Au final, nous ne partîmes que deux jours plus tard. Plus que mon épuisement complet, ce fut le bras de Zanathi qui fut le centre de nos soucis. Il s'agissait d'une malédiction, un sortilège de niveau 7 qui ne disparaît pas avec la mort du lanceur. Je l'ai donc aidée à se débarrasser de cette horreur grâce à mon bon score de Manipulation de Mana. J'en ai aussi plus appris sur les sorts.

Chaque école de magie a tout un ensemble de sorts classés en niveaux. En général, il faut le niveau correspondant dans la Compétence dédiée pour lancer le sort mais il est possible de se forcer pour lancer un sortilège d'un ou deux niveau supérieur à ses capacités.

Les sorts de Contact sont des sorts de niveau 1. Les sorts de soin sont les plus populaires à ce niveau.

Les sorts dit d'Éclair car nécessitant un lien magique visible entre la cible et le lanceur sont des sorts de niveau 2. Il s'agit de sorts puissants mais gourmands en Points de Magie.

Les sorts de Boule commencent à partir du niveau 3. Il s'agit des populaires et efficaces boules de feu, vague d'eau, etc...

A partir du niveau 4 on a les sorts de Mur, permettant de poser des défenses.

Le niveau 5 est celui qui autorise les sorts de Glyphes, des sorts retardés nécessitant que l'on remplisse des conditions. Un glyphe de vent sur une serrure fait que cette dernière ne peut s'ouvrir que si l'on souffle dessus en même temps qu'on tourne la clé par exemple.

Selon elle, les niveaux suivants permettent d'accéder à des versions supérieurs des cinq types de sortilèges. Zanathi résume ça en parlant de Boule 2 ou Éclair 2 mais chaque école à sa propre classification.

Je préfère Boule 2 à « sphère de ténèbres d'Antonin Walpurgis », donc je suis sa classification.

Jusqu'à présent je n'ai pas eu à m'intéresser à ça vu que je ne maîtrise que les sorts de soin de manière superficielle, n'ayant aucun grimoire à ce sujet, mais après ma rencontre avec le shaman gobelin je me suis dit que ce serait suicidaire que de continuer à ignorer ce que le monde de la magie pouvait m'envoyer à la figure.

Rada et Terros m'ont gentiment proposé de remplir un peu mon garde-manger et ma réserve de bois pendant que Möngke a passé tout son temps à fabriquer des flèches.

Hank, lui, est ravi.

-C'est du bon métal ~ . Oui, les armes et les armures sont très mal faites mais une fois fondues j'ai pu récupérer quelques lingots de métal tout ce qu'il y a de plus utilisable ~ .

On s'en servit pour remplacer nos couteaux dont les lames ont beaucoup souffert des affrontements. Hank n'a pas le temps de forger un arsenal complet avant que l'on parte et on se contente de couteaux de chasse de réserve pour notre mission.

De toute façon, si on se retrouve réduit à devoir tailler notre chemin l'arme à la main, c'est que ce sera un échec. Et il est impossible de passer à travers toute une armée bien équipée même avec ce que Hank peut faire de mieux.

Nous arrivons enfin à la sortie de la forêt.

Encore heureux vu que la neige commençait à tomber. Si les gardes voient des traces sortant de la forêt, ils risqueraient de vouloir les suivre. Ils auraient une sacrée surprise en voyant où ça les mène.

-Parfait ! C'est le moment de tout mettre en pratique ! Prêts ?

-Prêt !

-Ce sera un honneur.

-Muh !

-Zanathi...

-†Je te ferai payer cet affront un jour, tu le sait...†

Riant sous cape, je me dépêche de courir hors de la forêt. Il est encore très tôt le matin et le soleil n'est pas encore levé. Les deux jours de progression sous le couvert végétal ont été très remplis, toute l'équipe devant apprendre tout ce qui est nécessaire pour éviter de griller la couverture. La compétence Apprentissage a une fois de plus brillé, tout le monde étant au niveau 2.

Niveau 2 en Culte Kitsune.

Il y a une chose au monde qu'aucune armée ne peut stopper, c'est le flux des pèlerins. C'est pour cette raison que je me fait passer pour un frère adorateur de Sainte Josepha, une des saintes Kitsune les plus connues et dont je suis sûr de croiser au moins un autel dans cette ville. Avec mon niveau 7, je peut parfaitement me faire passer pour un moine itinérant accompagné de deux novices. Je suis jeune et n'ai pas l'air imposant, mais ma culture en matière de culte n'éveillera pas la suspicion pour autant vu que la plupart des moines sont formés dès l'enfance.

Terros et Zanathi vont jouer les novices ayant fait vœu de silence. L'ours car il est incapable de parler et la Komori car on ne peut rien faire contre sa voix d'outre-tombe. Vu qu'ils sont, comme moi, recouverts des pieds à la tête par une robe de bure personne ne verra leurs attributs Komori et ours. Nektaria a bien travaillé, la robe ayant l'air usée alors qu'elle est toute neuve.

