Chapitre 36 : Embuscade avinée.

8 minutes de lecture

On a trouvée la planque idéale. Une petite chapelle dédiée à un sombre saint Inu qui m'est inconnu mais qui a l'avantage d'avoir son autel situé entre trois des lieux préférés de notre très cher Fermier : le restaurant, l'arène et le théâtre. Mieux, du porche on peut voir deux de ces endroits à savoir le restaurant et le théâtre. Pendant que les trois « moines » miment la prière, les deux gardes peuvent surveiller la rue ouvertement, jouant leur rôle de protecteurs si un passant leur demande ce qu'ils font.

La nuit est tombée mais ce n'est pas grave, la cité n'étant pas soumise au couvre-feu, elle.

On veut pouvoir s'amuser non-stop après tout, hein ?

-Arrivé. Restaurant.

Rada retourne à sa positon pendant que je calme les ardeurs des deux moines.

-†Allons-y ! Rester en ce lieu me tue à petit feu.†

-Muh !

-Chut, pas si fort ! Ecoutez, il va d'abord manger. On va le surveiller quand il sort. D'après le personnel interrogé par notre Hato préféré, quelques minutes avant qu'il s'éclipse une partie de ses gardes du corps fait une ronde autour de sa calèche. On en profitera pour s'approcher en procession. Terros retourne s'assoir sur son banc en faisant la moue mais Zanathi déploie Miro, profitant de l'obscurité pour glisser son familier dans le ciel étoilé. Alors que j'allais m'assoir à mon tour, Miro revient, se cachant sous la robe de la Komori !

-Zanathi ? Pourquoi tu...

-†Il est bien gardé. Avec Analyse j'ai perçu un vaste champ de Détection autour du restaurant.†

-Merde ! Il y aurait des mages ?

-†Au moins un. Il sentira Miro dès que je m'approcherais. Il va falloir que je reste ici.†

Je grimace.

Une procession de deux moines aura l'air plus suspecte que celle de trois moines. Je ne peut pas lui demander non plus d'absorber Miro : Si il faudrait qu'elle l'invoque à nouveau un peu plus tard, ce serait dur à cacher au milieu de cette ville très animée.

Non, impossible à cacher !

-Pas le choix. Tu resteras ici avec Rada pendant que j'irai avec Möngke et Terros.

Le temps passe pendant qu'on fait semblant de prier. Deux personnes sont passées mais quand elles ont vues qu'on était des moines pérégrins, elles se sont discrètement éclipsées en priant pour nous.

Pour un peu, je me sentirai coupable.

Mon plan n'est pas de sauter sur le Fermier, histoire de lui remettre la lettre pour sa fille. Je veut juste voir de mes propres yeux si le bonhomme est digne de confiance (autant que peut l'être un Kitsune, disons!).

Deux heures après son entrée, ses gardes du corps commencent leur petit manège dans la rue. Il a l'estomac solide, le gaillard !

Je prends la tête de la petite procession, suivi de Terros et avec la centaure qui marche derrière nous, l'air vigilante. On marche comme d'habitude, à savoir les mains jointes sous nos manches, la tête basse et en maugréant de fausses prières. Je pourrai en faire des vraies mais je veux me concentrer sur le Fermier. On commence par descendre les marches de la petite chapelle avant de traverser la rue, calme à cette heure de la nuit. Le restaurant est un peu plus loin sur notre gauche, construction énorme sur plusieurs étages qui se paye même le luxe d'avoir son entrée au premier, entrée accessible grâce à une volée de marches blanches dignes d'un palais tant elles sont décorées de vasques, de sculptures et même couvertes d'un beau tapis bleu.

Je me sens si peu à ma place qu'en temps normal je n'essayerai même pas de m'approcher d'un tel lieu.

-Hors de mon chemin, canaille !

On est encore à une bonne vingtaine de mètres de la calèche et on se fait déjà stopper ?! Intrigué, je relève la tête pour voir ce qui se passe.

Ce n'est pas après nous que cet homme crie.

Il ne crie après personne en particulier.

Enfin, personne d'existant hors des brumes de l'alcool, j'entends.

Je reconnais le Fermier Général au premier coup d'oeil. Il en impose. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi gros ! Vraiment énorme, il est habillé d'une luxueuse robe rouge rehaussée d'or et dont la moindre ouverture est garnie d'une fourrure fine et, probablement, hors de prix.

Dommage qu'Analyse ne puisse pas évaluer la valeur d'objets tenus par des gens...

Sa tignasse rousse est encore magnifique et seules ses rides permettent de remarquer son âge. Le nez est rubicond et sa démarche est tout autant avinée.

Il n'est pas seul, accompagné de tout un ensemble de gens de tous les âges qui semblent faire l'effort d'être bien habillés tout en étant un peu moins flamboyants que le Fermier.

-Ne vous inquiétez pas messire Ricci, je vais chasser ce manant !

L'homme, hilare, frappe deux coups d'un éventail délicat dans l'espace vide devant le gros Kitsune.

-Voyez comme il part, trébuchant sans cesse ! Hilarant !

Le Fermier Rit, vite accompagné de tout le groupe. L'alcool devait couler comme une cascade dans ce restaurant ma parole !

S'appuyant sur les épaules de deux de ses gardes, le Fermier Ricci descend les marches vers sa calèche pendant que nous reprenons notre progression. A ce moment, des nouveaux cris retentirent de l'entrée du restaurant et un nouveau groupe en sort, plus jeune celui-ci.

