Chapitre 13 : Au coin du feu.

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Il est finalement arrivé un événement bizarre. Un matin, tout le monde s'est rendu dans l'atelier de Hank. La plupart ont amené un tabouret avec eux et se sont installés en un large demi-cercle autour de la forge à moitié éteinte, pour profiter de sa chaleur probablement. Intrigué, j'ai suivi le mouvement et me suis assis sur un des plans de travail, une grosse table qui pourrait supporter un Ushi sautant dessus à pieds joints. Il y a là les quatre Okamis, quelques Inus que j'ai croisés une ou deux fois dans les rues, deux gamines de cinq, six ans emballées dans une cape avec capuche qui se font rouler une balle en tissu et...

Assis sur un tabouret près de moi se trouve quelqu'un que je n'ai encore jamais vu. C'est un garçon, un adolescent un peu plus jeune que moi je dirai. Je ne vois que son visage vu qu'il est emballé dans une grosse cape épaisse dotée d'une ample capuche. Magnifique d'ailleurs. Claire mais dotée de nombreux motifs noirs formant un damier complexe allant en s'obscurcissant vers le haut et disparaissant une fois au niveau de la taille, c'est le genre de matériel que ne possèdent que les riches marchands.

Son visage est inexpressif, fin, presque féminin (encore plus que le mien, c'est dire) et il y a de belles boucles de cheveux dorés émergeant ça et là.

Il fait un peu tâche au milieu de tout ces chasseurs un peu rustres.

-Bonjour ! Je m'appelle Alain, le petit nouveau ici !

L'inconnu se tourne vers ma main tendue et la regarde attentivement. Puis, le visage toujours aussi inexpressif, il me fixe attentivement de ses yeux verts.

Alors que c'en devient gênant, pour sortir sa propre main il écarte sa cape.

Qui se replie tout seul dans son dos.

Ce n'est pas une cape.

Ce sont des ailes en plumes.

C'est le tout premier Hato que je croise. Pour la plupart des habitants de l'anneau, en croiser un est signe de bonne fortune. Pas qu'ils soient si rares mais ils ont une réputation de fiabilité, d'honnêteté et d'efficacité qui en font un des clans les plus sûrs qui soient. Les gens pensent tout de suite à de grandes ailes blanches de cygne mais les membres de ce clan ont toute une variété d'apparence et celui que j'ai devant moi tient du faucon. Ce sont aussi des militaristes, recherchant la perfection dans l'art d'utiliser différentes armes mais sans la soif de sang habituelle chez ceux qui se promènent avec tout un arsenal sur soi. C'est tout ce que je sait sur eux vu que leurs villes sont flottantes et donc d'accès très restreints pour des piétons dans mon genre.

Le jeune homme retire sa capuche et je voit les plumes débordant de sous ses cheveux à l'emplacement des oreilles, signe qui ne trompe pas.

-Bonjour... Sire... Alain...

Voila qu'il me donne du « sire », l'olibrius !

-Alain tout court !

-Bien... Sire Alain... Toukour.

-Oublie ça... Tu t'appelles ?

Ce n'est pas qu'il est mentalement lent ou a des problèmes avec la langue, c'est plutôt comme si les mots sont bloqués dans sa gorge et qu'il doive attendre pour pouvoir les sortir. J'ai l'habitude des visages figés depuis Kahlee mais je ne sait pas trop quoi faire pour discuter avec quelqu'un devant autant choisir ses mots.

-Agorakritos... Damaskenos... Plus simple : Rada.

Je sais qu'ils ont des noms atrocement complexes mais je les ai sous-estimé on dirait. Va pour Rada !

Content de tomber sur quelqu'un de mon âge dans ce fortin, je lui serre la main avec ce que je pense être de la vigueur. Il regarde la main et serre aussi.

-Waooowwww !

Très fort. Trop !

Il relâche la main, toujours aussi inexpressif.

-Navré...

-T'en as pas l'air !

-Pas le... choix... Maladie de Marbre.

Je me tais immédiatement. C'est un mal célèbre car il a frappé plusieurs héros bien connus. On ne l’attrape pas, on naît avec. C'est une paralysie plus ou moins importante du visage qui donne une allure de statue permanent. Maintenant que j'y pense, elle frappe surtout chez les Hatos et Hitsujis. Kahlee devait en avoir un peu aussi.