Rada a sa magnifique armure de cuir renforcée de métal et sa rapière au flanc. Il joue parfaitement bien le rôle de garde du corps, ayant la prestance pour. Il est un peu plus petit que moi mais personne ne juge un Hato par son nombre de centimètres !

Möngke porte son armure de fourrure, ses trois arcs et les affaires de voyage les plus encombrantes, incarnant la servante sauvage payée à la tâche que sont les mercenaires centaure.

Chacun a un sac à dos rempli du nécessaire pour un long voyage ponctué d'étapes fréquentes au cas où un garde pointilleux voudrait vérifier nos affaires. Le bâton de sorcière en os, le fagot de javelot, mon arc, mes flèches et nos trois couteaux sont bien à l'abri dans mon Inventaire.

La neige est en train de forcir mais, heureusement, elle ne forme pas encore une couche sur le sol. On finit par rejoindre la route la plus proche de la forêt et prenons immédiatement la direction de la ville via une voie passant par deux villages proches. Je joint les mains et mime la prière, encourageant mes deux « novices » à faire de même au cas où un observateur lointain se pointerait au sommet d'une colline. Terros le fait en silence, Zanathi chante des malédictions à mon encontre dans un rythme presque guilleret.

Elle me le fera payer, c'est certain.

Les champs sont à l'abandon. Ce n'est pas surprenant vu la saison mais, au début de l'hiver, beaucoup de paysans profitent du fait que la terre ne soit pas encore gelée pour refaire les chemins d'accès, tasser les bords de la route et planter des pieux dans le sol encore humide et pas encore solidifié. Cette absence totale d'activité n'est pas dans les habitudes Kitsune et je lutte contre l'envie pressante d'arracher une poignée de mauvaises herbes dépassant entre deux champs. Nous sommes seuls sur la route, ne croisant personne et n'entendant aucun char à bœufs, même au loin. Vu que je progresse la tête légèrement penchée en avant tout en faisant semblant de prier, Rada marchant à mes côtés m'explique ce qu'il voit alors que nous approchons du premier village.

-Muraille en bois... Neuve par endroit... Vieille ailleurs... Soldats font ronde... à l'extérieur... Voit trois groupes... Six soldats...

-Drôle de comportement. Je ne saisis point où ils veulent en venir.

-†Explique-toi, le Malin n'aime pas les vagues suppositions.†

-Si l'on veut éviter les attaques de monstres on pose un guet sur les murailles, l'endroit où il verra le mieux la horde arriver de loin. Des soldats postés à l'extérieur devront rentrer en hâte en cas d'attaque et auraient une bonne probabilité de périr avant de rejoindre la porte si leur patrouille les as portés trop loin.

-On commence à être proche... Laissez-moi parler. Terros, Zanathi, si ils vous demandent quelque chose, posez l'index sur vos lèvres et montrez-moi de ce même doigt, c'est le rituel du silence rédempteur. Rada, Möngke, n'oubliez pas qu'on n'a pas rencontré de monstres ces derniers jours et qu'on n'est pas passé par les derniers villages car on a pressé le pas pour vite rejoindre la ville du Jardin Bleu avant les neiges. Si ils vous posent des questions sur les trois moines que vous protégez, dites que vous avez été embauchés par le Prieuré et que le devoir de réserve est dans le prix.

-†On sait, on sait... Jamais je ne pourrai effacer de mon âme la souillure que furent ces deux jours de culture religieuse...†

-Muuuh...

Au-delà de la forêt le sol forme des ensembles de petites plaines entrecoupées de collines. On en a profité pour se glisser hors de vue sur la route côté Avancé et progresser avec le soleil levant sur notre gauche en plus de la chute de neige pour nous camoufler. Vu que le sanctuaire de sainte Josepha est dans le quadrant alpha, personne ne serait surpris de nous voir venir. La route tourne pour prendre la direction de la porte et je peut enfin voir quelque chose du village malgré la vaste capuche de toile grossière.

Comme Rada l'a dit, on voit clairement deux genres de bois différents. Un ayant la patine de l'âge et l'autre encore clair et frais. Ce sont surtout les portes qui ont été refaites et je vois d'ici le quadrillage d'une herse. Devant la porte fermée nous attend le comité d’accueil, un groupe de six soldats, comme décrits par Rada.

Surtout, ne pas stresser.

Je suis un moine, je marche tranquillement du pas de l'homme de foi qui prie son dieu tout en parcourant les terres de ses ouailles.

Vivement que je retire ma Compétence Culte Kitsune, ça commence à me faire peur la vitesse à laquelle je m'auto-persuade.

Une vingtaine de mètres avant la porte, les soldats se dispersent en arc de cercle et l'un d'entre eux se décide enfin à parler.

-Halte !

