveux, puis son regard s'éclaire et un sourire orne son visage. Il fait deux pas en arrière, tenant quelque chose d'invisible et faisant comme s'il tournait les pages d'un livre. Personne ne peut voir le Livre des Âmes de quelqu'un d'autre s'il n'en a pas les compétences ou l'autorisation. C'est enfin mon tour ! Le cœur battant, je touche le vieux bois, m'attendant à un flash lumineux.

Pas à cette obscurité.

Je n'arrive pas à respirer.

Cela devrait me faire paniquer mais ça n'a rien à voir avec ma quasi-noyade dans le fleuve. On dirait plutôt comme... un rêve.

-Oh ? En voilà un... La voix est lasse. Un peu comme le marchand quand il voit un client entrer alors qu'il s’apprêtait à fermer sa porte à clé.

-Il est comment ?

Une voix féminine, plus douce. Si j'avais connue ma mère, j'aurai aimé qu'elle ai cette voix.

-Faible, sans soutient. Inutile.

Les mots étaient durs mais sans animosité. Comme des regrets.

-Ne soit pas ainsi ! Ils ont tous droit à la même chose.

-Ils ne lui laisseront aucune chance...

-J'ai une idée...Écoute-moi. Nous allons...

Pas la moindre idée de ce dont ils parlaient. La seconde suivante je suis de retour dans le hall de la chapelle, la main contre le bois du totem. Devant moi flotte une liasse de feuilles de papiers de forme irrégulière, liasse tenant ensemble par deux liens en cuir épais passant par des trous taillés à la barbare sur la gauche des parchemins empilés. L'ensemble donne une impression de fragilité inquiétante mais en le saisissant je comprends.

C'est mon Livre.

Je me sent un peu déçu.

Un peu beaucoup même.

L'apparence des Livres des héros et des grands mages est célèbre et populaire. Particulièrement chez les enfants qui collectionnent les dessins de ces derniers. De ce que j'ai conclu en observant ces dessins c'est que plus le héros est puissant, plus le livre est beau.

Le mien annonce la couleur : tu es un paysan mon fils !

Le moine nous chasse d'un grognement avant de remonter dans ses quartiers. Sans se faire prier, on galope à la sortie de la chapelle pour essayer de suite nos Livres. Je m'écrase sur les dos des autres alors qu'on allait arriver dehors.

Ils reculent même.

-Hé ! Vous faites quoi, là ?

Le fils du forgeron se retourne, gêné, avant de pivoter pour montrer ce qui se trouvait sur le chemin.

Kahlee.

Habillée de sa longue robe noir de nonne Hitsuji, elle a une présence imposante bien que ne dominant pas les enfants avec son mètre quarante. Elle est aussi dure et droite que le totem.

Et a encore moins d'humour.

Sa petite figure sérieuse, encadrée par les cheveux blancs propre à son clan, était encore rehaussée par les cornes de mouflon partant des bords de son front pour faire presque un demi-tour près de ses oreilles duveteuses.

-Assis.

Comme des marionnettes à qui on aurait coupé les fils, tout le monde s’assied autour d'elle.

-Je vais vous apprendre à utiliser le Livre des Âmes. Pour commencer, on le fait apparaître en pensant au totem. On le fait disparaître en pensant au totem qui se fait recouvrir d'un voile ou de ténèbres. Essayez.

Je vois le totem plusieurs fois par jour vu que j'habite au monastère donc le visualiser m'est facile. Surtout que je dois le nettoyer. Les autres doivent se retourner pour bien l'imprimer dans leur tête.

-La couverture ne compte pas pour le moment. Elle changera au fur et à mesure de votre vie.

La mienne est blanche, merci de me rassurer.

-Elle indique généralement votre nom, prénom et votre titre. Les juges et sénéchaux peuvent demander à la voir pour confirmer votre identité. Pour tourner les pages, soit vous le faites avec vos doigts ou vous vous concentrez sur le fait de vouloir tourner les pages.

La seconde méthode est celle des mages. Sans surprises, tout le monde ici le fait avec les doigts.

-La première page est celle de votre statut. Elle indique votre niveau, votre santé et vos réserves d'énergie. Elle indique aussi votre métier et votre titre si vous en avez obtenu un. Vous pouvez mettre votre titre sur votre couverture à partir d'ici.

Nom : *******

Prénom : Mattéo

Niveau : 1

Exp : 0 / 100

Clan : Kitsune

Âge : 12 ans

Taille : 1m45

Métier : Fermier Niv.3

Titre : ********

Points de vie : 32/34 + 0

Points de magie : 3/3 + 0

Etat : Normal
Déprimant.

Surtout le vide pour le nom, étant un orphelin il n'est pas près de se remplir, ce blanc...