Avant que je m'excuse, Hank rentre dans la pièce avec sa délicatesse habituelle et les conversations autour de nous s'arrêtent. Il est accompagné de Sham, de la Komori et d'une Hato que je vois pour la première fois. Frôlant le mètre quatre vingt, son allure montre qu'elle attaque la trentaine et tout dans son armure de cuir et son épée à la hanche hurle « combattante ». Ses cheveux sont blonds, longs et encadrent un visage stoïque. Il doit s'agir de la mère de Rada.

Alors que les quatre nouveaux arrivant s'installent dos à la forge, je pige finalement pourquoi je n'ai jamais vue la sentinelle.

Elle vole jusqu'à son poste de vigie au sommet de la tour et ne redescend de quelques étages que pour manger.

Avoir une Hato comme guet me rassure immensément.

S'il doit y avoir une personne qui prend au sérieux une telle tâche, c'est bien un Hato !

Minute.

C'est sûrement elle qui m'a attrapé à la cheville et lancé sur le toit le jour de mon arrivée ! Vu son poste d'observation elle m'a vu arriver des kilomètres avant que je m'abîme les doigts sur la falaise ! Pourquoi elle m'a...

Sauvé la vie.

Après avoir vérifié que j'étais motivé.

C'est bien le seul défaut des Hatos : ils espèrent des autres la même discipline qu'ils s'imposent à eux-même.

-Bon, soyons sérieux.

Le ton dans la voix de Hank est bizarre. Il laisse tomber au sol une espèce de talisman composé de fourrures, perles et verroteries.

-Comme vous pouvez le voir, je suis le rituel de l'ouverture du cœur et prête le serment devant mon totem de dire la vérité. Commençons.

J'appris plus tard qu'il y avait de temps en temps ces réunions. Vu que l'on vit en petite communauté isolée, pas mal des biens sont en commun et il faut faire l'inventaire de ce que l'on possède pour faire face aux situations possibles lors des saisons difficiles. Aujourd'hui, c'est sur ce qui va être fait en hiver.

-† Le Seigneur des ténèbres serait ravi d'avoir quantité de drogues et de substances mystérieuses...†

-C'est vrai... Alain, où en est au niveau de la serre ? Tu pourrais faire pousser quelque chose cet hiver ?

-Pas possible. Pour commencer, il y a trop de carreaux cassés. Si je bouche les trous avec des planches, il n'y aura plus assez de lumière.

-Des viiitres. Le verre est chheeeer.

-†Faites-moi offrande d'un grimoire de magie de feu et j’incinérerai vos soucis !†

-Hein ?

Là tout le monde reste interdit. Déjà, les grimoires coûtent une petite fortune et on ne voyait pas quel rapport ça avait avec les vitres.

-†Un livre maudit car écrit par un saint homme se trouve dans la bibliothèque. Livre lut par la servante du Malin que je suis. Il y conte comment, en mêlant sable et colorant il a crée une poudre qui a ensuite été brûlée par un mage de feu et refroidie dans des moules. Avec, il a crée une de ces horreurs nommée Vitrail qui glorifie un de ces décérébrés se pensant investi d'une divine mission... Pfff ! †

Elle est un peu dure à suivre mais ça se tenait. Si il faut du sable et un mage de feu pour faire du verre, ce n'est pas étonnant si c'est aussi cher. La plupart de ceux qui maîtrisent cet élément sont très demandés par les armées, il faut donc les payer rubis sur l'ongle pour qu'ils restent chez un artisan. La Komori, bien qu'adepte des magies ténébreuses, pourrait lancer des sorts de feu de niveau faible. Le principal problème du plan réside dans le prix du grimoire...

-Intéressant... Améliore aussi défense du fort...

-Pas si vite Nektaria ! Un grimoire de feu débutant coûte au moins 100 Ke. Vu que c'est pour nous, les marchands nous en demanderont encore plus ! Sham ? Avec les fourrures et les prises, on arrive à ça ?

-On a assez de fourrures pour noouuusss. Touuuut ce que l'on chaaaassse depuis deux mois va à la veeeennnnte. Maaiiis on n'a pas d'espèces rraaaarrres dans les boiiiissss.