Obéissants, nous nous arrêtons. On est encore à une trentaine de mètre d'eux, assez pour se faire entendre mais pas assez pour avoir une conversation confortable. La neige a commencée à tomber à gros flocons en plus. Ils portent tous de belles armures de soldat, à savoir un plastron en métal, des protections de bras et de tibia en cuir et un casque métallique en forme de grande assiette aplatie sur la tête. En-dessous, leur tunique rouge semble presque neuve.

-Bonjour mon fils. Que la bénédiction de Sainte Josepha soit sur toi.

-Je ne suis pas ton fils, le froqué ! Vous faites quoi ici ?

Il semble avoir mon âge mais souffre d'une éducation manquant de poigne. Si Kahlee avait été là, il souffrirait d'autre chose...

-Je suis le frère Mattéo, dévot de Sainte Josepha. Je suis en pèlerinage vers son sanctuaire accompagné de mes deux apprentis, aspirante Zoé et aspirant Terros.

Vu qu'on peut voir nos vrais noms en consultant la couverture du Livre, il est inutile de mentir. Ce serait contre-productif. Et Hank a toujours pris soin de ne jamais révéler aux marchands les noms des habitants du fortin. Je suis même sûr que Hank n'est pas son vrai nom.

-Et l'emplumé et la mule, c'est qui ?

Comment diable a t'il survécu jusqu'à aujourd'hui ? Avec un sourire, je lève les yeux vers lui et en profite pour lancer une Analyse.

Nom : Andreticelli

Prénom : Giacomo

Niveau : 4

Exp : 237 / 400

Clan : Kitsune

Âge : 16 ans

Taille : 1m62

Métier : Soldat Niv.2

Titre : Sergent

Points de vie : 43

Points de magie : 4

Etat : Normal

Un soldat de niveau 2 pour le métier, 4 en global reçoit le grade de sergent ?! Je me remet vite de ma surprise avant qu'il ne finisse en vague tache rouge sur fond de neige.

-Sire Agorakritos est un noble guerrier Hato en formation. Sa lame est vive et sa vue excellente. Dame Möngke est une mercenaire centaure à la main sûre et à l'âme fiable. Ils font de merveilleux compagnons de voyage dans ces contrées peu sûres.

-Ça fait surtout de quoi s'amuser pour la nuit !

Les cinq autres rigolent du bon mot de leur chef. Ils semblent sincères et je vérifie leurs statuts avec Analyse. Rien que des niveaux faibles et des titres oscillants entre racaille et brute.

Ils ne sont pas très regardants au moment de l'inscription.

-A ce propos, nous avons dû marcher toute la nuit, espérant arriver à la cité du Jardin Bleu au matin. Sommes-nous encore loin ?

-T'est sur le bon chemin, l'encapuchonné, mais va falloir en mettre un coup encore avant d'y arriver !

Encore des rires méprisants. Pour une raison ou pour une autre, je me rappelle les hommes de Gras-Double.

-Il est triste que j'ai autant présumé de mes forces. Pouvons-nous nous reposer pour la journée en cette cité ? J'honorerais tout être dévoué au culte par mes magies de soin.

Les rires s'arrêtent. Je compte sur ce joker en fait. Les prêtres soignent de leur magie tous leurs croyants mais opposent une certaine réticence à soigner des personnes extérieures à leur congrégation. Un moine itinérant, lui, soigne qui le demande et est payé en don en nature pour l'aider dans son pèlerinage.

Et je ne vois pas un prêtre soigner de bonne grâce de tels ruffians.

Visiblement, mon avis est partagé vu la discussion rapide et les messes basses entre les soldats. Le « sergent » Giacomo finit par prendre la parole à haute voix.

-D'accord l'encapuchonné. Il y a trois chapelles, prends celle que tu préfère pour la journée. Mais demain matin, tu repart !

-Merci de votre accueil. Le Totem vous protège.

Il pousse la protection un peu loin en s'approchant de Möngke, la toisant par en bas et semblant intéressé par ses courbes.

-Quand à toi... Tu pourrais t'installer dans notre écurie. Après avoir fréquenté ces chiffes molles, ça te changera de voir des vrais hommes dans mon genre !

Malgré le manque de politesse et d'éducation évident, Giacomo est un Kitsune bien fait, bien bâti et à l'apparence soigné. Je suis jaloux de ses beaux cheveux roux bouclant sur les pointes !

Calmement, la centaure pose sa main gauche sur l'épaule droite du garde puis, glissant son pouce sous la sangle du plastron, soulève le bonhomme pour amener son visage à hauteur de ses yeux.

-Huuummmm.

Elle le fait ensuite pivoter sur lui-même comme une ménagère jaugeant de la qualité d'un produit avant son achat. Les hommes sont partagés entre le fou rire et la colère pendant que Giacomo tente désespérément de se libérer de la poigne d'une guerrière de niveau 9. Ayant prise sa décision, elle tend le bras loin d'elle et lâche sa prise qui s'effondre dans la neige au bord du chemin.

-Pas assez de viande sur les os...