Kahlee se tait, sûrement pour laisser à tout le monde le temps de lire. Personnellement, je ne sait pas lire, ne connaissant que des rudiments de l'alphabet. Le Livre est différent : vu que c'est une partie de moi-même, il est normal que je le déchiffre instantanément.

Niveau 1, rien de nouveau sous le soleil. Tout le monde commence à ce niveau à la réception du Livre.

Il a la gentillesse de ne pas préciser mon poids plume, ce qui est sympathique de sa part mais je me serait bien passé du métier de fermier. Et c'est quoi ce niveau 3 pour le métier ?

La baisse des points de vie ça doit être la faim. Et mon score de points de magie enfonce le dernier clou dans le cercueil de mes rêves de gosse.

C'est dur la réalité.

-La page suivante est celle des caractéristiques. Elle indique vos scores dans les différentes aptitudes et ces derniers vont de 1 à 255. Par exemple, 1 en Force correspond à celle d'un enfant maladif et 255 à celle d'un Héros Ushi en pleine forme.

Les Ushis, ou membre du clan du taureau, sont l'incarnation même de la force physique. Doux et un peu lent d'esprit, ils font paître leurs troupeaux plus loin dans la vallée. Voir un Ushi soulever quelque chose est toujours un spectacle, surtout pour le public féminin. Tout le monde se presse de tourner la page.

Force : 12 + 0 Endurance : 14 + 0 Dextérité : 16 + 0 Agilité : 8 + 0

Intelligence : 11 + 0 Sagesse : 6 + 0 Chance : 0 + 0

Attaque : 6 + 1 Défense : 7 + 2

Assaut Magique : 6 + 0 Protection : 3 + 1

Je sait que je ne suis pas aussi vigoureux que le fils du forgeron mais quand même !

Des discussions que j'ai eu avec mes aînés, les scores sont au-dessus de dix en moyenne lors de la réception du Livre et on peut être considéré comme chanceux si on en a un qui dépasse vingt. Mon endurance est donc dans la moyenne haute, rien d'étonnant vu le travail que j'abats en corvées diverses et variées. C'est sûrement aussi de là que vient mon score en dextérité. Mon agilité pitoyable n'est une nouvelle pour personne vu qu'il m'arrive de trébucher dans mes propres jambes. Je suis agréablement surpris par mon score d'intelligence ce qui vous donne une idée de mes capacités face à un livre et le score de sagesse est dans la norme Kitsune.

Le score de chance, lui, est propre à faire pleurer des larmes de sang.

-Les scores d'attaque, de défense, d'assaut magique et de protection sont calculés à partir de votre force, endurance, intelligence et sagesse. Il s'agit de la moitié de votre score. Le « + » qui est à côté indique l'influence de ce que vous avez dans vos mains et sur vous. Tournez la page.

Equipement : Tête : *******

Torse : Tenue de lin. Défense +1

Bras droit : ******

Bras gauche : ********

Jambes : Tenue de lin. Défense +1

Pied droit : *******

Pied gauche : ********

Porté sur soi : Pierres. Objet pouvant être lancé. Attaque +1

Talisman. Protection + 1

Attaque : + 1 Défense : + 2

Assaut Magique : + 0 Protection : + 1

Inventaire : ******

Je savais ma tenue coriace mais pas au point d'avoir son propre score de défense ! Vu le poids de mes bottes, je vais sûrement la tripler en hiver ! Je suis pieds nus pour le moment, comme la plupart des gosses en été. Vu que les rues et les chemins sont en terre battue, c'est suffisant.

Le seul événement sur cette page est l'efficacité du talisman, un petit bibelot que le moine m'avais donné il y a des années. Je l'ai gardé parce que j'aime bien ses couleurs mais si je m'étais douté qu'il avait de vrais capacités...

-La page suivante est celle de vos Compétences.

Bien sûr, tout le monde s'empresse de tourner la page.
Compétences actives :

Travail à la ferme Niv.3

Travaux domestiques Niv.4

Culte : Kitsune Niv.2

Culte : Hitsuji Niv.1
Compétences :

Travail à la ferme Niv.3

Travaux domestiques Niv.4

Culte : Kitsune Niv.2

Culte : Hitsuji Niv.1

Bagarre Niv.3

Lancé d'objets Niv.4

Analyse Niv.1

-Vous avez tout compris ?

Kahlee avait beau n'avoir que trois ans de plus qu'eux, tout le monde la respecte et ce fut donc un concert de « oui madame ! » avant que tout le monde s'esquive rapidement par la porte libérée de la présence de la jeune Hitsuji qui marche en direction de l'autel.

J'ai fait comme les autres.

Ce qui fut ma première erreur.