C'était le gros point noir des forêts entourant le fortin. Il y avait quantité de biches, cerfs, sangliers et autres petits animaux à fourrures mais il s'agissait de créatures de niveau 7 maximum et loin des matériaux utilisés pour les manteaux de nobles fortunés. Parfait pour les demandes des villages mais le prix est celui de fournitures habituelles. Les habits les plus chers prisés par les riches demandent des fourrures bien plus raffinées.

-La forêt côté Retouuurrrr est plus proffonnnnddde. Il doit y avvoiiirr plein de ceeerrfs de ceeennnddre. Mais on ne peut en ramener que deeeeuxxx par expéditionnnn. Ou abandoonnner la viaannnndddeee et prendre que laaaa peeeaaauuu.

Réaction horrifiée des Okamis. S'ils font une chose pareille ils n'oseraient plus se présenter devant le grand Loup.

-Et la forêt côté Avancé ? Elle n'est pas loin du fortin...

-Alain, tu n'es pas là depuis longtemps alors je ne m'énerverai pas. Mais ne dit plus ça.

Bon.

On dirait que le coin est maudit.

Je demanderai des précisions plus tard à Rudy.

-†C'est simple, non ? Laissez-moi devenir maîtresse des ténèbres au sein du manoir †!

-Non.

-†Il suffit ! Je sent dans tous mes os les ténèbres qui m'appellent en ce lieu ! Je servirai dignement le Grand Obscur et vous...†

-Zanathi...

-C'est gentiiill mais noooon. On ne pourraaaaaiii pas faire ffaaaacceee et chasser en même teeemmpss.

-Je garde extérieur. Tu gardes intérieur.

-†Tant de bon sang gâché...†

J'ai la très désagréable impression que je suis le seul à ne pas être au courant de toute l'histoire. Déjà, personne ne semble avoir peur de Zanathi (drôle de nom en passant) et elle serait une espèce de garde alors qu'elle ne quitte pour ainsi dire pas le manoir ?

Il y a quelque chose dans le château.

Quelque chose d'assez sombre et flippant pour donner envie à cette cinglée.

Il faut que je sache ce que c'est.

J'habite à côté bordel !

Profil bas, Alain, profil bas...

La réunion se poursuivi et s'inquiéta de l'état de toutes les ressources. On ne manquait pas d'eau potable vu les puits multiples. Le garde-manger commun est celui de l'ancien réfectoire, une espèce de bâtiment monstrueux aux murs épais et aux proportions de grange. Un mage de glace en a enchanté les murs intérieurs, conservant tout par le froid. La viande ne pose aucun problème mais les légumes sont plus durs à obtenir. Sorti de la zone autour des Herbes, on n'a pas de terre arables.

-Je peut vous arranger ça.

-Tu as dit quoi Alain ?

-Je peut vous faire un jardin. Il me faut de l'humus, des feuilles mortes et quelques outils.

-Où, jeune Kitsune ? Fit l'Hato visiblement intéressée.

-Beeeennn... Il y a l'endroit dégagé par les maisons en bois qui ont pourri, m'dame Nektaria. Le sol c'est de la terre battue là ! La place centrale, il y a des pavés ça prendrait un temps pas possible !

-C'est faisaaabble ?

-Au village, on fait ça chaque année à cette époque.

-†Kuhuhuhu... Briser la volonté d'une terre stérile...†

-Alain, tu vas te concentrer sur ça. Si on a nos propres champs, on pourra mieux négocier les prix des légumes à l'avenir, sans parler des récoltes ! Oublie la serre pour le moment, tant qu'on ne peut pas produire notre propre verre. Le sable ?

-La rivière qui cooooullle de la montaggnnneee amène beaucoup de caillouuuux. Il doit y avoir du sable à l'avaaaalll.

-Je peut toujours faire une machine pour pulvériser les cailloux.

-Beaucoup d'efffoooorrttss. De matériaauuxxx. Termine plutôt la scieriiieeee.

Je suis utile !

Trop content de faire mon nid dans le fortin, je ne remarque pas que le jeune Hato à mes côtés crispe ses poings.

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