Chapitre 7 : Faiblesse et fuite.

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Haute-côte étant le dernier village sur la route et les convois étant rares, de l'ordre de un par mois en moyenne, appeler cette voie de terre creusée d'ornières « route » était une insulte envers toute surface plane et dure. Surtout avec les pluies de l'automne.

Je compte dessus.

Je compte atrocement dessus.

Les bonus récents ne m'ont donné que quelques points de plus mais c'est surtout la motivation qui me donne des ailes, me faisant courir comme un dératé entre deux trous.

Frère Augustus a beau être un peu bête, il est un Hitsuji. Si il donne son aval pour que quelqu'un soit formé comme prêtre, on l'écoute. Un Hitsuji est un peu lent d'esprit, peu voir pas exubérant mais ce clan règne en maître sur les ordres inférieurs des Églises, quel que soit le culte.

Si on pense Kitsune en voyant un champ, on pense Hitsuji en voyant une chapelle.

Or, si ils me forment, je ne pourrai pas cacher ma maîtrise des magies de soin.

J'ai l'habitude de tricher, mais pas avec quelque chose que je ne connais pas du tout comme les arts magiques.

Ils vont vouloir creuser la question.

L'Inquisition aime creuser.

Les convois sont des chars à bœufs lourdement chargés, lents et peu discrets. Vu que je suis surtout concentré sur les trous et les bouses à éviter, je ne tends pas l'oreille pour guetter une activité sur la route devant moi, la route serpentant tant à travers les rochers que je pourrai percuter l'arrière du chariot de queue à tout moment sans même m'en apercevoir.

Vu qu'ils avaient plusieurs heures d'avance, ils doivent être au moins à mi-chemin de la ville. Dans le pire des cas, il faudra que je stoppe frère Augustus à la porte même de l'église locale. Soufflant comme une forge et laissant mon adrénaline me guider, j'arrive à un espace dégagé après près d'une heure de course folle.

Un carnage.

Les chars à bœufs sont éparpillés, les animaux meuglant. Certains sont morts. Les caravaniers le sont tous. On ne peut pas vivre avec si peu de sang dans le corps.

Choqué, je me suis arrêté.

Qu'est ce qu'il s'est passé ? Une attaque de monstres ?

Les yeux grands ouverts, je regarde les cadavres immobiles. Les bœufs blessés. Les chariots. Vidés. Pourquoi les chariots sont vidés et les bœufs laissés tranquille si il s'agit de monstres ?

-Tiens, tiens, regarde qui est là, Urban !

Derrière moi.

Je pivote rapidement pour voir un Kitsune monté sur un cheval. L'animal est famélique et le cavalier tout autant mais je vois surtout sa hache. Dégoutante de sang.

-On en as raté un ?

-Nan, il vient du village. En courant.

-Ils nous ont pt-être vu approcher du convoi. Faut filer.

D'autres hommes surgissent de derrière les chariots. Ils étaient en train de charger leurs montures avec leur butin mais j'étais tellement choqué que je n'ai rien entendu.

-Zigouille-le !

-Hé ? C'est qu'un môme...

-Zigouille-le !

Gras-double est bizarre, encore plus flippant que d'habitude. Ses yeux sont gros comme des soucoupes et il transpire atrocement. On dirait que les veines sur sa tête sont sur le point de claquer. Il est couvert de sang et en a même à la bouche. Je remarque vite que les autres brigands ont peur de lui au moins autant que moi. Remarquant que personne ne bouge, il saisit la hache à sa ceinture. Un de ses hommes essaye de le calmer et Gras-double le frappe avec du plat de la lame sur l'épaule pour le faire tomber au sol avant de marcher droit sur moi.

Ses yeux sont plus que flippants.

Ils n'ont plus rien de Kitsune.

Encerclé par les brigands, je ne peut rien faire d'autre que de voir Gras-double marcher droit sur moi.

Je m'accroupis et ramasse une pierre grosse comme le poing, la brandissant. Dans un éclair de lucidité, je mets le métier Voyou.

-De la résistance ? Bien bien ! Hyaahahahaha !

Il lève sa hache haut au-dessus de sa tête. La pierre ne fait que rebondir sur la graisse de son cou et le rire devient encore plus hystérique avant de s'arrêter d'un seul coup.

-Qui joue au con ?

Quelqu'un vient effectivement de se saisir de la hache, l'immobilisant et rendant la position de gras-double difficile à tenir. Sans lâcher la hache, il pivote pour fusiller du regard celui qui le bloque.