Comme pour le Fermier, il s'agit d'une personne entourée par ses courtisans. Sauf qu'il s'agit d'une femme Kitsune d'une vingtaine d'années cette fois. Ses très longs cheveux roux et dorés tombent jusqu'à sa taille, lui donnant une allure magnifique et presque mystique. Mais ce n'est rien à côté de sa robe, dont le décolleté plonge jusqu'à son nombril et ne tenant en place que grâce à des lacets croisés sur tout l'avant. Et les côtés aussi on dirait. Les fils sont sur le point de rompre tant ils sont tendus.

Sa silhouette est beaucoup plus gracieuse, mise en valeur par la longue robe violette étroite et l'étole de fourrure sur ses épaules. Mais elle est tout autant avinée, oscillant sur ses pieds, une bouteille de vin à sa main droite. Ce sont deux femmes de la Milice qui guident ses pas, sous les rires et les exclamations des jeunes gens à ses côtés. Ils l'encouragent à descendre les marches.

-Bella ! Bella !

Bella ? Isabella... C'est la fille du Fermier.

Rien à tirer des deux. Vu qu'ils font ça tous les jours, ils ont visiblement laissée tomber la gestion des marchandises pour se consacrer à leurs vices, aidés par l'argent rentrant à flots et le fait que ce soient eux qui décident des constructions dans les murs de la cité.

Je suis écoeuré.

Je reprends la marche mais suis bloqué par les gardes du corps qui me demandent d'attendre. Le Fermier, handicapé par sa masse et des réflexes engourdis, a de grandes difficultés à se hisser dans la calèche. Je contourne donc la scène pathétique en marchant dans la rue, peu fréquentée à cette heure de toute façon. Hélas, je tombe sur la fille, soutenue par les deux femmes en armure de cuir qui font aussi le tour de la calèche pour tenter leur chance à l'autre porte. J'entends les autres fêtards s'éloigner, se rendant à pied au lieu de débauche suivant.

-Ben alors le froqué, on se rince l'oeil !

Grossière en plus de ça. Son visage serait agréable à regarder si on arrive à faire abstraction des vapeurs d'alcools qui se dégagent de sa personne, perceptibles jusqu'ici à cinq mètres d'elle.

-N'avez-vous point honte ?

Ma volonté de faire profil bas cède face à ce spectacle désolant. Vous gérez toute une Ferme, merde ! Une étincelle de malice brille dans les yeux noisette de la Kitsune.

-Roooh, il a passé toute sa vie à manger des noix et boire de l'eau et n'arrive pas à voir maintenant qu'il existe autre chose ?

-Il est un temps pour la fête et un pour le travail. On ne peut point délaisser la ferme aussi...

-L'est triste parce qu'il ne voit pas assez de femmes, c'est ça ? Pauvre choouuuxxx !

Elle couvre les cinq mètres d'une vitesse fulgurante ! Titubant tant qu'elle finit par me plonger dessus. Elle fait presque une tête de plus que moi et, sur les pavés couverts d'une neige écrasée par les pas, je n'ai pas assez de stabilité pour amortir l'impact, me retrouvant au sol.

Et elle rit, l'idiote ! Couchée sur moi de tout son long. Dire que la robe de moine est trop épaisse pour trouver ça agréable...

Terros et Möngke sont maintenus à l'écart par les miliciennes et je profite de l'occasion pour sortir la lettre de mon Inventaire et la glisser dans la robe. L'avantage qu'elle soit aussi ouverte, c'est que j'ai pu la lui glisser au niveau de sa taille en passant devant son nombril. Le rire de la Kitsune s'arrête et elle me regarde, l'air intriguée.

-De la part de Mégumi...

Avec deux doigts, elle tire un peu le courrier avant de le cacher à nouveau dans ses vêtements. Je n'aime pas son sourire. Elle se redresse mais reste assise sur mon ventre, l'air franchement amusée. Elle débouche sa bouteille de vin et me fourre le goulot dans la bouche !

-Bois ! Bois le froqué ! Que tu ne soit pas venu au Jardin Bleu pour rien !

Elle riait encore quand ses gardes du corps se décident enfin à me la retirer de l'estomac pendant que je tousse, à moitié étouffé par le liquide qui m'a été administré de force. La centaure et l'ours m'aident à me relever pendant que la Kitsune grimpe dans la calèche.

-Tu m'amuse le froqué ! Je vais faire un spectacle rien que pour toi ! Viens demain sur la grand-place à deux heures. Tu auras des places d'honneur ! A demain le froqué !

Son père doit être parvenu à escalader les marches pendant ce temps car la calèche démarra dès que la dernière garde grimpa sur le marchepied.

Avant même que la calèche ait disparue au coin de la rue, on se fait rejoindre par la Komori et le Hato.

-†Quelle peste ! Que le malin la corrompe et fasse flétrir sa beauté comme une fleur laissée sur une pierre brûlante !†

-Riche... mais bête !

-Muh !

-Jamais nous n'aurons le moindre espoir d'aide tant que de tels jouisseurs dirigent la cité. Cette mission est un échec, Maître.

Je ne dis rien et réfléchit.

-On ira à cette « fête » demain.

Ils me regardent bizarrement.

Encore plus bizarrement que d’habitude.

-†Möngke. J'étais un peu loin...†

-Certes, dame Zanathi.

-†La femme, elle est jolie ?†

-Pas beaucoup de chairs sur les os et habillée d'une tenue d'un inconfort rare pour la chasse. Trop de maquillage sur le visage à mon humble avis.

-Ce n'est pas pour ça... Elle m'intrigue.

Ils se regardent entre eux et c'est Rada qui se dévoue pour tenter de me convaincre, posant ses mains sur mes épaules.

-Alain... Pas bonne idée... Elle, riche... Toi, paysan.

-C'est juste que je veut savoir pourquoi.

-Pourquoi... quoi ?

-Pourquoi sentait-elle autant l'alcool alors qu'elle exhibe une bouteille de jus de raisin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire VladPopof ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0