-T'es qui bordel !

Un humain ?

Un humain habillé de beaux habits clairs, avec des chaussures délicates et portant des bijoux raffinés. Ses cheveux châtains longs jusqu'aux épaules sont soignés, comme tout le reste de son apparence. Il a l'air très triste.

-Quelle pitié...

D'ici, je ne peut pas voir le visage de gras-double pendant que les autres brigands saisissent leurs armes, surpris par cet inconnu qui a pénétré au milieu de leur groupe sans que personne ne le remarque. Gras-double est comme secoué d'un spasme, lâchant son arme avant de reculer, bloblotant de toute sa graisse et transpirant encore plus.

-S... S...Seigneur ? Je... Je...

-Disparaissez.

Tout d'un coup, ce fut l'obscurité.

Une obscurité salement familière.

Le matelas aussi est familier.

Je reconnais de suite le lit dans lequel j'ai dormis depuis mon enfance, le plafond de poutres et de tuiles et la vague odeur d'encens. Le monastère.

En bougeant un peu je me sent serré. J'ai des bandages. Autour de la tête, des membres et du torse. Pas vraiment de douleur permanente, juste des pics enflammés quand je bouge. J'ai connu pire après des jours de travaux aux champs. Il y a des voix, des personnes qui discutent de façon enflammée. Ça vient de la chapelle.

Les villageois !

Je dois les prévenir !

J'enfile mon pantalon de lin en grimaçant. D'habitude j'arrive à glisser ma queue dans le trou facilement mais, pour une fois, je dois la guider avec les mains. Je me lève.

Le décor pivote dans tous les sens !

Heu... Non, en fait, ça doit être dans ma tête !

Me tenant au mur, je me traîne jusqu'à la chapelle.

Le silence se fait quand je pousse la porte. Il y a là, sur les bancs, le maire, le chef de la milice, le forgeron et le menuisier. Kahlee est debout devant l'autel, aussi droite et stoïque qu'une statue. Les autres me regardent.

-Heu... ça va petit ?

-Oui, m'sieur le maire. Mais les caravaniers, moins. Z'ont été attaqués ! Par Gras-double ! Faut vite...

-Assieds-toi.

Le chef de la milice me dit ça en soupirant. Bizarre qu'il soit là et pas en train de chercher Gras-double et sa bande. Vu que j'ai mal aux jambes et que l'odeur d'encens ne m'aide pas à garder la tête sur les épaules, je me jette sur un banc de libre. Tout le monde se tourne vers Kahlee.

-Je vais résumer la situation pour toi, Mattéo. Urban et sa bande ne sont plus de ce monde. Je me doutais que tu allais partir à la poursuite de frère Augustus et je me suis donc lancée à ta poursuite après t'avoir laissé un peu d'avance, histoire de te ramener ici en te tirant par l'oreille. J'ai vu une énorme sphère noire se créer sur la route, quelques kilomètres avant moi. Et avec cette sphère un bruit atroce de flammes et d'explosions. La sphère se dissipa en explosant lentement et quand ses débris arrivèrent jusqu'à moi, je sentis le mana corrompu me frapper.

Du mana corrompu !

J'en ai des frissons.

Normalement, le mana passe à travers tous les habitants, permettant aux mages d'utiliser des sorts et aux guerriers d'utiliser des compétences de combat. Une fois utilisé, il se restaure naturellement avec le temps, voir instantanément dans les endroits bien baignés. Mais pas tout le temps.

Il y a des endroits baignant dans le mana corrompu. On peut l'utiliser pour faire des sorts mais il nourri surtout les monstres, transformant même des animaux normaux en créatures féroces. En fait, j'ai même entendu une fois frère Augustus dire que c'est parce que le mana corrompu a atteint une masse critique que la Guerre de Scission a commencé.

Vu que le village est à un endroit à mana faible, il y a aussi peu de chance de croiser du mana corrompu.

Jusqu'à présent.

-J'ai foncé vers l'épicentre de cette explosion et je t'ai trouvé, blessé. Tous les autres sont morts, déchiquetés. J'ai aussi trouvé les corps des caravaniers et de... frère Augustus.

Elle pleure ! Le visage toujours aussi stoïque, l'allure aussi raide mais des larmes sur les joues. C'est si inhabituel que les Kistunes présents ne savent comment se comporter.

-J'ai épuisé presque toute ma magie pour soigner tes plaies les plus graves avant de te ramener au village avec un char à bœufs. Nous sommes en fin d'après-midi. Et on réfléchis.

-Heu... à quoi ?

-Gamin... Qu'est ce que c'était que cette explosion ?

-Ben, je suis tombé sur Gras-double et sa bande m'sieur le maire. Ils venaient de tuer tout le monde. Ils voulaient aussi me tuer. Puis...

Je ne me rappelle plus !

Il lève sa hache puis plus rien ! A part une chose...

-L'obscurité...

Le menuisier hocha la tête.

-L'armée a bâclé le boulot. Urban n'a pas été arrêté mais affamé. Du coup, il était désespéré...

-Ça n'explique pas le mana corrompu.

-J'ai fait la Guerre, m'sieur l'maire. J'ai d'jà vu ça. Des artefacts démoniaques le font en s'brisant.

Tout le monde devient lugubre et silencieux, hochant la tête. Visiblement, ils savaient tous avant de poser la question et attendaient juste que quelqu'un le dise. Kahlee brise le silence.

-Je prends les fonctions de responsable de culte en attendant le remplacement de frère Augustus, s'il a lieu. Ma première tâche va être d'aller à la ville pour informer l'Eglise de ces évènements afin d'avoir des épurateurs de mana corrompu sur les lieux aussi vite que possible. En attendant mon retour, placez des hommes autour de la zone pour décourager les animaux de s'en approcher pendant que les meilleurs guerriers patrouillent pour chasser les monstres. Les bœufs rescapés et les chevaux doivent avoir muté depuis le temps.

Nouveau hochement de tête sinistre.

-La version que je donnerai sera la suivante : Frère Augustus a oublié son missel.

Elle brandit alors un petit livre à la couverture noire. Tout le monde sursaute.

-J'ai assisté à l'explosion lointaine. Ai accouru pour constater la mort de tout le monde. Aucun survivant. Je suis ensuite remontée au village pour donner des instructions avant de préparer mon voyage pour le lendemain. Monsieur le maire ? Faites tuer le bœuf qui nous as ramenés et enterrez le corps en forêt. Ne mangez pas sa viande. Trop dangereux. Monsieur Potts ? Démontez intégralement le chariot et donnez-en les morceaux aux gens du village pour qu'ils le brûlent cette nuit dans leur cheminée. Les clous iront au forgeron qui devra rapidement en faire des outils.

Voila que Kahlee se met à penser et parler comme un Kistune !

-Frère Augustus se rendait à la ville en compagnie de Mattéo, jeune Kitsune destiné à la prêtrise. Ils seront tous deux enterrés dans le cimetière pendant que les cadavres des caravaniers seront conservés au frais, le temps de l'arrivée de l'Inquisition.

Et voilà le mot qui fâche...

-Tout s'est passé ainsi et se passera ainsi. Des questions ?

-Non... Soeur Kahlee.

Tout le monde se disperse sauf Kahlee et Pietro, le chef de la milice. C'est un grand gaillard un peu maigre mais du genre coriace. Je le vois rarement au village vu qu'il passe beaucoup de temps à patrouiller dans les environs. Pietro se lève et s'installe sur mon banc.

-Mattéo... Tu peut pas rester ici...

Avec les gaillards de l'Inquisition qui allaient venir c'était illusoire de vouloir se cacher. Les Kitsunes savent garder des secrets mais c'est plus difficile de dissimuler des gens dans un petit village.

-Il va falloir que j'aille en forêt le temps que les encapuchonnés rôdent ?

-Non, il va falloir quitter le village.

-Hein, aller en ville ?

-Non plus...

Je me demande où veut en venir Pietro. Arrête de tourner autour du pot, vieux !

-Tu as été exposé à une dose massive de mana corrompu. Il y a des chances que tu deviennes un démon.

Et Kahlee teste une fois de plus la résistance de ma vessie...

-Tu... tu blagues ?

-Les démons ne sont que des humains et Yukimimis devenus difformes par infection de mana corrompu. Ce n'est pas prouvé mais beaucoup de gens le pensent. Tout le village doit savoir ce qui est arrivé à présent et tu risques de finir isolé. Au mieux.

Je ne me suis pas fait que des amis pendant la dernière décennie et entre leur famille et le petit orphelin dont on guette la pousse de cornes, je me doute qui ils voudront protéger.

Et merde...

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